Par Jérémie Misago & Hervé Mugisha
« Actuellement, le combat que nous menons, c’est une lutte pour un Etat de droit. Quel est notre ennemi ? Nous combattons pour redresser l’économie nationale afin de sortir le pays de la pauvreté. Quel est notre ennemi ? l’urgence c’est d’abord de connaître cet ennemi. Tous les Burundais doivent leur cette bataille, savoir que nous devons combattre cet ennemi commun, et je n’en doute point, si nous unissons nos forces, nous allons le vaincre », a martelé en subsistance le président de la République et président du Conseil des sages du Cndd-Fdd. Une sortie qui a retenu l’attention de bon nombre d’observateurs avisés tant sur son contenu que le jour de cette date. Habitués à entendre des discours glorificateurs de hauts faits d’armes durant les années du maquis, certains ont été étonnés par ce virage à presque 180°. A en croire certains témoignages, un contre-pied, qui n’a pas été du goût de certains ténors du parti au pouvoir. Ils estiment que l’heure n’est pas aux réprimandes, plutôt de resserrer les rangs avant les législatives de 2025.
Centré sur le thème : « Uwuhenzwe n’agahengwe acana inkizo » (Ne jamais baisser la garde même en période d’accalmie), cette année, la semaine, aura été marquée par sa simplicité. « Un moment de remise en cause, et de questionnement pour comprendre que, dorénavant, le seul ennemi qui guette la population burundaise, c’est l’injustice et la lutte contre la pauvreté », tel que le numéro Un burundais l’a laissé entendre. Très remonté sur les manquements dont sont accusées les personnes chargées de rendre justice, il a axé son discours sur la notion de justice, se demandant : « Si réellement nous sommes dans un Etat de droit, qui est notre ennemi ? Il est ennemi, celui qui ne rend pas justice conformément au prescrit de la loi. C’est vain de chercher de midi à 14h, c’est celui-là notre ennemi. Car, en tant que citoyens, nous n’aspirons qu’à une seule chose : vivre en parfaite harmonie, sans discrimination aucune. »
Aussitôt d’enchaîner : « Mais pour que cela puisse être une réalité, il faut avoir la compassion l’un envers l’autre. Unir nos forces afin que si l’un d’entre nous est victime de l’injustice, nous faisons front derrière lui de telle sorte que son bourreau comprenne qu’il n’est pas seulement l’ennemi d’une seule personne. Plutôt de tout un peuple. » Seul hic, reconnaît-t-il : « Sommes-nous assez solidaires pour le faire ? » D’après lui, si tel était le cas, ces gens qui laissent le voleur dépouiller autrui au vu de tout le monde, oublient que demain ça peut être leur tour, c’est de l’ignorance. C’est cela que nous devrions avoir à l’esprit. Car, une chose est sûre, ces voleurs ne sont jamais assouvis. Une fois qu’il termine avec une personne nécessairement, ils doivent chercher une autre victime. A cette allure, il se pourrait que demain, tu sois la victime de cette injustice, de spoliation, de vol, etc. Nous ne savons pas le sort que nous réserve demain. C’est pourquoi nous devons faire de la lutte contre l’injustice notre combat ».
Concernant le combat pour le redressement économique, la lutte contre la pauvreté. Il s’est aussi demandé : « Qui est notre ennemi ? ». Reconnaissant qu’à ce niveau, il peut s’être trompé d’ennemi. Au lieu de chercher qui fait que le pays continue à s’enfoncer dans la pauvreté, il a rivé les yeux sur les causes structurelles à l’origine de la pauvreté. Un faux diagnostic, car, selon lui, pour que ce combat puisse être gagné, cela suppose qu’il y ait un commandement.
C’est ce corps dont je suis le Chef suprême auquel les fonctionnaires de l’Etat appartiennent. « Ce commandement doit avoir des moyens logistiques et financiers pour fonctionner car l’argent est le nerf de la guerre », a-t-il tenu à préciser. Aussitôt de rappeler que l’ennemi du pays est toute personne qui détourne la chose publique. A ce propos, il la compare à une personne qui place une bombe au milieu des gens pour les exterminer, préférant se murer dans le silence. Le président Ndayishimiye trouve dommage que des gens qui se disent avoir été « combattants de la paix et de la démocratie, viennent en tête pour spolier l’économie du pays. « Entre nous, comment une personne peut oser nous dire qu’elle s’est battue pour libérer le pays du joug des dictateurs, et être la première à le sucer, à le voir couler économiquement ? Quel genre de patriote est-il ? Pire, c’est que dans tout ce qu’il fait il avance qu’il est un ancien combattant. Je vous dis, ces gens avaient d’autres visées« . Aussitôt de lâcher : « Une chose que vous devez savoir il y a ceux qui disent qu’ils ont combattu pour la restauration de la démocratie alors qu’en réalité, ce n’était pas le cas. Vous comprenez qu’ils étaient avec nous sur le champ de bataille en attendant la victoire pour rentrer spolier le pays. Et, je vous l’assure, ce sont ceux-là qui se disent être des héros de la démocratie alors que c’étaient des démons parmi nous. Ce sont ceux-là qui sont en train de piller le pays actuellement ».
