Libère Bukobero : « Si nous voulons des devises, il faut investir fortement dans la production du café en quantité et en qualité suffisantes. »

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Les Etats-Unis comptent investir au cours des cinq prochaines années 54 millions de USD afin de soutenir le secteur du café et d’aider dans l’alimentation scolaire au Burundi. Afin de pallier la baisse continuelle de la production du café, le gouvernement burundais a l’intention de redynamiser la filière café après l’échec de la privatisation et de son réengagement dans la filière café. Libère Bukobero, secrétaire général de l’Adisco (Appui au développement intégral et à la Solidarité sur les collines) revient sur les problèmes qui minent la filière café et propose des solutions.

Quelle analyse faites-vous de la filière café au Burundi actuellement ?

La filière café est dans la tourmente à cause des mauvaises politiques et d’un manque de stratégies pour le développement de cette culture.

Le café est le produit principal d’exportation qui procure un revenu significatif au pays. Par conséquent, c’est là où on devrait mettre toutes les énergies. Le gouvernement est en train de se réveiller mais il a du pain sur la planche. Il y a des ménages qui n’ont pas trouvé d’intérêt dans cette culture et qui ont commencé à arracher les vergers.

Je me souviens que dans les années 70, il y avait des camions qui venaient à Ruyigi et à Cankuzo pour récupérer du café. C’était une grande campagne pour que les ménages reçoivent de nouveaux billets. C’était la liesse. On mangeait du pain. On achetait des pagnes.

On buvait de la bière. Ces campagnes ne sont plus qu’un souvenir. Il n’y a pas eu assez d’initiatives même si, d’un côté, les producteurs se sont organisés dans des coopératives. Le café a diminué en quantité. C’est déplorable vu la situation que nous vivons. Si rien n’est fait stratégiquement, le Burundi va connaître des difficultés énormes surtout en matière de marché international pour avoir des devises.

Quid de la privatisation ?

C’est de l’histoire. Il s’est agi d’une incompréhension des parties prenantes. C’est quoi la privatisation ? On privatise quoi ? Premièrement, le verger appartient aux familles.

C’est donc du privé. Qu’est-ce qui n’était pas privatisé ? Ce qui n’était pas privatisé, ce sont les usines de transformation ainsi que les Sogestal qui semblaient être une propriété de l’Etat. Mais pour moi, les Sogestal étaient devenus des lieux de fraude pour voler la communauté. Ce sont ces instruments qu’il fallait privatiser.

En réalité, la privatisation de la filière café a été mal conduite. On avait demandé que ce soient les producteurs eux-mêmes qui prennent la majorité des maillons de la filière et les contrôlent. Cela n’a pas été le cas. Heureusement, Adisco, avec les autres organisations comme Inades et la Confédération nationale des associations des caféiculteurs du Burundi (Cnac Murima w’Isangi) ont fourni des efforts pour accompagner les ménages à s’organiser en coopératives et à développer des stations de lavage.

C’est à ce moment que les coopératives se sont organisées en consortium Cococa (Consortium des coopératives de café) qui, maintenant, arrive à vendre du café. D’une manière générale, une partie de la filière a été quand même récupérée par les producteurs eux-mêmes.

Aujourd’hui, Cococa vend le café à un bon prix. Il rapporte toutes les devises à l’Etat à travers la Banque centrale. Un rapatriement parfait. Voilà un mécanisme qu’il fallait exploiter et privilégier. Malheureusement, Cococa n’est pas soutenu par l’Office pour le développement du café au Burundi (Odeca).

L’Odeca est en même temps régulateur et acheteur du café. Est-ce normal ?

L’office mis en place est en train de jouer en même temps le rôle d’acteur et le rôle de régulateur. C’est de l’amalgame. S’il continue de jouer ces deux rôles, on aura échoué comme la privatisation a raté. Je proposerais qu’il y ait un dialogue franc entre les partenaires concernés pour que l’on puisse clarifier les fonctions de l’Odeca.

Ce dernier doit en principe assurer la régulation et non l’action de production et de commercialisation du café. Ce n’est pas le rôle de l’Etat. C’est plutôt le rôle des producteurs. Que le gouvernement puisse avoir ses propres plantations, c’est un rêve chimérique, une utopie. Ce n’est plus possible que le gouvernement puisse avoir des plantations de café.

Cela a existé sous le régime Uprona, mais aucune plantation n’existe plus. Le gouvernement veut aujourd’hui commettre les mêmes erreurs que celles commises sous la Ière et la IIe Républiques. L’Etat n’est pas un bon producteur de café. Les bons producteurs sont les paysans caféiculteurs.

Quid du rapatriement des devises issues de la vente du café ?

Pour rapatrier les devises issues du café, il n’y a qu’un seul canal. Il faut privilégier les organismes nationaux comme les coopératives nationales ou les sociétés burundaises qui vendent du café sous le contrôle du gouvernement. C’est le seul moyen pour ramener les devises.

Si on donne le champ libre aux multinationales, les devises se feront toujours rares. Il faut que la BRB accepte de donner l’argent à Cococa avec un taux favorable pour encourager les producteurs. Il s’agit d’une question de souveraineté. Les multinationales ne peuvent pas développer le Burundi.

Pour vous, quelles sont les actions à mener pour redynamiser cette filière ?

On ne peut pas amorcer une croissance économique sans investissements. Si nous voulons des devises, il faut investir fortement dans la production du café en quantité et en qualité suffisantes. Il faut augmenter les vergers de café. Avec la démographie galopante et l’exigüité des terres, les gens ont peur de ne plus trouver à manger.

Ils ont par conséquent tendance à arracher le café pour le remplacer par le haricot. Ce dernier peut être acheté ailleurs. Ce qui n’est pas le cas pour le café. Il faut aussi augmenter les emblavures de café.

Comment le faire ?

Il faut rendre obligatoire la plantation du café comme à l’époque de la colonisation. Au niveau du gouvernement, il faut se mettre ensemble pour réfléchir sur les mécanismes d’obligation sans coercition pour augmenter les plantations de café.

Par exemple, il faut décider qu’un jeune garçon ne pourra pas se marier sans montrer un verger de 50 ou 100 pieds café ; que celui qui n’aura pas planté de café n’aura pas droit à une carte d’assurance-maladie. Un enfant qui réussit à l’école, on pourra lui donner des plants de café à planter à la maison comme on donne des bourses d’études aux élèves.

Les enfants pourront ainsi être encouragés à planter le café. On peut faire renaître encore une fois le café dans les jardins scolaires. Il y a plusieurs moyens pour le faire, il suffit de trouver des mécanismes de stimulation appropriés pour que la jeunesse puisse comprendre que sans café, le Burundi n’est plus.

Propos recueillis par Fabrice Manirakiza