Les banques commerciales dans le collimateur du chef de l’Etat
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Manque des liquidités, difficile accès aux crédits, gestion opaque des devises, … Evariste Ndayishimiye, le président de la République déplore la faible participation des banques commerciales dans le développement du pays. Son constat est qu’il y a une méfiance entre elles et la Banque centrale.

La question du manque de devises préoccupe toujours le chef de l’Etat : « Les étrangers qui viennent au Burundi sont nombreux. Quand on fait un tour, on voit des bureaux de changes, des cambistes sont là. Mais, on ne trouve pas des dollars. Est-ce que ces bureaux travaillent avec les banques commerciales ? Pourquoi on ne voit pas des devises ? Où on met cet argent collecté ? », a-t-il déclaré, ce mardi, à Ntare House, lors d’une réunion avec les dirigeants des banques et les entrepreneurs.

D’après lui, tous les week-ends, les plages du lac Tanganyika sont peuplées par des Rwandais, des étrangers. « N’apportent-ils pas des dollars ? Au moins des Francs rwandais. On voit les importations mais les devises manquent. »

Le président Ndayishimiye doute de la bonne volonté des banques commerciales : « C’est vous qui devez alerter les organes publics pour nous montrer quoi faire. Ne mentez pas que vous n’en savez rien. On vole au moins plus de 800 millions de dollars. Et apparemment, ça ne semble pas vous inquiéter alors que c’est vous les techniciens. »

Il a d’ailleurs souligné que ces banques devaient prendre le devant dans la création des ressources des richesses. Malheureusement, a-t-il déploré, même les demandeurs de crédits n’en bénéficient plus. « Les gens se lamentent. Mais par surprise, quand vous faites des bilans annuels, vous dites que c’est très positif. Mais, on ne voit ceux à qui vous avez donné des crédits. Où trouvez-vous ces intérêts ? Je n’en sais rien. »

Pour lui, pour qu’une banque ait des bénéfices, c’est suite aux intérêts des crédits accordés sinon, « on est voleur ».
Le président Ndayishimiye est convaincu que la population peut créer des richesses. « Seulement, ils manquent le capital de démarrage. C’est vous les banques qui devez les aider. Le Burundi a des potentialités d’être développé. Si les banques s’y mettaient, le Burundi serait directement développé. »

Haussant le ton, le chef de l’Etat dit ne pas comprendre comment des banques refusent de financer des projets rentables. « J’ai été étonné quand vous avez refusé de donner de l’argent à l’initiateur du projet de transformation des marbres. Si c’était moi, c’est moi qui allais le chercher. Parce que l’intérêt est cash. »

D’après lui, le Rwanda, l’Ouganda, le Kenya s’approvisionne en marbre à partir de l’étranger. Or, a-t-il révélé, le Burundi dispose une grande quantité de matière pour la transformation du marbre : « Nous avons 13 sortes de marbres déjà découverts. Imaginez-vous manquer une banque qui peut financer un tel projet. Peut-être il y a un démon qui bloque le développement du Burundi. »

Un jeu de cache-cache

D’après le président de la République, les banques commerciales et la Banque centrale jouent un jeu de cache-cache. Pour lui, c’est cela qui alimente la méfiance. « Je pense que si la BCB à 5 millions, la Bancobu 5 millions et la BGF 500 mille, je pense qu’en additionnant avec l’argent de la BRB, c’est ça la réserve de change. » Et de se poser la question : « Franchement, peut-on dire qu’aujourd’hui les banques commerciales donnent leur réelle situation ? Que dire sur ceux qui ont amené des liquidités ? Vous savez, même si ces liquidités arrivent à la KCB, ça reste l’argent des Burundais. »

Le président de la République est revenu sur l’exportation des devises et il a demandé aux banquiers s’ils exportent en clandestinité. « Il faut nous le dire lorsque vous exportez et on en discute afin de savoir la somme que possède par exemple la BCB. »

Le chef de l’Etat donne des exemples : « La preuve est que votre argent est intercepté à l’étranger. Un montant de la BCB a été intercepté à l’aéroport de Nairobi. L’argent de l’Interbank a été intercepté à Gatumba. C’est cela qui engendre la méfiance. Il faut qu’on parle de l’origine de cette méfiance. »
Face à cela, un banquier n’a pas pu se retenir : « Les gens qui exportent les devises à l’étranger ont constitué un réseau organisé. Même ces dollars échangés ne reviennent jamais au Burundi. Ils les déposent sur leurs comptes à l’étranger. »

