Lettre de 5 députés français: “L’Afrique, berceau des civilisations, et non laboratoire d’expérimentation”
De gauche à droite, Aina Kuric, députée de la Marne (2e circonscription), Amelia Lakrafi, députée des français de l’étranger, Jean-François M’baye, députe du Val-de-Marne (2e circonscription), Marion Lenne, députée de Haute-Savoie (5e circonscription) et Sira Sylla, députée de Seine-Maritime (4e circonscription).
 

Par Marion Lenne, députée de Haute-Savoie (5e circonscription) Sira Sylla, députée de Seine-Maritime (4e circonscription) Aina Kuric, députée de la Marne (2e circonscription) Jean-François M’baye, députe du Val-de-Marne (2e circonscription) Amelia Lakrafi, députée des français de l’étrange;


La séquence télévisuelle, le 02 avril 2020 sur la chaîne LCI entre le Professeur Jean-Paul MIRA, chef du service de réanimation de l’hôpital Cochin à Paris et le professeur Camille LOCHT, directeur de recherche à l’Inserm, a choqué nombre de téléspectateurs et entraîné une vague de réprobation légitime qui dépasse largement nos frontières ! Les Africains en ont été profondément choqués. Nous tenons avant tout à leur manifester notre sympathie et à les assurer de l’indéfectible lien de fraternité humaine qui nous lie à eux, qui ont le privilège d’être les légataires du berceau de notre commune humanité. Loin de nous l’idée de leur infériorité sur quelque plan humain que ce soit.

Nous reproduisons ici l’échange qui a tout déclenché. Jean-Paul MIRA pose la question suivante à Camille LOCHT : «Si je peux être provocateur, est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude en Afrique, où il n’y a pas de masque pas de traitement, pas de réanimation, un peu comme ça s’est fait d’ailleurs pour certaines études sur le Sida, où chez les prostituées, on essaye des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées et elles ne se protègent pas. Qu’est-ce que vous en pensez».

Son interlocuteur, le Professeur Camille LOCHT, confirme, sans la moindre gêne, «Vous avez raison. Et d’ailleurs, on est en train de réfléchir en parallèle à une étude en Afrique justement pour faire ce même type d’approche avec le BCG et un placebo. Je pense qu’il y a un appel d’offre qui est sorti ou va sortir ». On ne peut que s’indigner de la tenue de propos aussi odieux, par des personnes ayant prêté un serment actant l’égalité des humains. Mais on s’indigne aussi de l’absence de réaction immédiate des journalistes de LCI !`On ne devrait pas oublier – pour s’en inquiéter – l’autre aspect de cet insolite échange qui parle d’un appel d’offre qui aurait été lancé ou qui serait en cours de lancement. Nous exigeons aussi des éclaircissements sur ce point.

On peut se féliciter de la réaction du directeur de l’Organisation Mondiale de la Santé, Monsieur Tedros Adhanom Ghebreyesus, qui dénonce sans détour ce qui est ni plus ni moins qu’un inimaginable racisme. Ainsi, il déclarait le 6 avril que “ces genres de propos racistes ne font rien avancer. Ils vont contre l’esprit de solidarité. L’Afrique ne peut pas et ne sera un terrain d’essai pour aucun vaccin ». Puis il ajoutait: «l’héritage de la mentalité coloniale doit prendre fin». On ne peut que s’indigner face au mépris qu’une partie des élites du nord ont à l’égard de l’Afrique. C’est parfois une attitude récurrente observée par celles et ceux qui entretiennent un lien amical, professionnel, familial ou résidentiel avec ce continent. Cette séquence télévisée en est une parfaite et désolante illustration.

Aussi, nous attendons de Messieurs MIRA et LOCHT, au-delà d’excuses publiques, qu’ils s’astreignent désormais à un peu moins de légèreté dans leurs propos. LCI, et plus généralement aux chaînes de télévision et les antennes de radio, à faire preuve de la plus grande vigilance pour ne pas laisser passer des propos injurieux ou discriminatoires. La légèreté avec laquelle ces éminents scientifiques traitent ce problème, est tout simplement surprenante. Comme s’ils nous préparaient à une bonne blague, comme s’il ne s’agissait pas de la vie de millions d’individus, dont nous avons peut-être la faiblesse de penser qu’ils sont des êtres humains comme nous, ils nous préviennent qu’ils vont user de provocation. Et le parallèle avec le comportement qui aurait déjà été adopté avec le Sida, de tester des vaccins sur les prostituées qui deviennent elles aussi au mieux une sous-espèce humaine, nous fait penser aux heures les plus sombres de notre histoire. Si l’on n’est pas animé par un sentiment de mépris, on penserait fort logiquement à faire des essais cliniques de vaccins sur les espaces où la tragédie est déjà palpable, où la situation est d’une gravité qui confine au désespoir dans certains cas, ces cas qui pourraient justifier que l’on tente le tout pour le tout, même avec des vaccins inachevés, essais qui permettraient des avancées pour que le reste de l’humanité puisse en bénéficier plus tard.

Mais au contraire, certains ourdissent le raisonnement selon lequel, parce que les Africains seraient les citoyens d’un continent qui n’a pas « de masque pas de traitement, pas de réanimation », ils mériteraient de devenir des cobayes. La frontière de l’humanité, le critère de respectabilité serait donc sur le niveau de possessions matérielles ! Nous souhaitons tous que cette pandémie puisse permettre comme l’a dit le président de la république Emmanuel MACRON, que le jour d’après soit différent. Nous espérons que cette différence fera émerger un autre regard sur l’Afrique. Nous aimerions que ces spécialistes voient ce qui se passe en Afrique aujourd’hui, un mouvement qui peut faire penser que le jour d’après sera aussi différent dans ces pays.

De toutes les capitales, on sent palpiter la volonté de mettre en pratique des mesures adaptées aux spécificités locales. Ici on attend beaucoup de la Chloroquine et on se lance dans sa fabrication. Là c’est une molécule inconnue dans nos horizons – Apivirine – que l’on teste dans des essais cliniques. Ailleurs, on équipe un stade de milliers de lits pour faire face à une éventuelle aggravation de la situation. Un peu partout le débat est fort sur la pertinence du confinement dont on a vu par exemple qu’il n’a pas été possible pour l’Inde qui y a pensé, et pas nécessaire à Taïwan qui a fait un autre choix. Et on se félicite de l’aide de la Chine qui a été tout aussi salutaire pour l’Italie. Ainsi donc, nombre de chercheurs et scientifiques africains se battent déjà contre le Covid-19 et c’est tous ensemble, dans l’intérêt de tous, et animés par une réelle solidarité internationale, que nous vaincrons cette pandémie ! En tout état de cause, l’Afrique pas plus qu’une autre partie du monde, ne doit pas être oubliée ni exclue des recherches car la pandémie est effectivement globale.

Plus largement, ces deux professeurs, non contents de rabaisser 1,3 milliards d’Africains avec des propos aussi péjoratifs, font également honte à l’ensemble des soignants et scientifiques de France et du monde qui se battent au quotidien dans leur service ou dans leur laboratoire de recherches sans être médiatisés et sans chercher à l’être ! C’est à ceux là que les Français rendent hommage à 20 heures chaque soir en manifestant avec ferveur leur profonde gratitude. Quant à nos deux professeurs adeptes de la provocation pour le moins de mauvais goût, ils devraient d’urgence faire leur cette citation de François Rabelais qui rappelait déjà au 16ème siècle que “science sans conscience n’est que ruine de l’âme”.