Tout à la fois président de l’Assemblée nationale et président du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), Pascal Nyabenda, 49 ans, est devenu l’un des hommes forts du régime lorsque les tensions se sont accrues voici huit mois.
Jeune Afrique : Le génocide est un scénario plausible au Burundi, lit-on dans un mémo onusien. Qu’en dites-vous ?
Pascal Nyabenda : Ce n’est pas la première fois que l’on évoque ce mot. Mais ce que nous disons, ce que nous avons toujours dit, c’est que ce mot vient du Rwanda. C’est la chanson des Rwandais. Au Burundi, on ne songe pas à cela. Dans notre gouvernement, nous comptons 60% de Hutus et 40% de Tutsis :comment un tel gouvernement pourrait-il faire un génocide ? À la présidence, il y a dans le protocole du chef de l’État des Tutsis et des Hutus, l’officier garde du corps du président est un Tutsi. Arusha a résolu le problème. Cet accord (signé en 2000, ndlr) nous a donné les solutions, il suffit simplement de les renforcer et de les améliorer.
Il y a pourtant eu des déclarations virulentes ces derniers mois, comme celle du président du Sénat, Révérien Ndikuriyo, qui a dit ceci devant ses partisans: « Vous devez pulvériser, vous devez exterminer ces gens (…) Attendez le jour où l’on dira « travaillez », vous verrez la différence ! »…
Je connais bien le président du Sénat, il est membre du parti (CNDD-FDD, ndlr). Il n’a pas ces intentions-là. On a comparé ses propos à ceux qui avaient été tenus au Rwanda avant le génocide. Malheureusement, le kirundi et le kinyarwanda se ressemblent. Des termes utilisés en kirundi sonnent de la même façon qu’en kinyarwanda, mais la signification n’est pas la même. Ce sont deux situations très différentes. C’est incomparable. Au Burundi, vu comment la société fonctionne et comment les Hutus et les Tutsis se donnent les filles en mariage, un génocide est impossible. Le monde doit le savoir.
Qui aurait intérêt à faire croire à un génocide au Burundi ?
Je vous l’ai dit : le Rwanda. C’est eux qui vendent ce terme.
Croyez-vous, comme certains membres de votre parti, à un complot international ?
Oui, il y a une main derrière tout cela.
Quelle main ?
Celle du Rwanda, qui voudrait contrôler tous les pays où se trouvent des Tutsis. Celle de la Belgique. D’ailleurs, nombre de putschistes (ainsi appelle-t-on dans les sphères du pouvoir les opposants et membres de la société civile qui ont pris le chemin de l’exil ces derniers mois, et que le régime accuse d’avoir soutenu la tentative de coup d’Etat du 13 mai 2015, ndlr) sont partis à Kigali ou à Bruxelles, où ils sont logés et nourris. Ils étaient en mission !
Un des autres scénarii évoqués dans le mémo onusien, c’est une guerre civile…
Là aussi je dis non. Il n’y a pas de guerre civile. Mais des perturbations, oui, car il y a aujourd’hui des jeunes qui sont armés dans certains quartiers. Je pose la question : d’où viennent ces armes, et qui les fournit ?
J’en pose une autre : comment expliquez-vous que des jeunes civils en viennent à prendre les armes ?
Ils ont commencé en lançant des pierres sur les policiers en avril. Maintenant ils ont des armes. Les personnes qui les ont utilisés pendant les manifestations (des mois d’avril et de mai, ndlr) sont les mêmes personnes qui leur fournissent des armes aujourd’hui. L’initiative ne vient pas d’eux.
Ils disent qu’ils s’arment pour se protéger des exactions des forces de l’ordre…
Pas du tout ! Ils s’arment car ils veulent nous enlever du pouvoir. Ils ont commencé le 26 avril à manifester, et le 13 mai il y a eu une tentative de coup d’État… Tout cela avait un même but : chasser le CNDD-FDD du pouvoir. Ce sont des anti-démocrates. Nous avons deux groupes au Burundi désormais : un groupe de gens, dont je fais partie, qui défendent la démocratie ; et un groupe d’autres gens. Ceux là disent : « Le CNDD-FDD a occupé tout le terrain, on ne pourra pas accéder au pouvoir par les urnes, nous devons chercher d’autres moyens pour accéder au pouvoir ».