Et au chef de l’Etat de rétorquer : « Où trouvent-ils cet argent ? Ce n’est pas dans les banques ? J’ai appris qu’il y a des gens à l’aéroport qui empêchent les visiteurs d’aller convertir leurs devises dans les banques et ils les dirigent vers le marché noir. C’est une façon qu’ils ont trouvée pour collecter toutes les devises et ils vont les cacher. Et puis, ils reviennent pour saboter le marché de change. »

« C’est un crime économique organisé »

Le président de la République n’est pas tendre avec les banques commerciales. « Vous les banques, vous négligez. Quelqu’un retire 500 millions de BIF et vous ne vous demandez pas où il amène cet argent. Ce sont les banques qui devaient renseigner, c’est ça le problème. »

La Banque centrale n’est pas en reste : « La BRB a un problème. D’autres banques centrales ne demandent pas un rapport aux banques commerciales. »
Le président Ndayishimiye indique qu’il avait confié une mission urgente à la BRB : « la digitalisation pour qu’il y ait une connexion entre les banques et la BRB. »

D’après lui, cela permettrait de détecter les opérations douteuses et ceux qui sont chargés du renseignement financier vérifieront si ce n’est pas un blanchiment et tracer l’argent. « Cette confiance naîtra lorsque vous serez ensemble. Sinon, je trouve que c’est un crime économique organisé. »

Le chef de l’Etat préconise une coalition entre la Banque centrale, banques commerciales, les forces de l’ordre, les agents de renseignements…


Réaction

Gabriel Rufyiri : « Le président de la République doit prendre le taureau par les cornes »


D’après Gabriel Rufyiri, président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME) le secteur financier est important dans la vie du pays. Toutefois, il souligne que les banquiers sont des commerçants et qu’ils ne cherchent que des intérêts. « C’est le gouvernement qui doit montrer quoi faire », souligne-t-il.

Selon lui, quand la corruption est devenue monnaie courante, les crimes économiques deviennent nombreux. Il donne un exemple : « Un article de la loi de 2008 sur le blanchiment des capitaux stipule que lorsque 20 millions de BIF sont versés sur un compte, il doit y avoir des explications. Mais, il n’y a aucune banque au Burundi qui demande une justification de la provenance de cette somme. Par ailleurs, il y a une cellule de renseignement financier, mais on ne voit pas ce qu’elle est en train faire. »

Effectivement, poursuit-il, il doit y avoir une connexion entre les bureaux de change, les banques commerciales et la BRB pour que tout soit suivi de la base au sommet. Et de s’interroger : « Pourquoi la digitalisation ne se fait pas ? »

D’après lui, le bâton est dans les mains du chef de l’Etat et de ses services. « Il faut qu’ils agissent. Nous, les citoyens, nous avons besoin des solutions. Si le président de la République a donné l’ordre de digitaliser les services financiers et que ça ne se fait pas, les décisions doivent être prises. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Le président de la République doit prendre le taureau par les cornes au lieu de prendre toujours le taureau par les jambes. »

« Une légèreté dans la gestion des devises »

Actuellement, souligne Gabriel Rufyiri, le secteur financier surtout au niveau des devises brille par une légèreté en matière de gestion. Selon lui, la responsabilité est partagée, car chacun veut avoir sa part du gâteau. « Les banques commerciales sont des commerçants qui ne cherchent qu’un intérêt. Le régulateur qu’est la BRB, qui est sous le contrôle de la présidence de la République, doit se mettre au travail en mettant en place des mécanismes de gestion du peu de devises que nous avons. »

Il trouve que le gouvernement peut canaliser toutes les devises s’il y met du sien.
Et de rappeler : « Le président de la République s’est interrogé sur la provenance d’un milliard cent millions de devises utilisées pour les importations. Or, seuls les 200 millions sont connus et proviennent des banques commerciales. » Le président de l’Olucome propose une solution au gouvernement : « Il faut activer la case qui se trouve sur la Déclaration de mise en consommation (DMC) de l’OBR que les importateurs doivent remplir. Il n’y a aucun commerçant qui va importer sans prouver l’origine de ses devises. »

Malheureusement, indique-t-il, comme il y a beaucoup de gens qui ont des intérêts malhonnêtes à travers ce commerce illicite des devises, il y a des individus qui ne veulent pas que cette situation change. D’après lui, ils se trouvent au niveau des banques, de l’administration publique, ….
Et de se poser une question : « Pourquoi cette case n’est pas activée au niveau de l’OBR ? Quelle est l’autorité qui est derrière pour que cette case ne soit pas activée ? »