La justice avant tout
Rappelant que l’on juge quelqu’un sur base de ces actes. En témoigne, le proverbe rundi qui dit : « Uwuja kuba mu Burundi agira amaso ntagira amatwi (« Celui qui est censé vivre au Burundi doit avoir des yeux grandement ouverts et fermer les oreilles », NDLR). Le Chef d’Etat explique que pour affirmer que réellement on est un héros de la guerre, cela dépend généralement de sa propension à prendre soin des gens, de son pays, de contribuer à son développement. « Mais si tu fais partie de ceux qui participent à sa destruction, le rongeant comme un termite ronge le bois, sachez-le bien, tu n’es pas un héros. Au contraire, un ennemi du pays ».
De quoi s’interroger si ce ne sont pas les membres de cet état-major chargé de combattre les détournements économiques, de lutter contre les injustices qui seraient en train de saboter l’action gouvernementale ? Plus que tout, le président Ndayishimiye a laissé entendre qu’il comprenait mal comment au lieu de lutter contre les malversations économiques, autrui pouvait succomber et accepter de collaborer avec ces derniers. Selon lui, si nous ne prenons pas garde, la bataille risque d’être perdue d’avance d’autant qu’il s’est déjà avéré qu’au sein de cet état-major, des traîtres pullulent.
Avant toute chose, il en a appelé à l’introspection de tout un chacun. «Le temps est venu de séparer les graines et de l’ivraie, de chercher ces traîtres qui collaborent avec l’ennemi, au lieu d’avancer préfèrent nous mettre les bâtons dans les roues. Chaque fois que nous construisons une route qui pourra durer 20 ans, préfèrent grignoter quelques épaisseurs de goudron pour que cette route ne dure pas deux ans ». Dans cet ordre d’idée, il a pointé du doigt, les gens paresseux qui ont choisi de manger à la sueur du front de l’autre. Durant cette longue route vers la démocratie, le président Ndayishimiye a rappelé que certains de leurs compagnons de route n’ont jamais digéré le fait que les combattants fusionnent avec l’armée burundaise. « Je connais certains qui ont pleuré de chaudes larmes lorsque nous venions de signer les accords de cessez-le-feu. Certains juraient sur la tombe de leurs mères qu’ils ne vont pas se laisser démobiliser parce que le pays pour lequel ils s’étaient battus ne sera plus le leur. Vous imaginez cette mentalité ? Est-ce que ceux-là n’étaient pas les ennemis du pays ? Une preuve que l’accalmie actuelle a un prix. En témoignent les nombreuses, en tant que nation, dont nous sommes venus à bout à l’instar des querelles intestines au sein des partis politiques, la guerre menée par le Palipehutu FNL en 2005, le RED Tabara qui surgit en 2015. Des épreuves bien qu’elles aient laissé des séquelles témoignent à suffisance de la résilience du peuple burundais, une preuve que l’union fait la force. Avant de lâcher : « Si vraiment nous sommes venus à bout de toutes ces batailles, le petit bout de chemin qui reste, cette sauce, va-t-on franchement manquer le courage et la force de la boire une fois pour toutes ? »
D’après lui, un scénario déplorable surtout que dans certaines localités du pays, l’espoir pour un état de droit renaît. Allusion faite au nouveau gouverneur de la province Ngozi, a pu résoudre un litige qui datait de plus d’une dizaine d’années, et sans aucune issue. « Faire asseoir sur une même table deux protagonistes en conflit, qui se chamaillent depuis des années, quitte à déboucher sur un consensus. Vous comprenez que cela demande du courage et de l’abnégation. C’est cela qui manque aux professionnels de la justice ». Car, déplore-t-il, c’est presque devenu une habitude que celui qui est censé lire le droit et rendre justice, se range derrière l’une des parties plaignantes.
