Cette semaine passée, qui a culminé avec la date historique du 16 novembre, a été marquée par une grande effervescence et dévotion pour les héros de la guerre de libération et pour le retour à la démocratie au Burundi. Cette expression de gratitude s’est bien déroulée. Encore, faudrait-il l’améliorer!
Bien entendu, dès que les moyens le permettront, il faudra améliorer le sort des orphelins, des veufs, des handicapés de guerre et des parents qui ont perdu les leurs.
Ne faudra-t-il pas, à l’avenir, équilibrer la reconnaissance attribuée, à juste titre, aux compatriotes qui ont utilisé les armes pour libérer le pays avec ceux qui ont utilisé d’autres moyens indispensables pour la libération et le retour à la démocratie? En effet, cette lutte n’a pas été que militaire. Elle a été politique, idéologique et médiatique, ce qui semble être pas suffisamment pris en compte.
Commençons par les militants politiques et idéologiques qui opéraient sur terrains. Ceux qu’on appelait les Mike Papa. Peu d’images de cette catégorie de militants ont circulé cette semaine du 16 novembre. Sans nécessairement devoir égaler à celles des combattants, il aurait fallu leur réserver bien plus. Les Mike Papa ont joué un rôle politique et idéologique capital dans la mobilisation et l’encadrement des citoyens mis en débandades par l’armée gouvernementale d’alors.
Bien que ceux qui ont mené la lutte médiatique n’ont pas été évoqués cette semaine du 16 novembre, il faut savoir que l’effet sur la motivation des citoyens dans leur détermination à offrir de l’argent pour acheter les armes a été régulièrement provoqué par le personnel de la Radio Démocratie et les radio mondiales, comme la BBC, informées quotidiennement par le Porte-Parole qui était conseillé et appuyé par les 15 membres de son cabinet. Les citoyens écoutaient avec assiduité ces radios. Plusieurs citoyens se cachaient pour écouter ces radios ce qui indiquait la détermination des citoyens au point que la plupart des citoyens, cachaient les combattants, les nourrissaient, donnaient les renseignements sur les positions de l’ennemi et cotisaient l’argent pour l’achat des armes.
En plus de l’opinion nationale, les radios mondiales créaient l’opinion mondiale qui influençait les diplomates et leurs chefs. Ceux-ci ont réagi de deux manières: la plupart ont poussé vers les négociations; quatre autres africains ont soit fourni directement les armes soit donné de l’argent pour acheter les armes dans le but d’équilibrer les forces des belligérants afin que les négociations soient possibles et réalistes. Tout ceci pour dire que les armes ne provenaient pas exclusivement de l’action des combattant. Certes, une partie des armes a été acquise directement par les embuscades faites par les combattants. En outre, par voie, indirecte, les combattants imposaient des taxes aux riches, surtout commerçants, ce qui contribuait à l’achat des armes.
Enfin, dans le cadre de la reconnaissance du rôle politique, il faut cependant, féliciter absolument les auteurs du documentaire, sur INTWARI, qui ont mis en évidence les grands hommes politiques qui ont été à la tête de la lutte pour la démocratie depuis l’indépendance et ceux qui ont commencé la lutte armée. Même si l’un ou l’autre a commis des erreurs!
Depuis la signature des Accords d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi, plus de 18 ans se sont déjà écoulés. C’est dire qu’il y a actuellement une frange importante de jeunes en âge d’aller voter aux élections de 2020 qui seraient susceptibles d’ignorer les tenants et les aboutissant d’un tel événement historique.
Voici la fin de la semaine dédiée aux combattants du CNDD-FDD, ce temps social qui permet aux Bagumyabanga, Bakenyererarugamba, Imbonerakumwe et ami du CNDD-FDD de partager les émotions et de renouveler leur engagement, à veiller à la paix, l’unité et la démocratie retrouvées.
C’est l’occasion d’expliciter, si besoin en est, que le CNDD-FDD en tant que mouvement politico-militaire était constitué de combattants civils et militaires dont nous venons de saluer le courage, l’abnégation et le don de soi.
Le mouvement CNDD-FDD avec sa composante politique, constituée d’éléments essentiellement civils, assurait au quotidien l’action cruciale et déterminante notamment porter haut et fort la légitimité de la lutte en sensibilisant l’opinion nationale et internationale sur les enjeux de cette lutte que le pouvoir en place s’obstinait à appeler « Rébellion ».