 

RENCONTRE

 

André Nikwigize : « Il faut arrêter la politique de « Bouc-émissarisation »

Pour l’économiste André Nikwigize, ce ne sont pas la Banque Centrale, les banques commerciales, les opérateurs économiques ou les bureaux de change qui sont responsables du manque de devises étrangères et de la spéculation qu’il y a autour de l’obtention des devises nécessaires à l’importation. Pour lui, le Gouvernement devrait, enfin, accepter d’engager des réformes économiques.


La faute aux banques commerciales ?

La politique de « bouc-émissarisation » économique ne résoudra pas la crise économique et financière profonde qui frappe le pays. Elle ne dédouanera pas, non plus, le gouvernement de son incapacité à prendre les réformes nécessaires pour le redressement économique.

Ce ne sont pas la Banque Centrale, les banques commerciales, les opérateurs économiques ou les bureaux de change qui sont responsables du manque de devises étrangères et de la spéculation qu’il y a autour de l’obtention des devises nécessaires à l’importation. Encore moins que ces institutions organisent un complot économique.

Ce n’est pas l’avis de certains ?

La Banque Centrale, qui a perdu de son indépendance depuis longtemps, et qui dispose de réserves de change très limitées, à peine deux semaines d’importations reçoit les instructions du Chef de l’Etat dont elle dépend, pour l’allocation du peu de devises disponibles.

Elle n’arrive pas, non plus, à défendre la parité du franc burundais vis-à-vis du dollar. Le taux de change fixé par la Banque Centrale ne correspond pas à son niveau d’équilibre réel, ce qui se reflète dans le développement d’un marché parallèle avec un fort différentiel entre le taux officiel et le taux parallèle.

Depuis la dernière dévaluation de mai 2023, le franc burundais s’est déprécié de plus de 48 %. Actuellement, la Banque Centrale n’est pas en mesure d’approvisionner les banques commerciales et les bureaux de change en devises.

Et pourtant, plusieurs mesures ont été prises pour trouver une solution ?

La mesure de réorganisation du Marché Interbancaire de Devises (MID), prise par la BRB, en mai 2023, afin de renforcer la transparence dans la gestion des devises, et permettre aux banques commerciales d’échanger leurs liquidités en devise à un taux librement négocié, dans la limite toutefois d’un plafond sur le montant des transactions, a eu ses limites lorsque les réserves en devises se sont épuisées. Ce n’est pas la digitalisation de la Banque Centrale qui va résoudre les problèmes de manque de devises.

Expliquez ?

Que pouvaient faire les banques commerciales, face à ce manque de devises ? Aujourd’hui, les banques commerciales sont à sec, du fait que leurs liquidités ont été empruntées par l’Etat. La dette intérieure atteint un niveau alarmant de 6 000 milliards de BIF et représente, à elle seule, presque 50 % du PIB.

Les bureaux de change, à qui la BRB avait promis l’approvisionnement régulier en devises, et qui ne peuvent pas s’approvisionner auprès des banques commerciales, se sont retrouvés démunis. La demande de devises étant élevée, pour les importations et les voyages, ces bureaux collectent les devises que leur apportent les touristes et autres voyageurs, leur amènent, en offrant des taux élevés. Quelle faute ces bureaux ont-ils commise ?

Dans l’immédiat, la seule source de devises sur laquelle compte l’Etat pour reconstituer les réserves en devises, provient des financements des bailleurs, en particulier, la deuxième tranche du FMI, et d’autres partenaires sont en effet un préalable à la libéralisation complète.

Que doit faire le gouvernement ?

Au lieu de continuer à blâmer la Banque Centrale, les banques commerciales, les bureaux de change et les opérateurs économiques, et en faire, en permanence, des boucs-émissaires de tous les maux économiques du pays, le gouvernement devrait, enfin, accepter d’engager des réformes économiques.

Depuis 2005, la situation économique du Burundi est préoccupante. Les recettes d’exportations, qui couvraient encore 30 % des importations en 2005, ont baissé sensiblement jusqu’à ne couvrir que, à peine 10 % aujourd’hui. La survie du pays ne dépendant plus que de la bonne volonté des institutions internationales et des partenaires bilatéraux.