« Un juge ou magistrat, coupable de cette faute, n’est-il pas un ennemi du pays ? Chers gouverneurs, chacun dans sa province, à l’instar de pères de famille, soyez proches des juridictions compétentes, soyez impartiaux ». En effet, l’expérience aidant, il indique avoir déjà remarqué qu’il était possible de vider tous les procès civils.
Se basant sur la Bible, le président a beaucoup insisté sur le respect des autorités, de la hiérarchie : « Certes, ces autorités doivent avant tout être de bons exemples. Mais, en retour, la population doit leur obéir. C’est une règle élémentaire pour qu’un pays se développe, à défaut de quoi c’est le désordre total. L’exemple concret étant la culture des avocats, dorénavant, le voisin rwandais en exporte. La population serait en train de tirer profit de sa récolte si elle avait obéi aux autorités de l’époque. Un très grand problème car, les quelques plants ont été arrachés, les autres ayant survécu ont vu leurs fruits se vendre illicitement. Tout cela parce que la population n’a pas respecté les directives de leurs autorités. » Et de continuer : « Sachez- le bien, dans toute société, il doit y avoir quelqu’un pour montrer la voie. »
Signalons que Peter Nkurunziza Aboubakar a été désigné commissaire chargé des questions des anciens combattants.
Réactions
Kefa Nibizi : « Ses discours manquent d’actions concrètes d’accompagnement »
Pour lui, il s’agit d’un début qui pourrait amorcer un changement significatif dans l’avenir pour que le pays puisse être sur la bonne ligne de bonne gouvernance économique.
Cependant, tient-il à nuancer, les discours du président de la République renferment deux volontés qui sont difficiles à marier.
Il s’agit, explique-t-il, de la volonté de promouvoir une bonne gouvernance administrative et financière. Mais aussi il s’agit de la volonté de voir son système politique garder le monopole de la gestion du pays du début jusqu’à la fin.
« Quand nous disons qu’il est en train de toucher ses compagnons de lutte, il ne peut pas le faire autrement parce que le pays est géré de la base au sommet par les membres de son système politique », renchérit-il.
Par ailleurs, doute ce politique, il sera difficile pour ce système politique qui a été caractérisé depuis ses débuts par des actes de mauvaise gouvernance administrative et financière d’opérer un changement significatif.
Et de proposer des pistes de solution. « Il faut que le président Ndayishimiye abandonne de confier les responsabilités aux seuls militants de son parti politique en cherchant des collaborateurs dans d’autres groupes socio-politiques »
En outre, ajoute-t-il, il faut qu’il applique la loi en ce qui est de la déclaration des avoirs pour les hautes autorités en appliquant la Constitution et de la loi anti-corruption.
Nibizi recommande aussi que les grands dignitaires s’abstiennent des activités commerciales qui pourraient user de leur influence pour s’accaparer des intérêts indus ou faire une concurrence déloyale vis-à-vis d’autres acteurs économiques.
Il propose de redynamiser d’autres organes de lutte contre la corruption qui sont à l’abandon comme la brigade anti-corruption. « Pour l’année en cours, elle n’est pas inscrite dans le budget. C’est un paradoxe », s’étonne-t-il, tout en suggérant des organes de prévention. « Il ne faudra pas seulement punir, il faut aussi penser à la prévention ».
Aloys Baricako : « Il est temps que le chef de l’Etat agisse et cesse de se plaindre »
Pour lui, c’est étonnant quand un chef de l’État élu démocratiquement et qui a la légitimité, avec le soutien populaire, se lamente. « Il ne peut pas être embêté par une poignée d’individus, un groupe de cadres ou d’hommes d’affaires qu’il peut démettre de leur fonction et mettre finalement les choses sur les rails comme si de rien n’était».
Baricako rappelle que quand le président a déposé son Premier ministre, les gens croyaient que les choses allaient s’améliorer. Il déplore le contraire. Il indique que pendant la période de transition sous Domitien Ndayizeye, Alphonse Marie Kadege, son vice-président a été déposé et les choses se sont améliorées. « De même le président peut se débarrasser de ce petit groupe. De toute façon, quelque chose cloche à l’interne du parti majoritaire et chez les proches du président. Pourquoi se plaindre ? C’est qu’il y a des gens qu’il ne faut pas toucher. Ça devient dangereux».