On peut dans le premier temps s’en tenir à la direction du CNDD-FDD et au cabinet du Porte-Parole du CNDD- FDD qui ont assuré la visibilité et la légitimité dans un contexte géopolitique difficile où les tenants de l’ordre de domination surfaient sans cesse sur les émotions suscitées par le génocide rwandais fraichement ancré dans le conscient collectif. Ils étaient ainsi assurés du soutien de leurs maîtres, ceux-là mêmes qui donnent du fil à retordre aux actuelles institutions démocratiquement élues, dont ils entretenaient la mauvaise conscience par un reproche constant de ne pas être intervenu pour éviter le drame rwandais.
Par ce chantage abject, les tenants de l’éternel hier s’assuraient du soutien de la communauté internationale. Il fallait donc convaincre cette communauté internationale du bienfondé de la lutte du peuple en arme. Dans cette tâche, pendant dix ans, la direction du CNDD-FDD et le cabinet du porte-parole ont incarné la voix et le visage du peuple burundais en arme contre l’oligarchie et l’armée monoethnique en rébellion contre la démocratie. Du côté des combattants et de l’armée burundaise, le porte-parole incarnait à lui tout seul la sixième colonne du peuple burundais en arme.
Tels des obus de l’orgue de Staline, les communiqués, conférences et interviews à la Voix d’Amérique, BBC et Radio France internationale, Canal Afrique, Africa N°1 … avaient une force de frappe assourdissante et ne laissaient personne indifférent. Ses formulations ramassées et fracassantes, comme celles de Peuple en arme, l’Armée Monoethnique Tutsie en Rébellion contre la démocratie (AMT), les camps de Concentration de type nazi, et autres formulations injectées constamment dans l’espace médiatique burundais et mondial étaient de véritables condensées de la situation qui prévalaient au Burundi pendant la période de la lutte.
Chacune de ses interventions constituait une véritable montée au front et tenait en haleine l’opinion publique burundaise et internationale qui, presque dix ans durant, n’a eu de cesse d’entendre la voix aigüe et percutante du Porte-parole omniprésente sur tous les fronts médiatiques et diplomatiques.
Cependant voilà, depuis le mois de décembre 2002 la paix retrouvée, cette voix s’est éteinte et a cessé d’émettre. Et l’histoire du CNDD-FDD a pris un autre tournant au-delà des prestations patriotiques de l’ancien porte-parole hors pair qui avait constitué, à lui tout seul la pointe du fer de lance de la lutte contre ce qu’un des membres de son cabinet appelait l’Etat « bandit et l’ordre public assassin ».
Ses interventions n’ont jamais été des appels à la guerre mais véhiculaient l’idéologie du mouvement et les valeurs démocratiques qui la sous-tendaient, à savoir un Etat de droit respectueux des droits de l’homme, à la fois individuels et collectifs, la justice sociale distributive, la décentralisation et la valorisation des collectivités locales avec le principe de participation et de subsidiarité « kunganirana » comme toile de fond de l’action collective.
Une mise en exergue historique de cette sixième colonne du CNDD-FDD constituée des anciens membres des cabinets de la direction du CNDD-FDD et du porte-parole est donc dans ce contexte à propos. Ils ont assumé dans des conditions difficiles le devoir d’appui idéologique à l’action militaire. Sans cet appui, la légitimité de l’action militaire n’aurait jamais été reconnue. J’en appelle à la vulgarisation correcte des noms de ces hommes et femmes qui ont donné de leur vie, de leur temps, de leur savoir et leur savoir-faire pour que les burundais d’aujourd’hui et les générations futures vivent débout dans un Burundi bwa Nyaburunga pacifié et unifié.
Nous avons en effet la fâcheuse habitude de célébrer et honorer nos héros quand ceux-ci ne sont plus de ce monde. C’est néanmoins du vivant qu’un héro peut jouir de cette reconnaissance méritée. A défaut de jouir matériellement des retombées de la paix (gukamisha amahoro), cette reconnaissance serait notre satisfaction.
E. MIHIGO,
Ancien membre du cabinet du Porte-Parole du CNDD-FDD