Bref, c’est une économie sous perfusion. Il faut investir dans la production et la promotion des exportations, assurer une meilleure allocation des devises, réduire le train de vie de l’Etat, rationaliser les importations, et prendre des mesures pour combattre la corruption.


 

INTERVIEW

DR Diomède Ninteretse :« Assainir la situation socio-politique pour attirer les capitaux étrangers »

 

Déficit budgétaire, manque des devises, méfiance entre les banques commerciales et la Banque centrale, la capacité d’absorption du Burundi… Dr Diomède Ninteretse, économiste et spécialiste en leadership et management des organisations économiste fait le point. Il donne des propositions pour que le pays ait des devises en suffisance.

Il y a quelques jours, l’OLOCUME vous a sollicité pour faire une analyse après la visite d’une mission du FMI au Burundi. Quelles ont été vos principales observations ?

Il s’agissait de faire une observation à une visite qui avait été effectuée par le fonds monétaire International (FMI) qui formulait pas mal de recommandations. D’abord je faisais une observation par rapport au déficit budgétaire qui avait été constaté et qui avoisine pratiquement un montant important qui s’élève à plus de 728 milliards de BIF.

Il y a eu un accroissement de plus de 65 % par rapport à l’année antérieure. Maintenant que chaque année, on fait un accroissement de 65 %, on voit que vraiment, nous nous trouvons dans un contexte où on va avoir des problèmes financiers surtout qu’il y a eu un accroissement sur base des dettes.

Où est ce que l’Etat devra trouver cet argent ?

L’Etat devra pouvoir emprunter au niveau des banques commerciales et au niveau des sociétés privées. Il pourra aussi avoir un don de financement pour les partenaires au développement ou éventuellement un crédit.

Est-ce que l’Etat ne peut pas par exemple contracter un crédit auprès de la Banque mondiale ?

Le problème est que pour le moment, le Burundi n’est pas éligible pour contracter un crédit auprès de la Banque mondiale. A moins que les choses aient changé, il y a peu de jours.

Il y avait certaines recommandations qui avaient été formulées qui ne sont pas encore levées. Seulement, le Burundi peut avoir des dons de la Banque mondiale pour des projets. D’ailleurs, c’est ça qui se fait. Il y a certains projets qui sont financés par la Banque mondiale. Il peut aussi demander des crédits auprès d’autres institutions bancaires africaines.

Dans cette analyse, le constat est que la croissance économique du Burundi est de 2 %. Il avait été recommandé que le Burundi cesse de contracter des crédits auprès des Banques commerciales internes. Car, il y a ce qu’on appelle effet d’éviction.

C’est-à-dire ?

C’est un état de fait où finalement l’Etat et les privés demandent des crédits au même endroit et que finalement les privés ne sont plus crédibles parce que les Banques ou les institutions de financement privées pourront contribuer au financement de l’Etat. Et finalement, les privés ne vont plus investir. Donc, il doit y avoir la pauvreté.

Dans la recommandation, il faut que l’Etat puisse contracter des crédits au niveau extérieur. Au niveau interne, cela devrait se faire rarement, mais que cela ne soit pas une habitude. Aussi, on recommande que quand on demande un crédit au niveau externe ou interne, généralement, il devrait être orienté vers les secteurs de production. Pas dans les secteurs de consommation : ce que nous appelons les charges variables.

Ce qui signifie concrètement…

Ce sont les dépenses courantes. Les salaires, l’équipement pour les bureaux, les véhicules, les fournitures, etc. Il faut éviter de contracter un crédit pour payer les salaires par exemple. Cela n’augmente pas la production. Il va seulement y avoir l’inflation. Le crédit doit être demandé pour investir dans un domaine de production.

Par exemple ?

Le Burundi peut demander un crédit pour construire un barrage. Car, ce dernier va finalement générer de l’électricité, des bénéfices. Si on demande un crédit pour réhabiliter la Regideso, là, il pourra apporter une valeur ajoutée au niveau de l’économie.

Il peut aussi contracter un crédit pour exploiter les minerais. Parce qu’après l’exploitation, il pourra vendre à l’étranger et amener des devises. Ou un crédit pour faire l’extension de l’OTB ou d’autres sociétés génératrices des revenus.

Est-ce qu’actuellement le gouvernement a des dettes envers les banques commerciales ? Si oui, que peuvent être les conséquences ?

Oui. L’Etat a déjà contracté beaucoup des crédits auprès des banques commerciales. Aujourd’hui, si un privé va demander un crédit auprès de ces banques, ce n’est pas facile d’en avoir parce qu’il n’y a pas assez de liquidités.