Pour le président du RANAC, si de tels groupes sont constitués, ce sont des mafias et les mafias sont très bien organisées qu’ils sont difficiles à démanteler. « Les mafias sont intimidées par de simples discours. Ils les considèrent comme des épouvantails fabriqués pour effrayer les oiseaux. Pour les contraindre à marcher dans la voie du président, il faut la puissance publique qui est la loi. Pourquoi ne pas les sanctionner ?
D’après Aloys Baricako, il est temps que le chef de l’Etat agisse et cesse de se plaindre. Il doit dépasser toute considération d’appartenance politique, familiale, régionale et éviter le népotisme dans la nomination dans les hautes fonctions. Il importe d’exiger un cahier de charge dans le strict respect du plan d’action et du budget annuel. « En réalité, si le principe du budget programme est mis en application par toutes les institutions et services de l’État, rien ne pourra empêcher le bon fonctionnement de la machine gouvernementale ».
Abdoul Kassim : « En 2025, les électeurs devront alors être conséquents pour corriger la gouvernance »
Pour le président de l’UPD-Zigamibanga, les Burundais devraient les remercier aux élections de 2025. « Comme le Président pointe le doigt sur les membres de son parti en ce moment où nous nous approchons des élections de 2025, les électeurs devront alors être conséquents pour corriger la gouvernance du pays », insiste Abdoul Kassim.
Simon Bizimungu : « Il faut les traquer pour les punir conformément à la loi »
D’après M. Bizimungu, comme le président a compris que ceux qui sont des ennemis de la nation, l’heure est à les traquer. Les lois, dit-il, sont claires, les sanctions ne doivent pas tarder. « S’il réalise que ses compagnons de lutte, qui occupent d’ailleurs tous les postes clés, sont des corrompus, c’est le moment de les démettre. Il est grand temps que les nominations ne se fassent pas sur base du militantisme mais par mérite et compétences pour avancer le pays ».
Gabriel Rufyiri : « M. Ndayishimiye doit joindre les actes aux paroles »
Pour lui, les routes ne durent pas longtemps, des bâtiments, des barrages ne sont pas achevés. Depuis 18 ans, explique-t-il, des scandales de corruption, de malversations, des détournements et dilapidations sont légion alors que les textes sont clairs. « Le parti au pouvoir en général et les autorités en particulier qui sont responsables ».
Rufyiri rappelle que la Constitution responsabilise l’exécutif pour gérer la chose publique de manière transparente suivant les principes de la bonne gouvernance. Il parle de la loi organique des finances publiques de 2008 responsabilise les institutions républicaines, chacun en ce qui le concerne.
D’après lui, on n’a pas besoin des actions sporadiques par l’emprisonnement de tel ou tel non. Il faut, insiste-t-il, des réformes profondes. Il prend l’OBR comme un modèle. « Ils ont amené un expert extérieur qui a institué des indicateurs de performances évaluables. Pourquoi ne pas le faire dans d’autres domaines. Si quelqu’un est recruté pour avoir milité et fait la propagande, le résultat c’est de la médiocrité. Pas de résultats chez qui on n’a pas donné un cahier de charge et des indicateurs d’évaluation ».
Cet activiste de la société civile appelle Evariste Ndayishimiye à joindre l’acte à la parole avec une méthodologie acceptée scientifiquement. A ce propos, il y a quatre niveaux de réussite. Il s’agit d’abord de ce discours politique, clair qui montre où aller. Secundo, ce sont des documents de politique, de réforme, de vision et de plan d’action opérationnel avec des indicateurs et des techniques poussés de suivi-évaluation.
Tertio, ce sont des hommes et femmes qualifiés qui peuvent avancer dans le pays. Quarto, c’est l’affectation des moyens nécessaires pour y arriver. En cinquième position, M. Rufyiri parle d’un mécanisme fort de contrôle pour être efficace.
Enfin, Gabriel Rufyiri prône des sanctions sévères pour décourager les coupables de détournement. « Quand on ne parvient pas à sanctionner les coupables d’une manière claire. Vous voyez que c’est toute une chaîne de commandement pour arriver aux résultats escomptés », conclut-il.
Hamza Venant Burikukiye : « Il a également tourné le dos aux hypocrites de son camp »
Pour lui, le chef de l’Etat devrait être encouragé et soutenu en pointant du doigt tous les auteurs de malversations économiques qui freinent ou ralentissent l’élan vers le développement. « Ceux qui menacent l’économie, dit-il, sont des véritables ennemis du pays et de son peuple uni, paisible et laborieux pour leur épanouissement socio-économique vers la vision 2040, pays émergeant et 2060, pays développé ».
Par jeremie Misago et Hervé Mugisha (Iwacu)