29 avril 1972 : Une triste commémoration de plus

Oui. Une commémoration de plus. Mais sans plus. Depuis peu en effet, la date du 29 avril de chaque année nous interpelle. Elle nous rappelle que des centaines de milliers d’innocents ont été immolés sur l’autel d’une haine aveugle et aveuglante. A partir de cette date jusqu’à la fin de l’été de cette année-là, des burundais, nos compatriotes, nos parents, nos frères et sœurs ont été amenés aux abattoirs par des lâches, qui de surcroîts s’enorgueillissaient de nous diriger.

Cela fait donc 48 ans qu’un génocide contre des burundais a été perpétré, à partir de cette date par un gouvernement génocidaire, dirigé par un sinistre personnage du nom de Michel Micombero. Les complices adorateurs de ce dernier ne se gênaient pourtant pas de lui coller le sobriquet de « Maza Meza » qui se traduit par « le bienvenu », ou « celui qui est venu à temps’’. Cela sonne comme un trophée de guerre. Une victoire à la Don Quichotte, impliquant des attaquants ‘’imaginés’’ par une imagination défaillante d’un homme qui, durant ses dix ans au pouvoir, est passé du grade de capitaine à celui Général sans avoir gagné un seul combat.  On se rappelle donc de cette triste date, et même les pouvoirs publics s’y impliquent. Mais la vérité semble encore lointaine, très lointaine.

Un génocide qui divise

Il devait diviser car il y a eu des génocidaires et des « génocidés ». Les premiers savourent leur victoire et l’impunité qui s’en est suivi. Les derniers n’ont depuis plus droit au chapitre. Ce qui est troublant, c’est que près d’un demi-siècle après la tragédie, les Hutus et les Tutsis ne parviennent pas à faire une même lecture des faits ou une même approche pour étayer les faits. Tant que l’on restera dans des demi-vérités qui s’approchent toujours des mensonges, alors attendons–nous à d’autres cataclysmes après ceux de Ntega-Marangara, de 1993 et de la longue guerre. Même des tentatives d’élans sublimes, comme le dialogue d’unité nationale, matérialisée par la charte d’unité nationale, les négociations d’Arusha ayant accouché d’un Accord arraché par biceps, n’y ont rien changé. Chacun reste vautré dans ses croyances, un peu comme cet enfant qui crie contre celui qui le soulève pour le retirer de la merde de son pot.

Et pourtant les faits ne devraient pas nous diviser. Dans la réalité, les deux ethnies burundaises ont été toutes victimes d’un pouvoir très affaibli par le goût très prononcé du lucre et de la médiocrité. Un pouvoir manipulable à volonté et effectivement manipulé par des étrangers qui avaient trouvé asile ici chez-nous. La situation est telle que les Hutus et les Tutsis ne s’entendent même pas sur la qualification de la tragédie que chacun réclame pourtant d’avoir été victimes. C’est tout simplement effarant. Certains Tutsis parlent de massacres interethniques, d’autres parlent d’une répressive ‘’sainte colère’’, alors que les Hutus parlent de génocide.

Génocide ou massacres interethniques ? Témoignages (qui ne visent personne).

Dans la salle de rédaction radio de la RTNB de cette matinée du 29 avril de cette année 201…, l’équipe est au complet. Près d’une trentaine de journalistes. Un incident de la veille justifiait cette rencontre convoquée d’urgence. Présentateur du journal de 20heures du 28 avril, je devais lire un papier préparé par un collègue de la mi-journée (journal de 13H00). Ledit papier faisait état de massacres interethniques pour qualifier la tragédie de 1972 et avait pour enrobé un témoignage du professeur Emile Mworoha qui professait « le plus jamais ça’’. Remonté par ce que je qualifiais d’arnaque, je fis comprendre au rédacteur en chef que je n’étais pas en mesure de lire le papier pour deux raisons : il n’y a pas eu de massacres interethniques et le Professeur Mworoha, au vu de son passé notamment comme secrétaire général du parti Uprona (que je respecte) n’était pas le mieux indiqué pour faire pareille recommandation au peuple burundais.

« De quel droit et quelles compétences avez-vous pour contester ce que d’aucuns savent ?’’ me tonnaient mes collègues. Je restais ferme sur mes positions. Et pour les convaincre de l’inexistence de massacres durant cette année, je prenais à témoins un à un de mes collègues en commençant par le rédacteur en chef lui-même : Monsieur le rédacteur en chef, vous venez de telle commune pouvez-vous nous donner ne fut-ce qu’un seul nom d’un tutsi ou de tutsis massacrés par des hutus au cours de ces soient disant massacres interethniques ? « Non’’, dit-il.  « N’êtes-vous pas au courant de hutus qui ont été tués sur ta propre colline ou commune ? » « Si’’, dit-il. Je faisais le tour avec les mêmes questions qui récoltaient les mêmes réponses. Alors, de quel massacres parlons-nous leur dis-je un peu triomphant. La suite n’est pas intéressant. On remit le papier dans le tiroir, tout en me mettant en garde de ne plus contester une décision prise par l’ensemble de la rédaction. Observation à laquelle je rappelai l’existence dans la profession de la « clause de conscience’’ à laquelle la rédaction devait se soumettre. Le lendemain j’étais viré de la rédaction radio.