Et le gouvernement n’est pas aussi à mesure aujourd’hui de rembourser rapidement. Parce qu’un crédit doit être remboursé.
Pour une petite histoire : vous vous souvenez qu’en 2008, le Burundi avait été considéré comme un pays pauvre et plus endetté.

Et les bailleurs, le FMI et d’autres institutions avaient décidé d’abandonner le crédit. C’est ce crédit qui avait contribué à ce qu’il y ait la scolarité universelle, la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans, etc. Ce montant avait aussi contribué au niveau de l’augmentation de la croissance économique. Rappelez-vous que la croissance économique était de 4 % même de 5 % de 2008 à 2013. Bien sûr, il y avait des variations. Parce qu’effectivement, le Burundi n’était pas en train de rembourser le crédit.

Mais avec le temps, avec la crise de 2015, les partenaires au développement ont encore une fois ralenti le financement pour le budget alors qu’avant le Burundi pouvait atteindre 50 % de l’appui budgétaire. Maintenant si on devrait voir l’appui budgétaire, y compris les partenaires au développement existant aujourd’hui, c’est autour de 20 %.

Donc, le pays a perdu plus de 30 % des fonds qui venaient pour appuyer le budget. Si vous voyez sur le marché qu’il y a une inflation de plus de 30 %, une hausse généralisée des prix, et que si aussi, on ne peut pas maitriser le taux de change officiel à celui du marché parallèle, et là il y a une spéculation très exagérée tellement que maintenant on n’a pas de devises même pour les commerçants.

D’ailleurs récemment, vous avez entendu le président de la République se lamenter comme quoi la quasi-totalité des commerçants utilisent le marché noir. Donc, qu’ils importent des produits de plus de 1 milliard de dollars, mais que si on regarde sur le marché, on ne voit qu’autour de 200 millions de dollars. Donc, il y a un certain amalgame, mais aussi une certaine mauvaise organisation de ce côté.

Ce mardi lors d’une réunion avec les responsables banquiers, les entrepreneurs, le chef de l’Etat a dit qu’il y a une méfiance entre la Banque centrale et les banques commerciales. Est-ce normal ? Pourquoi cette situation ?

La Banque centrale a normalement le rôle de réguler, de contrôler pour gérer surtout les devises et d’autres opérations bancaires pour suivre la loi en matière. Mais, le constat est que, cela fait un bon moment, la BRB peut privilégier certaines banques par rapport aux autres. C’est l’objet de la méfiance.

Et puis, c’est parce qu’il n’y a pas de devises. Les banques commerciales qui sollicitent les devises, elles ne les trouvent pas. D’ailleurs, à un certain moment, on avait privilégié notamment la BANCOBU et la BCB.

Qu’il y ait une méfiance, c’est tout à fait normal quand effectivement vous ne faites pas votre boulot correctement. Il peut y avoir dysfonctionnement ou méfiance.

L’autre observation c’est que la BRB a émis des bons de trésors. En principe, les banques commerciales devaient avoir leur gain pour l’argent qu’elles ont prêté au pays. Peut-être que ces banques n’ont pas été remboursées. Et cela discrédite la BRB. Mais, idéalement, il ne devrait y avoir aucun conflit entre la BRB et les banques commerciales si chacun joue son rôle correctement.

Mais, quand il y a des privilèges pour certains, quand vous ne remboursez pas le crédit,… quand vous êtes toujours en crédit, vous perdez la qualité de l’indépendance.

Ce qui peut être la situation de la BRB donc actuellement ?

Probablement, la BRB se retrouve dans cette difficulté de pouvoir gérer les banques surtout c’est elle qui devait provisionner les devises. Et les importateurs devaient chercher cet argent dans les banques commerciales. Mais généralement, on voit qu’aujourd’hui, le rôle a été changé : il y a des importateurs qui trouvent des devises dans la banque centrale.

Il y a des conflits au niveau de la gestion de la masse monétaire, des devises, de l’application des textes, etc.
A mon humble avis, les deux catégories devraient s’entendre parce qu’ils sont toutes en train de servir le même pays.

Le Burundi est un des pays pauvres de la planète. Mais, on dit qu’on n’a pas la capacité d’absorption des financements. N’est-ce pas contradictoire ?

