Biberk Kana, Africani-News, 24 Février 2015. Les besoins de financement des partis politiques au Burundi sont tels, depuis l’élection dans une circonscription collinaire, en passant par celle des législatifs jusqu’aux présidentielles, qu’ils rendent les politiciens burundais dépendants des subsides en provenance des milieux d’affaires, des cotisations des membres et des autres donateurs, selon des procédures qui sont quelques fois loin d’être transparentes et alimentent de ce fait le soupçon de corruption électorale. L’approche des élections de 2015 est donc le moment le plus délicat et le plus agité au sein des partis politiques de la mouvance présidentielle comme de l’opposition. C’est aussi la période la plus riche en événements comme le montre l’histoire récente du Burundi.
Parlons tout d’abord, à juste titre, d’influence électorale ou plus correctement parlons de lobby électoral. Il ne s’agit plus seulement d’agissements ponctuels et individuels de politiciens ou de bureaucrates mus par l’appât du lucre, mais d’indiquer, par cette formule, que le fonctionnement des institutions, des modes décisionnels, le jeu des acteurs politiques, sont producteurs d’influence corruptive car ils reposent sur des systèmes d’interaction sociale et des schémas psychosociologiques profondément ancrés dans la mentalité collective. Ce jeu d’influence banalisée dans des pays où la démocratie s’est enracinée se trouve au centre du discours de contestation de certains partis politiques de l’opposition burundaise.
Trois classes sociales participent activement à l’influence électorale :
La première classe sociale est celle de la population indécise. Plus particulièrement dans les circonscriptions urbaines mais aussi dans certaines circonscriptions rurales, les cas les plus flagrants de l’influence électorale sont le plus souvent observés. L’électorat y est plus indécis, le lien personnel avec le candidat ou parti politique plus distant, et l’électeur est donc davantage incité à se vendre au plus offrant. D’où la distribution d’Urwarwa, Amstel ou Primus et dans d’autres cas la distribution d’enveloppe d’argent. L’influence électorale prend généralement des allures à la fois plus diffuses et extensives, des sommes considérables sont allouées par les candidats ou partis politiques aux personnalités influentes de leur comité de soutien, des associations de voisinage, des assemblées locales, des coopératives agricoles et des organisations professionnelles. Cet argent sert à des actions de mobilisation du « vote solide », de l’électorat organisé par ces réseaux d’obligations et de clientélisme et constitue également un acte de reconnaissance symbolique de la loyauté ainsi manifestée envers le candidat ou le parti politique dans ces opérations de collecte des voix.
La deuxième classe sociale qui participe activement dans l’influence électorale, est constituée par ceux que j’appelle « les investisseurs. Ils sont très puissants et très opportunistes. Ils n’ont pas d’idéologie politique à défendre à part leurs intérêts économiques. Ils savent bien pronostiquer quels partis vont gagner les élections et ils injectent des grosses sommes dans les trésoreries de ces partis pour bien mener les campagnes, pour récolter des dividendes après les élections (gagner des marchés, consolider leurs réseaux d’influences etc…). C’est ce qu’on appelle « Achat d’option d’achat » ou « achat d’un call » dans le jargon de finances stochastiques. Les conséquences sont telles que quand le monde financier est plus puissant que le monde politique, c’est le sauve-qui-peut qui s’installe, le faible n’a plus de paroles et les valeurs de la démocratie, de la bonne gouvernance tombent dans les poubelles.
La troisième classe sociale concerne les cadres dirigeants des partis politiques. Parlons d’abord du « système cadeau ». Les systèmes d’échange dans la société burundaise, sont particulièrement développés. Le cadeau, qu’il intervienne à des dates périodiques comme le Nouvel An, ou à certaines périodes de la vie comme le mariage, la naissance, l’anniversaire, sortie d’hôpital, décès constitue une pratique sociale souvent incontournable. Il s’inscrit également dans une logique d’interaction et de réciprocité fondée sur à la fois sur l’obligation de restitution et l’équilibre de la dette. Le cadeau sert ainsi de lubrifiant des relations sociales, mais également d’instrument de mesure de la qualité de la relation entre donateur et donataire. Cette dynamique sociale du cadeau a été de longue date instrumentalisée en tant que stratégie institutionnalisée d’approche des individus en position d’influence. Comme nous approchons les élections de 2015, les cadeaux, les lobbyings et les pots de vin sont souvent utilisés sein des partis politiques pour être sur la liste de candidats dans différentes élections. Ce n’est pas étonnants alors de constater que ceux qui ont plus milité et qui sont plus compétents, se retrouvent écartés ou sur la queue de listes. Ce qui engendre des mécontentements et par conséquent des défections.
En conclusion, comme le processus électoral est la clé de voûte de la démocratie, si influence électorale il y a, il en résulte que tout le système politique est affecté de façon négative. En outre, l’influence électorale en privant la compétition politique de sincérité, d’égalité des chances, de compétitivité, au sein des partis politiques vide la démocratie de son contenu réel, c’est-à-dire de son essence même. Elle devient donc une supercherie, une imposture au service d’intérêts-privés d’où la succession et l’ampleur des scandales financiers.
Jusqu’où le renforcement de l’appareil réglementaire peut-il être exigé sans nuire au libre jeu des partis?
Biberk Kana