Vérité de réconciliation politique et historique

La mise sur pieds d’une Commission vérité et réconciliation est une recommandation des Accords d’Arusha. Bravo à ceux qui l’on mise sur pieds des années après la signature des Accords. Et pourtant les résultats des travaux de la Commission tardent à venir. Et d’aucuns savent qu’une vérité trop attendue a les mêmes résultats qu’un mensonge tout craché. Elle ne résout pas les problèmes, elle les exacerbe. Le travail de la CVR est titanesque. Aucun ne doute là-dessus. Le citoyen lambda a du mal à voir clair dans la démarche de la CVR. Certes, des fosses communes sont en train d’être éventrées pour qu’elles nous remettent les squelettes des suppliciés de génocide de 1972. La démarche suscite déjà des murmures chez les sceptiques. Des tutsis avancent déjà que bien malin celui qui distinguera les squelettes des tutsis et de ceux des Hutus. Parce que pour eux, il n’y a pas eu de génocide, mais de massacres interethniques.

N’étant pas informé en détail de l’avancée du travail de la CVR, il semble pourtant que, à l’instar de notre voisin du Nord, la CVR voudrais créer aussi des muselées de crânes et squelettes des disparus, question de garder à jamais dans notre mémoire ce premier génocide africain, après celui de l’esclavage.  Il s’agit là de grands défis. Mais le plus grand défi de la CVR sera sans doute sa capacité de nous révéler demain des vérités qui ne divisent pas encore la société, mais qui n’édulcorent pas non plus la vérité pour des objectifs politiciennes ou autres. La démarche rwandaise est celle des vainqueurs qui sa taillent toujours la part des vérités. La logique burundaise devrait être conciliante. Comme déjà dit plus haut, le défi est de concilier un désir de réconciliation (qui est politique) et un devoir de vérité (qui est historique).

Méthode participative.

Quelqu’un disait que le meilleur moyen de ne pas trouver une solution à un problème est de lui confier à une commission. Cela n‘est pas toujours vrai évidemment. Et pourtant, pour peu que l’on y réfléchisse, la vérité sur des faits d’un passé récent au Burundi est assez facile à établir. Le faux débat sur la qualification de la tragédie (génocide ou les massacres) s’arrêterait. Même l’identification des victimes serait assez facile à établir : Certains des témoins avunculaires de la tragédie sont toujours en vie. Même certains des auteurs de ce terrible drame se la coulent douce, sans le moindre des soucis.  Il suffit de mettre à contribution tout le peuple burundais. Avec les structures administratives existantes, il est possible d’établir en un mois une cartographie des massacres (peut-être que c’est déjà fait et dans ce cas, bravo). Il est facile d’établir la liste de tous les victimes de 1972. Et pour cela, une commission n’est pas nécessaire. Si à chaque commune, à chaque zone, à chaque colline l’on établit la liste des victimes, que l’on décrit les circonstances de leur mort et leur appartenance ethnique l’on saurait très clairement s’il y a eu génocide ou pas, et qui en a été victime. Cette approche aurait plusieurs avantages. Elle serait participative. Les Hutus et les Tutsis, encadrés par de légères équipes techniques nous cracheraient la vérité sans aucune autre forme de spéculations. L’autre avantage, et pas des moindres : elle serait moins budgétivore. Même le repérage des fosses communes serait plus aisé. Les tortionnaires, Hutus ou Tutsis y participeraient.

Et puis… L’objectif ne serait pas d’humilier ni de se venger contre qui que ce soit. Il s’agirait plutôt de créer un élan sublime d’un peuple pour la quête de la vérité et d’une réconciliation véritable, qui ne seraient plus l’apanage d’étranges commissions ou leurs émissaires, mais du peuple lui-même. Il aurait participé effectivement à l’établissement de la vérité, et personne d’autre n’aurait la légitimité de la contester.

Si en tout cas un vent plus innovateur ne souffle sur la CVR, il y a risque que l’on commémore la 4ème année dans les mêmes conditions sans avancées. Et donc sans plus.

Terminons en paraphrasant Bernard Henri-Lévy parlant du cas rwandais et pour qui, plus vite la vérité sera dite, plus vite on cessera de biaiser avec la vérité́, plus vite on entendra la voix des témoins…Il y va de cette obligation de réparation qu’impose, toujours, le crime contre l’humanité́ car Il y va de ce travail de deuil et de mémoire d’un peuple que nous avons laissé mourir mais qu’il est de notre devoir d’aider, un peu, à revivre. 

Par Salvator Sunzu, journaliste et économiste – 29/04/2020 (Arib info)