Depuis le 01 Avril 2022, la Mission de l’Union Africaine en Somalie (AMISOM) a cédé la place à la Mission de Transition de l’Union Africaine en Somalie (ATMIS). Plus d’un, se demande s’il y a une différence entre les deux missions de l’Union Africaine en Somalie. Le Commandant de la Force ATMIS, le Lieutenant-Général Diomède Ndegeya (CF) a accordé une interview au Bureau chargé de la communication au sein du 14ème contingent burundais de l’ATMIS (B.Com) pour plus de détails. Il révèle également les réalisations de l’AMISOM et les défis que cette mission a rencontré.
B.Com : Quelle est la situation sécuritaire qui prévaut dans la zone de responsabilité de l’ATMIS ?
CF: La situation sécuritaire en Somalie est relativement calme quoiqu’instable, voire imprévisible. Le mouvement terroriste Al-Shabaab (AS) continue à mener des actions insurrectionnelles même s’il est incapable aujourd’hui d’affronter les positions des forces de l’Union Africaine. Ses actions sont plutôt axées sur l’utilisation des Engins Explosifs Improvisés (EEI) surtout sur les principales routes d’approvisionnement utilisées par les forces de l’Union Africaine ainsi que les Forces de Sécurité Somaliennes (FSS). Il procède aussi aux attaques des positions ATMIS et FSS à l’aide des mortiers 60 mm, 82 mm et canon B10.
En plus, il faut signaler que le mouvement terroriste AS s’investit de plus en plus dans les activités politiques. Selon les informations reçues, ce dernier a pu faire élire pas mal de parlementaires dans les élections qui viennent de prendre fin.
Aussi, Pendant cette longue période électorale, la situation politique est perturbée par des actions isolées des milices claniques agissant au profit de certains acteurs politiques.
B.Com : L’AMISOM avait pour mandat d’aider les Forces de Sécurité Somaliennes (SSF) à dégrader le mouvement terroriste Al-Shabaab et d’autres groupes d’opposition armés. Quelles ont été certaines des principales réalisations de la composante militaire de l’AMISOM au cours de la période écoulée?
CF: Pendant les 15 ans que l’AMISOM vient de passer en Somalie, la composante militaire de l’AMISOM a durement travaillé pour rétablir la paix et la sécurité en Somalie. Le mouvement AS a perdu plus de 80% du territoire somalien jadis sous son contrôle. Une structure et un commandement des FSS a été mis en place grâce aux efforts de l’AMISOM. Des élections démocratiques pour la mise en place des institutions étatiques sont en cours pour la quatrième fois dans le pays, un développement réel est visible dans tous les domaines de la vie socioéconomique du pays. Tout cela constitue l’évidence que l’AMISOM a bien accompli sa mission malgré les multiples défis rencontrés.
Depuis le mois d’octobre 2020, dans le cadre d’opérationnaliser la Résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies 2520 (UNSCR 2520), un plan d’opération conjointe avec les Forces de Sécurité Somaliennes a été mis en place, lequel a été réajusté en Avril 2021. Des opérations conjointes ont été exécutées et les résultats sont très satisfaisants. Des formations spécialisées ont été organisées au profit des forces de Sécurité Somaliennes et des centres opérationnels conjoints ont été établis dans tous les secteurs, ce qui a nettement amélioré la capacité de planification, de commandement et de contrôle du leadership de nos frères d’armes Somaliens. L’opérationnalisation des hélicoptères de combat dotés à l’AMISOM depuis novembre 2020 a été effective. On ne peut pas aussi ignorer le travail louable effectué par nos forces conjointement avec les partenaires Somaliens dans la sécurisation des élections législatives.
B.Com : Quels sont les défis auxquels la composante militaire a été confrontée et leurs impacts sur l’exécution du mandat militaire de l’AMISOM.
CF: Certes, la composante militaire de l’AMISOM a rencontré pas mal de défis, parmi lesquels on pourrait citer le manque d’équipements adaptés pour le combat asymétrique mené par les terroristes AS exigeant plus de mobilité et d’actions intelligentes, un appui logistique qui est mieux adapté aux opérations de maintien de la paix onusiennes qu’aux opérations offensives et asymétriques menées par les AS, la bureaucratie des organisations tutelles (UA, ONU), la situation géopolitique instable dans la région, les problèmes liés à la qualification des officiers et la structure de l’Etat-major de la Force AMISOM, le manque d’engagement réel des autorités politiques du pays hôte, le manque d’un plan de financement soutenu et prédictible pour la mission, en résumé, les incohérences dans l’organisation de la mission en général.
B.Com : La composante militaire de l’AMISOM a mené des opérations conjointes avec l’Armée nationale somalienne, dans le cadre d’un processus d’encadrement au combat du personnel militaire somalien. Quelle est votre appréciation quant à l’état de préparation de l’Armée Nationale Somalienne à diriger les opérations dans le cadre de la transition?
