Alors que l’Union Européenne s’effiloche quelque peu, menacée notamment par une sortie du Royaume-Uni (Brexit) et la crise des migrants, le monde de la finance du continent africain se rapproche chaque jour un peu plus.
Le bureau de l’Association des banques centrales africaines (ABCA) vient ainsi de se réunir cette semaine à Dakar, capitale sénégalaise, au siège de la Banque Centrale des États de l`Afrique de l`Ouest (BCEAO), en vue de se pencher sur l’état d’avancement du projet d’intégration monétaire de l’Afrique.
A cette occasion, Lucas Abaga Nchama, président de l’ABCA, par ailleurs gouverneur de la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC), a tenu à rappeler à l’ouverture des travaux que les chefs d’Etat avaient décidé en 1991 à Abuja de la création de trois principales institutions financières devant assurer l’intégration monétaire et financière du continent : à savoir le Fonds monétaire africain (FMA), la Banque centrale africaine (BCA) et la Banque africaine d’investissement (BAI). Selon les acteurs du dossier, la coopération entre la commission de l’Union Africaine (UA), l’Association des banques centrales d’Afrique et les Etats membres de l’UA devrait permettre d’effectuer un travail de préparation et de pilotage du processus de réalisation des projets. Les Etats membres ont ainsi l’intention de signer et ratifier leur statut en vue de favoriser le développement et l’émancipation de l’Afrique.
Selon Lucas Abaga Nchama, la prochaine réunion du conseil des gouverneurs qui se tiendra à Abuja, doit être vue comme une opportunité pour avancer dans la mise en œuvre du programme de coopération monétaire en Afrique. « Ce programme constitue notre cadre de convergence pour construire l’intégration monétaire et financière du continent et préparer l’avènement de la monnaie unique », soutient ainsi le président de l’ABCA, souhaitant ainsi insuffler une nouvelle énergie au projet. Une manière aussi d’inciter les Etats à résoudre leurs difficultés à satisfaire les critères de convergence, poussant le conseil des gouverneurs à proroger, en 2013 à Maurice, la période impartie à la phase III. Cette dernière prévoyant le respect du Ratio Déficit budgétaire / PIB inférieur à 3 %, l’élimination du crédit de la Banque Centrale à l’Etat, un taux d’inflation inférieur à 5 % et un Ratio Réserves extérieures / Importations supérieur à 6 mois. Usant de diplomatie, le président de l’ABCA a toutefois ajouté que le caractère souvent « procyclique » des critères retenus et le manque d’harmonie quant à la façon de les calculer ne simplifiait pas les choses. De ce fait, des travaux seront réalisés en vue d’une révision, les conclusions qui en ressortiront devant être présentées lors du prochain conseil des gouverneurs à Abuja au Nigeria.
De son côté, le Dr Anthony Mothae Maruping, Commissaire pour les affaires économiques de la Commission de l’Union Africaine, s’est voulu encore plus insistant, exhortant les participants à la réunion à « accélérer la mise en place des pré-requis indispensables » à la mise en route du processus d’intégration financière en Afrique.
Pour le président de l’Association des Banques Centrales Africaine, le renforcement de l’intégration financière et la coopération bancaire à l’échelle régionale et continentale passera par « l’amélioration des échanges d’informations et la collaboration dans le domaine des activités bancaires transfrontalières ».
C’est dès le 25 mai 1963 que les chefs d’Etats des pays composants l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ancêtre de l’Union Africaine (UA), demandaient la mise en place d’un comité économique en charge de produire des études sur les questions monétaires dans la perspective d’une monnaie unique africaine. Cette volonté des chefs d’Etats s’est traduite par la mise en place de l’Association des gouverneurs des banques centrales africaines (ABCA) et des comités sous régionaux de cette institution, laquelle compte à ce jour 39 Banques centrales.
Le 4 septembre 2002 l’ABCA définissait un programme de travail en vue de mettre en place la monnaie unique africaine. Un an plus tard, en aout 2003, l’ABCA avait annoncé qu’en 2021, l’Afrique sera dotée d’une monnaie unique et d’une banque centrale panafricaine.
En août 2015, Lucas Ababa Nchama avait déclaré que ce rêve pourrait devenir réalité d’ici une quinzaine d’année. « Nous sommes en train de travailler. On peut fixer un horizon. Peut-être 2030. Nous avons préféré adopter une approche graduelle. Constituer d’abord des sous-régions. Il y en a six », avait-il précisé. Le gouverneur de la BEAC avait également précisé qu’en vue de « rester conforme à la théorie économique, notamment celles des zones monétaires optimales où il faut d’abord un minimum de convergence macroéconomique au niveau de l’économie réelle avant de passer au monétaire », la préférence avait été donnée à la « constitution de groupements sous-régionaux. » Lucas Ababa Nchama avait alors également affirmé que le projet était réalisable malgré les conventions liant les pays de la zone Franc (CFA) à la France. « C’est comme l’intégration à l’intérieur de la Cémac [Communauté économique et monétaire de l`Afrique centrale]. Un Etat peut décider d’aller avec les autres, comme il peut décider de revenir », avait-il ajouté, rappelant la souveraineté des Etats. Tout en soulignant : « nous ne sommes pas les otages des Français [mais]» des partenaires ». Précisant que les pays d’Afrique francophone avaient signé une convention monétaire avec le Trésor français juste pour la convertibilité extérieure, il avait au final affirmé : « nous sommes libres».
La création d’une monnaie unique qui constitue certes une utopie pour certains … mais que des pays comme la Chine suivent de près …
Selon l’Abca, la concrétisation du projet favorisera, entre autres, d’importants échanges inter-africains et une intégration politique projetée depuis un demi-siècle. « S’il y a une intégration africaine avec une population jeune, avec tout ce dont regorge le continent africain, nous sommes capables de rêver qu’avant 2050, comme la Chine l’a montré au monde, l’Afrique est capable de devenir une puissance économique mondiale. C’est dans cette perspective que nous travaillons », avait assuré en août 2015 le gouverneur de la BEAC.
Elisabeth Studer