Je crois qu’il y a une spéculation. Il y a aussi l’incapacité du personnel dans la mise en œuvre de certains projets notamment ceux financés par les institutions internationales comme FMI et d’autres projets qui demandent beaucoup d’argent et de procédure.

Concrètement

Normalement, on ne peut pas dire que le Burundi n’a pas la capacité d’absorption parce que nous avons besoin d’argent. En témoigne d’ailleurs le déficit budgétaire. Normalement, on devait consommer beaucoup plus. Parce que certains projets ne sont pas en train d’être exécutés.

Regardez l’état des infrastructures, les routes, les hôpitaux, la transformation des produits agricoles, etc. Bref, nous avons besoin de beaucoup d’argent dans ce pays.

Mais, malheureusement, comme certains personnels recrutés sont embauchés sur base de leurs partis politiques, des relations familiales … il y a sûrement des personnes qui sont dans les places où il ne fallait pas être.

C’est un constat amer. Je me rappelle qu’il y a eu une grande enveloppe que le ministère de la Santé publique n’a pas été capable d’absorber. C’est anormal alors qu’aujourd’hui, on voit que la santé des Burundais n’est pas au bon fixe.

C’est vraiment cette situation de mauvaise gestion et surtout de spéculation pour voler alors que les procédures souvent de ces institutions internationales sont très exigeantes. Le Burundi a des hommes compétents et ne sont pas valorisés.

Où le Burundi peut-il tirer des devises ?

Là c’est une question pertinente que le président de la République y compris d’autres autorités politiques devrait s’asseoir et trouver des voies de sortie.
On a des devises à partir des exportations. Dans le temps et aujourd’hui, c’est le thé, le café, le coton, les fleurs… La seconde source de devises est constituée par les aides extérieures. Les partenaires au développement qui amènent les devises : la coopération bilatérale, multilatérale. Ce sont des dons ou des crédits.

On peut trouver aussi des devises en exportant les minerais, la matière première. Maintenant, on a compris à travers les messages que les gens qui exportent n’amènent pas des devises. Ils les mettent sur le marché noir. On a même abandonné la bonne pratique pour l’exportation. Le café, le thé… tout a été diminué. Maintenant qu’on n’exporte plus, on ne peut pas espérer beaucoup de devises.

Que faire alors ?

Il faut comprendre que nous sommes dans une situation anormale et qu’il faut prendre des mesures stratégiques pour éviter le risque de tomber dans une situation de faillite. Que les gens comprennent qu’un crédit n’est pas un problème, mais son orientation peut vous amener dans une situation insoutenable.

Donc, quand vous avez trop de crédits, bien évidemment même pour une famille, qui naturellement demande un crédit, et qui se rend incapable de rembourser, elle tombe dans une situation financière difficile.

Dans la science, pour la dette publique, il n’y a pas un montant pour un crédit. Il y a des pays qui sont même à 90 %. Mais, ces derniers orientent ces aides, ces crédits dans le développement.

Il faut encore une fois valoriser les cultures industrielles. D’ailleurs, diversifier, chercher d’autres produits à exporter pour ramener des devises. Voir aussi d’autres services qu’on peut vendre à l’extérieur. Prenons les produits Brarudi par exemple. Il faut bien gérer les rares devises qui existent. Je sais qu’à un certain moment on disait qu’on n’a pas besoin de devises. C’était un discours politique.

Il faut harmoniser le marché noir et le marché officiel. Au contraire, des gens qui ont des devises voudront toujours la spéculation et les mettront sur le marché noir. Et ceux qui ont ces devises sont bien connus. Ce sont de grands commerçants. Il faut aussi augmenter la production pour exporter plus. Il est important en outre de normaliser la situation pour la coopération.

Que voulez-vous dire concrètement ?

Le contexte socio-politique fait qu’on n’a pas de financements extérieurs. On dit qu’il y a plus de 200 mille, 300 mille réfugiés qui sont dans les pays limitrophes au Rwanda, en RDC, en Tanzanie, au Kenya. Les bailleurs préfèrent appuyer ces réfugiés.

Il appartient alors au gouvernement d’assainir la situation socio-politique pour qu’il y ait beaucoup plus d’attractivité, la compétitivité vers la production. Si la situation n’est pas assainie, les partenaires, les capitaux étrangers ne vont pas venir. Ça fait un bon moment qu’on dit que le Burundi est un pays bon, accueillant, mais les capitaux étrangers n’affluent pas.

 Fabrice Manirakiza et Rénovat Ndabashinze (Iwacu)