En deux jours, deux rapports sensibles sur le Burundi sont apparus. Le premier concerne la contribution forcée de la population aux élections 2020. Le deuxième, l’inquiétude de la Commission des droits de l’Homme sur la manière dont le gouvernement gère l’épidémie. L’ambassadeur du Burundi en Russie réagit dans une interview exclusive à Sputnik.
Le Burundi est à nouveau au centre de toutes les attentions de la Communauté internationale à un mois des élections et le ton est toujours aussi incisif. Deux rapports, sortis coup sur coup, pointent deux problèmes. L’un, paru le 8 avril, émane de Crisis Group qui met en lumière la contribution forcée de la population au financement des élections 2020.
Deux jours plus tard, il est suivi par la sortie médiatique de Doudou Diène, président de la Commission d’enquête des Nations unies sur le Burundi. Cette fois, le pays est blâmé pour son incapacité à gérer l’épidémie du Covid-19 à l’échelle du danger qu’elle représente. Édouard Bizimana, ambassadeur du Burundi en Russie, estime que «les deux organisations sont à pied d’œuvre pour instrumentaliser la pandémie du coronavirus afin de nuire au Burundi».
La contribution forcée aux élections 2020
Le rapport de Crisis Group insiste sur la contribution forcée de la population burundaise sous la pression du gouvernement dans l’organisation des élections 2020. L’ambassadeur du Burundi en Russie se montre catégorique:
«Il n’y a plus de contributions pour les élections. Et les Burundais n’ont jamais été forcés de contribuer aux élections. Ils l’ont fait par leur propre volonté car contribuer à financer les élections, c’est une fierté nationale, un acte patriotique. Et le cas du Burundi a fait des émules ailleurs, dans d’autres pays. Il est de notoriété publique que le financement des élections dans un pays par des acteurs externes n’est jamais gratuit. Le peuple burundais a bien appris les leçons de son histoire, mais aussi de celles des autres pays».
Les élections présidentielles, législatives et municipales au Burundi auront lieu le 20 mai 2020. Édouard Bizimana affirme que les montants prévus à cet effet ont déjà été collectés et la population en a été informée officiellement. Ainsi, d’après lui, l’information sur «la contribution au financement des élections» qui continuent de circuler est «une contrevérité».
Les cadeaux au Président
Crisis Group pointe également «l’obligation de faire des cadeaux» de la part du peuple burundais au Président Pierre Nkurunziza et aux hommes politiques les plus hauts placés. Édouard Bizimana considère que les auteurs du rapport ont fait une erreur d’appréciation.
«Personne n’oblige la population à donner des cadeaux ou du bétail au Président de la République ou aux autres dignitaires du pays contrairement aux affirmations de Crisis Group. Il faut noter une ignorance totale de Crisis Group de la culture burundaise. La tradition d’offrir des cadeaux aux visiteurs est ancrée dans la culture burundaise. Ceux qui visitent le Burundi le savent».
L’ambassadeur burundais remet ainsi en question le travail de terrain de Crisis Group et doute de leur déplacement physique au Burundi. Il s’étonne aussi de «l’extension du terrain burundais à Kigali, Bruxelles, Nairobi, New York» qui selon lui «crée une confusion et entame fortement la crédibilité du rapport». «Ces quelques exemples montrent bien que le rapport est basé sur des entretiens téléphoniques avec des personnes difficilement identifiables. Quelles personnes se cachent derrière les termes de “diaspora burundaise”, “diplomates”, “diplomate de l’ONU” ou “diplomate occidental”?», s’interroge-t-il.
Le Covid-19, grâce divine et Commission d’enquête
Pendant longtemps, le Burundi a été épargné par le Covid-19. Mais malgré la découverte des trois premiers cas il y a deux semaines, le gouvernement ne se presse pas à confiner le pays, contrairement aux pays voisins comme le Rwanda, ou aux pays européens. Les marchés et les bars sont toujours ouverts. Les championnats de football de 1ère et 2e division se poursuivent.
Dans le même temps, l’aéroport international Melchior-Ndadaye de Bujumbura est fermé depuis trois semaines. Seuls les poids-lourds ont la permission de circuler depuis la Tanzanie et les frontières avec le Rwanda et la RDC viennent d’être réouvertes aux véhicules transporant les marchandises. Les gestes barrières sont rappelés toute la journée à la radio et à la télévision.
Dans ce climat, l’un des candidats à la prochaine élection présidentielle, le général Evariste Ndayishimiye, également secrétaire général du parti au pouvoir (le CNDD-FDD), a appelé le peuple à rester «sans crainte», avant d’ajouter que «Dieu aime le Burundi et s’il y a des personnes qui ont été testées positives, c’est pour que Dieu manifeste sa puissance».
Le 10 avril, Doudou Diène, président de la Commission d’enquête des Nations unies sur le Burundi, a exprimé son inquiétude sur la manière dont le gouvernement burundais faisait face à l’épidémie du Covid-19. De son côté, Édouard Bizimana se montre préoccupé par cette vague «de critiques acerbes».
«Cela montre plutôt une volonté de ces organisations d’exploiter la pandémie à leur avantage. Vue la mobilisation et la solidarité internationales pour lutter contre ce fléau, de telles critiques ne peuvent que freiner cet élan et ainsi nuire au peuple burundais. Jusqu’à ce jour, le Burundi n’a enregistré que cinq cas positifs de Covid-19. On comprend mal les critiques du président de la Commission des droits de l’Homme des Nations unies à l’endroit du Burundi à ce stade. On n’a pas encore entendu de telles critiques l’encontre de pays où la pandémie a déjà fait des milliers de victimes».
D’après le dernier communiqué du ministère burundais de la Santé publique en date du 8 avril, 2.936 personnes ont été mises en quarantaine dans différentes provinces du pays. Après 14 jours, 2.261 sont rentrées chez elles. 675 personnes restent en quarantaine sur le territoire burundais.
Par Ksénia Lukyanova-Emelyanova