Les gestionnaires des projets existent, mais où sont-ils ?

Népotisme, clientélisme, corruption, militantisme, … Plus d’uns se demandent pourquoi les projets financés par les agences onusiennes et la Banque mondiale sont mal exécutés. Manque de patriotisme ou faibles capacités ?

« Le gouvernement me dit que nous n’avons pas pu exécuter ce projet parce qu’on n’a pas les capacités. J’ai posé la question : vous voulez des capacités externes qui viennent ici ou vous voulez qu’on vous aide à faire revenir les nationaux burundais qui sont hyper compétents qui sont dans la diaspora ? », déclare le coordonnateur a.i du système des Nations unies, Abdou Dieng.

 
Le coordonnateur a.i du système des Nations unies, Abdou Dieng (2e à partir de la gauche), au cours d’un café de presse, à l’occasion de la Journée des Nations unies.
 
« La question au Burundi que j’essaie de mettre sur la table, avec le Premier ministre et avec les bailleurs de fonds, tourne autour des renforcements des capacités. Il y en a beaucoup. Qu’est-ce qui a poussé ces Burundais à partir ? » Et d’ajouter : « Il faut d’abord régler cette question. Vous formez des gens, surtout en médecine. C’est un investissement lourd. Après il se dit, je n’ai pas les bonnes conditions pour travailler ici. On n’a pas parlé des salaires. Si on ne règle pas la question des salaires, j’ai peur que même les capacités qu’on va renforcer vont nous passer entre les doigts. »

Une question fondamentale selon les Nations unies

« Qu’est-ce qu’on peut faire pour qu’un médecin burundais formé ne parte pas. On ne peut pas l’attacher s’il veut partir. J’ai rencontré tellement de Burundais très compétents, mais qui n’arrivent pas à rentrer. C’est une question que nous sommes en train de discuter avec le gouvernement. Et c’est le gouvernement qui doit nous dire dans quels domaines, ce n’est pas à nous de dire que vous avez besoin de quelqu’un ici. Non. »

Il donne l’exemple de la Regideso. « Il faut passer par un appel d’offres. Dire, on besoin de quelqu’un avec telles qualifications. On ne va jamais régler le problème de l’énergie et de l’eau, il faut des gens compétents. Des Burundais, il y en a. »

Et la motivation ?

L’intervention du sénateur Jean Bosco Ntunzwenimana est revenue sur une des causes qui pousseraient au non-achèvement des projets. « Il y a des projets financés par les partenaires et je sais qu’il y a eu beaucoup de réunions pour analyser pourquoi beaucoup des projets rencontrent des problèmes d’exécution. On a évoqué plusieurs questions, surtout liées à leur intéressement. Et cela figure dans le financement des projets. » C’était lors de la présentation, du Premier ministre, devant le Parlement réuni en congrès afin de parler des principales actions du plan de travail et budget annuel du Gouvernement, exercice 2023-2024.

Pour lui, le problème se trouve surtout de ce côté : « Manque de motivation », a-t-il souligné. Et de faire une proposition : « J’aimerais alors lui suggérer s’il a pris la question en main, il faut voir ce qu’il peut faire pour que les projets soient bien exécutés et dans les délais.»
Une intervention qui ne laissera sans commentaire, Emmanuel Sinzohagera, président du Sénat et Gervais Ndirakobuca, 1er ministre.

Manque de patriotisme

« C’est une question à débattre. Je ne vais pas entrer en détail dans les salaires. Je ne pense pas que ce sont les seules causes. Il y en a qui vont dans ces projets en visant leurs propres intérêts au lieu de l’intérêt national. Alors, quand on se trompe et qu’on le place dans une structure, il freine tout. Parce qu’il n’a pas été désigné gestionnaire du projet », commente Emmanuel Sinzohagera, président du Sénat.
Pour lui, beaucoup de facteurs entrent en jeu. D’ailleurs, ces projets sont exécutés par des Burundais et pas des étrangers.

Emmanuel Sinzohagera trouve qu’il faut d’abord un esprit patriotique. « Il faut aimer notre pays. Il y a même des pays où on accepte qu’on diminue les salaires et les gens travaillent et le pays se développe. » Mais, au Burundi, les gestionnaires des projets ne sont pas mal payés, ils sont bien nantis.
« Mais, comme ils n’ont pas reçu la somme qu’ils ont mentionnée dans le projet, ou parce qu’il y a eu des influences pour s’octroyer de grosses sommes, ils disent qu’ils ne peuvent pas travailler. C’est un manque de patriotisme », déplore-t-il.

Gervais Ndirakobuca, Premier ministre, abonde dans le même sens. « Je ne pense pas que c’est lié à la motivation. Si oui, comment est-ce que les projets d’avant l’ordonnance qui fixe les plafonds de salaire pour les gestionnaires des projets étaient exécutés ? Je sais très bien qu’il y a des projets qui ont reçu deux ou trois prolongations et qui ne sont pas encore achevés jusqu’aujourd’hui ? » Or, analyse-t-il, ils recevaient cet argent.

D’après lui, il y a un sérieux problème. « Tant que les gestionnaires n’auront pas compris qu’il faut achever le projet pour que les Burundais commencent à bénéficier de ses dividendes, il y a un problème. »
Il indique qu’il y en a même ceux qui font retarder l’exécution des projets afin qu’une fois les délais prolongés, ils maintiennent le poste de chef du projet.

Quid de la finalité des financements des partenaires

M. Sinzohagera doute d’ailleurs de l’objectif visé par ceux qui donnent les financements. « Il est temps de repenser cette politique. Je le dis souvent : aide au développement. Dans ces deux mots, l’action principale, ce n’est pas aider, c’est développer. Et on ne t’aide pas à te développer. Nous devons nous développer et l’aide viendrait après. Mais, nous, l’aide au développement nous a assujettis et nous avons oublié l’action principale. »

Pour lui, tant que les Burundais n’ont pas encore compris cette logique, les projets seront toujours faits, mais pas dans les délais. « Il ne faut pas résoudre des questions de façon superficielle », se résume-t-il.

Gervais Ndirakobuca, 1er ministre fait presque la même lecture. « Peut-être même avant ma naissance, les partenaires au développement étaient là et continuaient à parler du développement du Burundi. Mais, ce développement n’est pas encore là. Je pense qu’il est temps d’ouvrir les yeux pour voir. Où ces aides ont fait arriver le Burundi ? »

Il se demande d’ailleurs si ceux qui financent ces projets veulent réellement que le Burundi se développe : « Là, je me réserve de donner la réponse.»
Pour le 1er ministre Ndirakobuca, si le Burundi n’est pas encore développé, qu’on ne continue pas de se faire des illusions que ce sont les partenaires qui le feront progresser : « C’est nous qui développerons le pays. Et à ce moment, ils viendront dire qu’ils ont contribué ou qu’ils comptent nous appuyer. »

Par  Fabrice ManirakizaRénovat Ndabashinze et Pascal Ntakirutimana (Iwacu)