CF : Les Forces Armées Somaliennes sont actuellement à mesure de planifier et de conduire avec grand succès des opérations offensives contre les terroristes AS. Des officiers de la Force de Défense Somalienne formés à l’Etat-major de l’AMISOM occupent les postes clés à l’Etat-Major Général de leur Force et dans les services de commandement des secteurs opérationnels. Des spécialistes dans les domaines variées ont été aussi formés. Certes, l’action la plus louable a été la mise en place des centres conjoints d’opération dans les secteurs, facilitant non seulement la bonne conduite des opérations mais surtout servant de base pour la future action de transfert progressif des responsabilités sécuritaires entre les deux forces.
B.Com : L’ATMIS a remplacé l’AMISOM depuis le 1er avril 2022. Où réside la différence entre ces deux missions de l’Union Africaine en Somalie? Pensez-vous que la nouvelle mission ATMIS va apporter une plus-value par rapport à l’AMISOM ?
CF: La nouvelle mission de l’Union Africaine en Somalie ATMIS sera plus adaptée au combat asymétrique des terroristes AS avec plus des moyens pour la mobilité et l’appui aérien, la surveillance et la lutte contre les engins explosifs improvisés. En plus, un calendrier bien précis de transfert de responsabilités entre les Forces de l’Union Africaine et celles de la Somalie a été établi. Un plan bien détaillé de génération des Forces Somaliennes a été aussi préétabli. Pour la bonne réussite des dites activités, l’appui logistique généralement assuré par les Nations Unies connaitra une intégration des éléments de l’ATMIS et des Forces de Sécurité Somaliennes, et sera décentralisé au niveau des secteurs, voire au niveau des bataillons isolés en opération.
B.Com : Avec la nouvelle mission ATMIS, beaucoup de gens entendent la réduction des troupes, quel est votre commentaire ?
CF: Oui, la réduction des troupes de l’Union africaine aura lieu au fur et à mesure que les FSS seront en mesure d’assurer la relève. Cela veut dire qu’un militaire des troupes de l’Union Africaine qui va sortir de la Somalie coïncidera avec un militaire des FSS formé. Il y a un plan qui est bien établi, la réduction sera progressive, les premiers éléments vont sortir avec la fin de l’année 2022, mais cela dépendra de la disponibilité des FSS qui devront prendre la relève.
B.Com : Votre mandat arrive à terme, quel a été votre apport pendant la période que vous venez de passer à la tête de la composante militaire de l’AMISOM ?
CF: L’AMISOM est une mission qui suit les règles des organisations-mères en l’occurrence l’UA et l’ONU. Ainsi, on est obligé de suivre à la lettre les instructions fixées par ces dernières. Notre effort a été essentiellement axé sur l’amélioration des relations de travail avec les collègues, les partenaires et surtout les autorités du pays hôte. Cela nous a permis d’implémenter facilement notre mandat et de convaincre nos partenaires qui ont totalement appuyé nos initiatives.
B.Com : Quels sont les grands dossiers que vous allez remettre à votre successeur ?
CF : Il y a un plan bien détaillé pour la nouvelle mission. Premièrement, la question principale est d’assurer la sécurité, de réduire et d’anéantir totalement le mouvement AS. Deuxièmement, c’est d’assurer la transition de sécurité entre les FSS et les forces de l’Union Africaine. Pour cela, il faut faire un grand effort pour générer les troupes nécessaires afin d’assurer la relève. Une autre chose, c’est d’établir les centres décentralisés pour assurer la logistique dans les secteurs, ce qui permettra d’appuyer les opérations offensives de nos forces. Enfin, c’est de continuer à privilégier le dialogue et la coopération avec les FSS et d’autres différents partenaires, mais aussi maintenir le bon climat de collaboration entre les officiers de l’Etat-major de la mission et celui de la composante militaire.
B.Com : Quelles sont les leçons apprises ?
CF: La tâche de commander une force multinationale est honorifique, mais aussi très exigeante. A part l’expérience acquise, cette occasion nous a permis de nouer des relations d’amitié et de fraternité avec nos confrères, mais aussi de faire rayonner notre pays en général et notre Force de Défense Nationale du Burundi en particulier.
B.Com: Quelle observation faites-vous sur l’avenir de la Somalie plus particulièrement sur le plan sécuritaire ?
CF : La Somalie est un grand pays de l’Afrique de l’Est avec de grandes potentialités à tous les niveaux. A titre exemplatif, sa longue côte maritime pourrait lui offrir une occasion pour développer sa pêche et le transport maritime. Avec une des plus grandes diasporas sur le continent, cela pourrait être un moyen propice pour rompre avec les velléités de la traditionnelle division clanique afin d’embrasser un développement harmonieux de leur nation. La Somalie était et reste un des grands pays exportateurs de viande de chèvre et de chameaux vers les pays du Moyen-Orient. Certes les défis sécuritaires sont encore palpables, mais le pas déjà franchi est satisfaisant. Sûrement, la conclusion paisible des élections en cours offrira au pays de nouvelles opportunités pour sa continuelle reconstruction.
Sources: MDNAC