Autant en emporte le vent
Les unes après les autres, les formations politiques burundaises annoncent des coalitions dans le but de chasser leCNDD-FDD du pouvoir. Ces coalitions ne vont pas plus loin que les effets d’annonce. Et comme la mort-née coalition entre le FRODEBU et le FRODEBU-Nyakuri, qu’on nous avait annoncée tambours battants, et qui devait sceller le retour au bercail des dissidents de la formation qui a gagné le scrutin historique de 1993, la coalition annoncée entre leFNL de Rwasa Agathon, l’UPRONA de Charles Nditije et le FRODEBU Nyakuri de Minani Jean, risque de mourir au feuilleton.
Une démarche douteuse : le sommet d’abord, la base ensuite (ou éventuellement)
Les raisons de cette mort tiennent d’abord à la démarche. Des dirigeants des formations politiques, généralement bien installés à Bujumbura, décident ensemble de mettre leurs forces – et j’imagine, leurs électorats respectifs – en commun. Les citoyens membres des partis politiques ne sont pas un cheptel, un troupeau de moutons que les bergers mèneraient où ils veulent, sans consultation préalable. On décide au sommet, puis on enfonce en travers de la gorge des électeurs de la base les décisions prises sans eux – et qui risquent d’être interprétées comme des décisions prises contre eux.
Les bases électorales respectives des trois formations sont différentes, n’en déplaise à ceux qui proclament urbi et orbi la fin des clivages ethniques, sans le moindre commencement du début de la queue d’une statistique pour appuyer leurs affirmations. Historiquement, les blessures que nous nous sommes infligées ne sont pas encore cicatrisées. Je verrais difficilement ce vieil électeur uproniste accroché depuis des décennies à son parti comme à une bouée de sauvetage pendant la tempête, voter pour un candidat du FNL parce que sa formation politique a décidé, à partir de Bujumbura, que c’est à cet individu que le vote doit aller. De même, je vois difficilement l’électeur typique du FNL voter pour un candidat uproniste, parce que Rwasa Agathon et son équipe de stratèges lui ont dit qu’il doit en être ainsi au sein de cette coalition à la fois hétéroclite et circonstancielle. Le FRODEBU Nyakuri a le beau rôle dans cette entité politique à naître, parce qu’il fournit le cadre légal qui manque aux deux autres formations de la coalition et dans lequel elles pourraient opérer d’ici 2015 ; mais est-il prêt à jouer le jeu à fond, à imposer à ses électeurs l’intégration des candidats des deux autres formations dans des listes communes, pour leur permettre de briguer les suffrages ? Et qui prendra le leadership de la coalition ?
Rwasa, qui avait récolté autour de 15% des suffrages, mais sur qui pèse des accusations dans le dossier des Banyamulenge de Gatumba ? Minani, dont le parti compte à peu près 5% de l’électorat, mais dont la stratégie est insaisissable ? Nditije, dont le parti pesait à peu près 8% de l’électorat avant la saignée opérée par Concilie Nibigira et qui, s’il ne prend pas la tête de la coalition, risque d’être accusé de livrer les upronistes, pieds et poings liés, à une coalition dans laquelle ils ne se reconnaîtront pas ? La question de son ethnie resurgira alors et les accusations de traîtrise ne devraient pas tarder à fuser…
« Le passé n’est jamais mort. Il n’est même pas passé ». William Faulkner
Il y a un certain « jovialisme » dans les analyses politiques burundaises où nombre d’observateurs prennent leurs désirs d’unité nationale pour des réalités politiques. Parce que nous venons de loin, nous mettons des lunettes roses pour scruter les comportements électoraux de nos compatriotes, en rêvant constamment à la fin des clivages ethniques. Au risque de heurter certains de mes compatriotes, je dirais que nous n’avons pas encore soldé les comptes du passé douloureux de notre pays. La coalition annoncée, si elle peut paraître innovante et inspirée par un réalisme politique jamais vu auparavant dans le pays, oublie les blessures de l’histoire, et ce passé qui, décidément, s’entête à ne pas passer.
Les équilibres introduits ou plutôt imposés par Arusha dans le « membership » des partis ne suffisent pas pour proclamer la fin définitive des sensibilités ethniques dans le secret des isoloirs. Certains me prendront pour un dinosaure, incapable de se mettre au diapason des évolutions actuelles de la sociologie politique burundaise. Ou comme un prophète de malheur…Je suis simplement un analyste lucide et réaliste, qui, comme tout le monde, rêve de voir la fin des clivages, mais ne croit pas aux miracles. Le temps, qui guérit toutes les blessures, n’a pas encore eu le temps de cicatriser les nôtres.
La charrue avant les bœufs…
L’autre aspect du problème des coalitions politiques burundaises réside dans le fait qu’elles ont comme seul ciment la haine du parti au pouvoir et la volonté de mettre fin au système qu’il a mis en place. L’intérêt rassemble les hommes mais ne les unit pas, disait Paul Claudel. La seule allergie à la gouvernance du CNDD-FDD fera de cette coalition un attelage improbable de partis juxtaposés plutôt qu’une force réunie par un socle de valeurs communes et une idéologie qui fait consensus en son sein. La seule démarche raisonnable aurait donc été d’élaborer d’abord une plateforme politique commune, de la soumettre aux bases électorales respectives pour approbation et de mener des consultations pour la formation d’une coalition par la suite. La démarche inverse empruntée par ces formations risque d’aboutir à un fiasco retentissant. Et de les décrédibiliser davantage dans l’échiquier politique burundais. J’espère naturellement me tromper dans mes prédictions.
Et pourtant, on a besoin d’opposition
La formation d’une opposition solide, crédible, républicaine, est une nécessité pour notre pays et pour notre démocratie naissante. Comme le dit un proverbe bien de chez nous, umutwe umwe wifasha gusara ntiwifasha gusaba. La synergie vaut mieux que le travail et les entreprises des loups solitaires et du choc des idées, dit-on, jaillit la lumière. L’opposition est une condition du mouvement : l’écrivain malien Amadou Hampaté Bâ soutenait que le mouvement de l’être humain, la marche, vient de l’opposition constante entre le pied gauche et le pied droit. L’immobilisme, la mort, c’est quand les deux pieds ont la même posture, ne s’opposent plus, comme c’est le cas pour les cadavres. L’élection de 2015 nous donnera-t-elle cette opposition que j’appelle de mes voeux et qui permettra de construire le pays, en modérant le cas échéant les ardeurs de la formation au pouvoir ? Il est à espérer que le débat contradictoire et l’acceptation de la diversité des points de vue apparaissent d’abord au sein de cette même formation, pour que cette dynamique d’échanges sereins permette de définir un avenir plus radieux pour l’ensemble des citoyens du pays . Occupés à négocier leur accès au garde-manger, certains acteurs de l’opposition sont souvents prêts à tous les compromis, voire à toutes les compromissions.
Fabien Cishahayo.