Le quotidien des habitants de la capitale est fait d’arrestations, de violences et d’assassinats. Les gens ont peur, y compris hors de Bujumbura.
C’est vrai, il y a eu des coups de feu et des victimes, mais seulement à Bujumbura. Il n’y a rien de tout cela à l’intérieur du pays. Nous avons 3000 collines, je peux dire que 98% de la superficie du territoire est calme. Même à Bujumbura, les gens vaquent à leurs activités. Il y a juste quelques quartiers qui restent turbulents.
Le 11 décembre, des camps militaires ont été attaqués. Les jours suivants, des dizaines de corps ont été retrouvés sans vie dans la rue. On parle de 150 morts, peut-être plus. Les forces de l’ordre se sont-elles rendues coupables d’exactions ?
En l’espace de six mois, il y a eu deux attaques, celle du 13 mai et celle du 11 décembre. Les forces de l’ordre ont normalement répliqué à ceux qui les attaquaient. Ceux qui ont organisé ces attaques cherchaient des sacrifices pour pouvoir faire tomber le Burundi.
Des témoins affirment que ce sont des jeunes civils qui ont été tués. Mentent-ils ?
Ils parlent de civils parce qu’ils n’avaient pas de tenues militaires. Mais ils étaient armés. Ils ont attaqué les camps en civil.
Pourquoi avoir jeté leurs corps dans la rue ?
Je ne sais pas. Avec les coups de feu, j’étais à la maison.
Vous opposeriez-vous à une commission d’enquête ?
Il y a les experts de l’Union africaine qui sont ici.
Comment sortir de cette situation ?
La voie la plus sure, c’est de s’asseoir ensemble autour d’une table afin de trouver des solutions. Nous devons nous regarder en face, et nous dire : « Plus jamais ça ».
Acceptez-vous de discuter avec les opposants en exil ?
Parmi ceux qui sont en exil, certains sont des putschistes. Ce qu’il faudrait, c’est que la justice dise qui est considéré comme putschiste et qui ne l’est pas. Le gouvernement ne peut pas discuter avec des putschistes.
Irez-vous négocier à Arusha, sous l’égide du médiateur ougandais ?
Le dialogue dont on parle est le dialogue de tous les Burundais. Même le Burundais qui se trouve sur la colline, qui a participé aux élections, qui a donné un message clair en disant : « je suis pour la démocratie », on doit l’écouter. Tous les Burundais ne pourront pas aller à Arusha. Donc nous sommes pour le dialogue externe, mais surtout pour le dialogue interne.
Le CNDD-FDD, que vous présidez, n’est-il pas devenu un parti-État ?
Mais enfin… Il y a 30 députés indépendants à l’Assemblée nationale, contre 90 du CNDD-FDD. Dans le pays, il y a des gens qui aiment le parti, mais il y en a d’autres qui en soutiennent d’autres.
Le parti a exclu ou suspendu l’année dernière plusieurs dizaines de ses membres qui avaient osé s’opposer au troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Peut-on y exprimer des points de vue différents ?
Absolument. Mais au sein des organes du parti, pas à l’extérieur. Il faut respecter une certaine discipline. Ceux qui ont été suspendus seront bientôt réintégrés. Et ceux qui ont été exclus pourraient revenir un jour.
Les jeunes du parti, les « Imbonerakure », sont accusés de terroriser la population et de participer à des opérations de police…
Actuellement ? Je pense plutôt qu’ils sont à féliciter. Grâce à une grande discipline, ils n’ont pas répondu aux manifestants. Ils n’ont pas régi quand on les attaquait. Un Imbonerakure a été brulé vif. A-t-on vu un manifestant être brûlé vif ?
Rémi Carayol
Source: Jeune Afrique