Billet – La solitude du chef

Lors de sa rencontre avec la magistrature burundaise, le président Ndayishimiye a prononcé un discours quasiment historique. Submergé par l’émotion, réelle, il a dit tout le mal qu’il pensait de la justice burundaise. Il a fustigé l’incurie et la corruption qui gangrènent le corps judiciaire. Je passe sur les critiques de ceux qui disent qu’un chef d’État n’a pas droit à l’émotion, qu’il doit être « froid ». Non, un président peut être touché, bouleversé, il peut pleurer comme vous et moi. Bref, c’est d’abord un humain. Seulement , contrairement au simple quidam que nous sommes, il est le chef de l’Etat. Le magistrat suprême. Il a le pouvoir. Et pas n’importe lequel : celui de peser sur les événements, de changer le cours de l’histoire. Pleurer ? Oui, c’est humain. Mais après il peut et – c’est toute la différence – il doit agir.

Sinon, sur l’appareil judiciaire burundais, le Président a dit haut ce que nous disons, ce que nous vivons depuis si longtemps. Ses larmes sont nos larmes. Il a pleuré ce que terrorisés par cette « justice » nous pleurons depuis des années : ces arrestations sans mandat suivies de disparitions, ces dossiers judiciaires enfouis, poussiéreux, ces détenus « oubliés » dans les geôles du désespoir, ces crimes jamais poursuivis, ces procès tronqués, bâclés, trafiqués. Dans notre pays ,comme disait le poète Pablo Neruda, « le soldat commande au juge ».

Le Président a pris le peuple burundais à témoin. Pour nous (re) dire sa solitude face à ce terrible héritage, cet amas de « casseroles » long comme le jour d’un chômeur burundais. Monsieur le Président, si cela peut vous consoler un peu, ce que vous vivez est le lot de tout chef. Depuis la nuit des temps. Ne vous en étonnez pas, pensez à César apercevant Brutus,  parmi les conjurés : « Tu quoque fili ». « Toi aussi mon fils », s’écria-t-il alors que les dagues s’enfoncent dans son cœur. En vous attaquant à cette justice corrompue, c’est tout un « système » bien rodé, huilé, mafieux que vous secouez. Vous avez déjà vos conjurés. Ils sont à l’affût, car vous avez touché à leur outil de terreur.

Mais c’est ainsi, Monsieur le Président. Hier ou demain, un chef est toujours seul. Jusqu’au sacrifice. Désespérément seul, pour les grandes décisions. Mais séchez donc vos larmes.

La Constitution burundaise vous donne un grand pouvoir. Utilisez-le. Agissez. Frappez. Vos larmes sont les nôtres. Ne pleurez plus donc, « Neva ». Never. Vous n’êtes pas seul. 12 millions de Burundais sont avec vous !

Par Antoine Kaburahe