Le Burundi est déterminé à défendre sa souveraineté, notamment sur ses ressources minières, dont les terres rares, affirme à Sputnik l’ambassadeur du pays à Moscou, Édouard Bizimana, évoquant également la situation politique, économique et des droits de l’homme. Selon lui, les sanctions de l’UE ne sont plus justifiées.
Lundi 13 décembre, le gouvernement de la République du Burundi a informé les Nations unies qu’il refusait catégoriquement de recevoir le rapporteur spécial de l’Onu sur les questions des droits de l’homme dans le pays, qui devrait être nommé incessamment. En effet, la crise politique ayant secoué cet État d’Afrique de l’Est depuis 2015 a suscité à maintes reprises des accusations de violation des droits humains, amenant l’Union européenne, son principal bailleur de fonds, à lui imposer des sanctions économiques qui pourraient bien être prolongées dans le contexte actuel.
Pour quelles raisons le Burundi a-t-il refusé de recevoir le rapporteur spécial de l’Onu sur les droits de l’homme? Où en est la situation dans le pays, notamment concernant la question des réfugiés? Que reproche l’UE au gouvernement burundais? Y a-t-il des enjeux géostratégiques au Burundi, mais aussi dans toute la région des Grands Lacs?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité l’ambassadeur de la République du Burundi en Russie, son excellence Édouard Bizimana. Pour lui, “étant donné que le contexte politique a radicalement changé dans le pays, le Burundi, pour une question de souveraineté nationale, ne peut en aucun cas confier les enquêtes sur un dossier aussi sensible à des fonctionnaires internationaux, alors qu’il dispose d’organismes nationaux reconnus et compétents en la matière”. Il n’est un secret pour personne, souligne-t-il, que “cette question des droits de l’homme est souvent utilisée comme l’arbre qui cache la forêt des intérêts géostratégiques des grandes puissances mondiales”.
Une décision prise “unilatéralement”
“Depuis l’élection du Président Évariste Ndayishimiye en juin 2020, les autorités burundaises ont pris à bras le corps les questions épineuses des droits de l’homme et de la bonne gouvernance, les deux leviers qui nous permettent de remettre le pays sur les rails”, assure M.Bizimana. Il est “primordial de promouvoir la réconciliation et le rétablissement de la société burundaise dans sa culture ancestrale de paix et de tolérance”.
Et d’ajouter que les accusations “d’arrestation d’opposants politiques n’ont aucun fondement. Il s’agit d’affaires de droit commun ou criminelles ayant visé des personnes qui ont tenté de se dissimuler au sein de partis politiques ou d’ONG. Le même discours ressort également des accusations d’enlèvements ou de disparitions forcées”.
Ainsi, “si les Européens sont sincères dans leur démarche de défense des droits de l’homme au Burundi, le meilleur chemin d’y arriver c’est la coopération avec le gouvernement du pays, en lui indiquant les points faibles auxquels il faut remédier. Dans ce cas de figure, ils ne trouveront qu’écoute et coopération de la part des autorités burundaises. Dans l’état actuel des choses, les sanctions que l’UE a prises unilatéralement n’ont aucune raison objective d’être prolongées”.
Dans le même sens, le diplomate estime que “le problème de la corruption qui touche l’économie nationale, l’autre reproche de l’UE à l’égard du Burundi, est également au centre des préoccupations des plus hautes autorités du pays. En effet, le Président Ndayishimiye a mis en place un système de communication impliquant tous les citoyens dans la lutte contre ce fléau. Ceci en plus des sanctions judiciaires et l’obligation de remboursement des fonds détournés. Cette démarche est en train de générer des résultats encourageants”.
Quelle est la situation économique du pays?
L’économie du Burundi, qui compte 12 millions d’habitants selon les statistiques de 2019, est principalement basée sur la production agricole et l’élevage de bétail. Le pays produit aussi bien des denrées destinées à l’exportation (le café qui constitue 80% des exportations du pays, le thé, le coton) que les cultures vivrières. Néanmoins, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale (BM) classent souvent le Burundi parmi les pays les plus pauvres du monde.
