Au Nord Kivu, l’armée congolaise assure que l’opération Sokola 2 a déjà capturé 6 leaders de groupes armés et 300 armes (un bilan relativement modeste…) tandis que les massacres de civils redoublent d’intensité dans la région de Beni où le nombre de victimes s’élève déjà à plus de 200 morts. Comme si les groupes armés, islamistes et autres, tentaient de dissuader l’offensive militaire en prenant en otages de simples citoyens.
Au Sud Kivu, les opérations de l’armée congolaise, vraisemblablement conduites en collaboration avec des éléments de l’armée rwandaise et avec des informateurs depuis longtemps infiltrés dans le milieu, connaissent plus de succès : sur les haut plateaux de Kalehe au Sud Kivu, plus de 1800 personnes, membres du Congrès national pour le renouveau démocratique (CNRD) un groupe armé hutu, ont été capturées et amenées dans le camp militaire de Nyamunyunyi. Ailleurs dans la province, à Walungu et Kayabahonga entre autres, la population locale, sur la défensive, voit passer des groupes sortis de la grande forêt où ils ont été traqués par l’armée et se dirigeant vers la frontière du Rwanda.
Depuis un quart de siècle, ces groupes de Hutus qui avaient été impliqués dans le génocide de 1994, ont trouvé refuge dans les forêts du Congo. Ils se sont réorganisés en mouvements militaires, ont survécu en exploitant les ressources minières et forestières, ont souvent assuré leur autorité sur la population locale en multipliant les attaques à main armée, les viols avec extrême violence, les enlèvements de femmes et d’enfants. Mais ils ont aussi « tenu » en nouant des alliances avec des groupes armés locaux, en emmenant des femmes congolaises comme épouses, forcées ou consentantes, en passant des contrats avec des intermédiaires et des commerçants de la place afin de pouvoir faire sortir leurs produits de la forêt. De telles interactions ont rendu la situation humanitaire plus complexe que jamais et cette dernière inquiète désormais les organisations telles que le Comité international de la Croix rouge qui souligne la « situation critique » régnant dans le camp militaire de Nyamunyunyi où 17 personnes dont 9 enfants sont décédées et où se trouvent encore plus de 1400 personnes..
Si les images venues du camp démontrent la présence d’hommes d’une cinquantaine d’années, vraisemblablement présents au Congo depuis un quart de siècle, le CICR pour sa part assure que « l’on compte beaucoup de personnes particulièrement vulnérables comme des blessés, des malades, des femmes enceintes et des enfants non accompagnés ainsi que des personnes handicapées. » Deux blessés et dix enfants malades ont déjà été transférés à l’hôpital provincial de Bukavu, qui est actuellement saturé tandis que le CICR a recueilli 281 enfants qui ont été placés en urgence dans un centre de transit et d’orientation géré par une ONG locale, le Bureau pour le volontariat au service de l’enfance et de la santé (BVES).
Spécialisé dans la protection de l’enfance et dirigée par Mouna Murhabazi, qui vient d’obtenir en France le prix de la défense des droits de l’homme, le BVES travaille depuis plus de deux décennies avec le CICR : ses équipes, au péril de leur vie, vont rechercher les enfants détenus au sein des groupes armés campant dans la forêt, les repèrent dans les prisons et les centres de détention, les identifient parmi les démobilisés qui se sont rendus à l’armée congolaise. Après que les mineurs aient été emmenés dans des centres de transit du BVES où leurs sont fournis des vêtements civils, des soins médicaux et des entretiens avec des psychologues, le CICR est sollicité pour retrouver les familles d’origine de ces enfants et pour examiner les conditions de leur éventuel retour.
Dans le cas actuel, le CICR s’émeut des conditions de détention des groupes capturés et rappelle que le processus de transfert doit s’opérer en pleine conformité avec les garanties établies par le droit international. Il souligne aussi que « les personnes privées de liberté, leurs familles, les malades et les blessés doivent être traités avec humanité et dans le respect de leur dignité. »
A noter que lorsque les réfugiés sont transférés vers le Rwanda, ils sont dirigés vers le centre de transit de Mutobo dans l’Ouest du pays où 10.000 d’entre eux ont déjà été accueillis. Là on leur explique le « mode d’emploi »’ d’un pays qui a fortement changé depuis un quart de siècle : principes régissant un système où les distinctions d’ordre ethnique ont été abolies (en principe en tous cas), fonctionnement du système bancaire, nouveau découpage du territoire et nom des provinces etc… Ils sont aussi examinés par des médecins, vaccinés et soignés s’il le faut, en particulier les femmes enceintes. Après un temps d’écolage et d’adaptation, ces réfugiés dotés d’une nouvelle carte d’identité rwandaise sont dirigés vers leur colline d’origine et aidés à s’y réinsérer s’ils n’y retrouvent ni maison ni champ à cultiver. Il est également prévu que la justice examine leur cas par la suite.
Le carnet de Colette Braeckman, 18 déc 2019