À ce titre, Édouard Bizimana juge que “cette classification ne reflète pas la réalité. Le problème réside dans le fait que ces organisations internationales ont une approche strictement financière, ce qui fosse leur évaluation de l’économie réelle du pays. Il y a lieu de noter que le Burundi, qui n’importe pratiquement aucune denrée alimentaire, est arrivé à se suffire et à nourrir correctement sa population avec sa production nationale qui arrive à générer des excédents en maïs et prochainement en riz. Il en va de même pour le système de santé, l’école, l’eau potable et le logement”.
Quid des enjeux géostratégiques?
Le père fondateur de la grande puissance économique de la République populaire de Chine, Deng Xiaoping (1978-1992), affirmait que “les terres rares sont à la Chine ce que le pétrole est au Moyen-Orient”. Bien que ce constat date d’au moins trois décennies, il ne cesse de se confirmer comme une prémonition, tant l’utilisation des 17 métaux qui forment ce groupe ne cesse de croître d’une manière vertigineuse dans la production industrielle de hautes technologies mondiales. En effet, la Chine assure environ 80% de l’approvisionnement mondial en terres rares, quand cette statistique monte à 98% pour l’Union européenne. Dans cette situation, les Européens, toute comme pour les hydrocarbures, cherchent par tous les moyens à limiter la dépendance envers la Chine qui ambitionne, selon le Wall Street Journal, à créer un géant mondial dans ce secteur en fusionnant plusieurs entreprises nationales.
Suite à la crise commerciale déclenchée par Donald Trump il y a deux ans contre le géant chinois Huawei, Pékin avait riposté en menaçant de suspendre les exportations de terres rares vers les États-Unis. Au-delà de son aspect commercial, cette crise a révélé une grave vulnérabilité des industries stratégiques américaines et occidentales en général, notamment dans l’armement, les énergies renouvelables, les transports (dont les voitures électriques), les technologies du numérique et de l’intelligence artificielle, ainsi que les biotechnologies. Alors que l’industrie militaire américaine (entre autres les missiles intelligents, les chars Abrams et les F-35) dépend cruellement de ces métaux, l’approvisionnement en terres rares est devenu un enjeu de sécurité nationale. L’Europe est également dans cette situation. Ainsi, l’Afrique – qui héberge d’importantes quantités de ces métaux– est devenue un enjeu géostratégique vital.
Au cœur de la géopolitique des terres rares?
À ce propos, le Burundi est actuellement le seul producteur du continent, mais d’autres pays comme la Tanzanie, l’Afrique du Sud, le Malawi, l’Angola, Madagascar et l’Ouganda ambitionnent également d’exploiter leurs gisements. En juillet, le gouvernement burundais a suspendu les activités de sept sociétés minières d’origine britannique, chinoise et russe pour renégocier ses contrats, dont l’entreprise anglaise Rainbow Rare Earths, cotée au Royaume-Uni, qui détient 90% des actions de la société Rainbow Mining Burundi. Cette dernière avait obtenu en 2015 un permis d’exploitation des terres rares du gisement de Gakara, à l’est de Bujumbura, capitale économique du Burundi. À ce jour, le bras de fer serait toujours en cours entre le gouvernement et l’entreprise.
“Si le gouvernement du Burundi a suspendu en toute souveraineté ces permis d’exploitation des ressources minières, en particulier les terres rares, c’est parce que le pays perdait injustement énormément d’argent qui devrait plutôt être investi dans le développement d’infrastructures, de l’industrie, des nouvelles technologies comme l’électronucléaire et le spatial, de l’agriculture et de l’agroalimentaire, de la santé et de matériel médical”, explique l’interlocuteur de Sputnik.
Et de conclure que “le pays est ouvert à tous les partenariats avec tous les pays du monde sans aucune exclusivité, à une condition: le respect des intérêts vitaux et des droits fondamentaux du peuple burundais qui veut une vie digne et prospère pour les générations futures. Dans ce cadre, le Burundi est engagé avec ses voisins, dont la République démocratique du Congo et le Rwanda, pour régler définitivement le problème des groupes armés et des réfugiés. Aucun pays de la région des Grands Lacs n’a intérêt à ce que cette situation perdure et continue à bloquer leur développement”.