Le président Evariste Ndayishimiye a réuni le 24 août 2021 à Bujumbura les représentants de la magistrature. Dans sa séance de moralisation à l’endroit du corps de la Justice, le Chef de l’Etat n’a pas mâché ses mots. Il a critiqué le secteur judiciaire qui, selon lui, est gangrené par beaucoup de maux, notamment la corruption, les malversations économiques, etc.
« Partout où je vais, je reçois plus de 1 000 doléances contre la justice par jour. Je les trouve fondées après analyse. Les investisseurs étrangers ne viennent plus au Burundi. Vous trouvez des stratagèmes pour les dépouiller de leur argent. Ils n’ont nulle part où se plaindre. Vous vous mettez en bande pour les escroquer de leur argent, et en même temps vous dîtes que vous voulez le développement pour notre pays. Quel étranger va emmener son investissement dans un pays sans justice, où il n’a aucun recours lorsqu’on vole son argent » ?
De leur côté, les magistrats n’ont pas nié la corruption dans le corps de la justice. Ils ont évoqué le manque d’indépendance et la main invisible de hauts responsables qui mettent le bâton dans les roues.
Plus de 5000 prisonniers graciés
Le président de la République, Evariste Ndayishimiye a décrété, le 5 mars 2021, une mesure de grâce pour 5.255 prisonniers. « Bénéficient de la remise totale des peines privatives de liberté, les prisonniers condamnés définitivement à des peines inférieures ou égales à cinq ans du chef de toutes les infractions »,
Toutefois, l’exception a été faite pour les crimes comme le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, le vol à main armée, la détention illégale d’armes à feu, la participation à des bandes armées, l’atteinte à la sûreté intérieure et/ou extérieure de l’Etat, le mercenariat, le terrorisme et le bioterrorisme, l’homicide volontaire, le viol, la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que le trafic des êtres humains.
Les femmes condamnées qui sont enceintes ou ayant des enfants dans la prison, les mineurs condamnés et âgés de moins de 18 ans, les condamnés atteints de maladies incurables à un stade avancé, les condamnés âgés de 70 ans et plus à l’entrée en vigueur du présent décret, les condamnés atteints de maladies mentales et ceux atteints d’infirmité physique notoire ont également bénéficié de la remise totale des peines privatives de liberté.
Des irrégularités subsistent
Tous les condamnés à la servitude pénale à temps ayant déjà purgé le quart de la peine et dont les condamnations sont devenues définitives à l’entrée en vigueur du présent décret ont, quant à eux, bénéficié de la remise des peines à moitié.
De plus, les condamnations à la servitude pénale à perpétuité ont été commuées en peines de servitude pénale de 20 ans, exception faite des condamnations pour les infractions ci-haut.
A titre exceptionnel, les condamnés ayant déjà exécuté trois quarts de leurs peines, les femmes condamnées pour infanticide ou avortement ayant purgé au moins 3 ans de servitude pénale principale, les condamnés pour corruption et/ou infractions connexes à la corruption quelle que soit la peine prononcée à condition d’avoir payé les montants détournés et les dommages et intérêts prononcés ont aussi bénéficié de la remise totale de la peine.
Cependant, les récidivistes, les évadés, ceux qui ont été repris après évasion, ceux qui ont facilité l’évasion et ceux qui ont été condamnés pour plus d’un dossier ne sont pas concernés par cette mesure.
Le représentant légal de l’Association Solidarité avec les prisonniers et leurs familles (Ntabariza SPF), Jean-Marie Nshimirimana, s’est dit satisfait de cette mesure. « Le président de la République a répondu aux préoccupations des défenseurs des droits de l’Homme ». Toutefois, a déploré ce défenseur des droits de prisonniers, certains détenus n’ont pas encore été libérés. Il a épinglé quelques problèmes.
Selon lui, il y a des détenus qui devraient payer des amendes ou des dommages-intérêts. Ils n’ont pas été libérés parce qu’ils sont insolvables.
Par ailleurs, certaines femmes enceintes ou allaitantes n’ont pas été libérées parce qu’elles ont été condamnées à de lourdes peines ou à des peines non graciables.
Le Conseil supérieur de la Magistrature restructuré
Le 17 septembre 2021, le président Ndayishimiye a signé un décret portant missions, organisation et fonctionnement du Secrétariat permanent du Conseil supérieur de la Magistrature. Une nouvelle structure qui n’a pas fait l’unanimité.
Selon ce décret, le Secrétariat permanent est l’organe exécutif dudit Conseil. Il en est le service technique et opérationnel et assure la mise en œuvre et le suivi des décisions du Conseil.
Entre autres missions du CSM figurent l’enquête sur les dénonciations et les cas portés à sa connaissance lorsqu’ils sont réputés avoir eu un impact sur la qualité d’une décision judiciaire coulée en force de chose jugée, l’enquête et l’instruction préliminaires sur les plaintes des particuliers ou de l’Ombudsman concernant tant le comportement professionnel des magistrats que les mal jugés manifestes coulés en force de chose jugée et proposer au CSM les mesures appropriées conséquentes si le mal est manifeste.
Il sera aussi chargé de l’analyse, pour le compte du Conseil, de la qualité des jugements et arrêts coulés en force de chose jugée dénoncés ou portés à la connaissance du Conseil, l’instruction préliminaire des recours des magistrats, etc. Le décret précise que nulle requête ne peut être enregistrée au Secrétariat permanent si le requérant n’a pas épuisé tous les recours devant les instances judiciaires.
Ce Secrétariat permanent est composé d’un secrétaire permanent, des cadres permanents et non permanents et d’un personnel d’appui. Le Secrétaire permanent est choisi parmi les magistrats de carrière, jouissant d’une expérience pertinente, d’une compétence avérée en matière de justice et d’une moralité sans reproche
Il est sous l’autorité du président de la République qui est en même temps président du Conseil supérieur de la Magistrature.
Une structure différemment appréciée
Pour certains, la nouvelle structure est venue répondre aux défis qui hantent le secteur judiciaire. D’autres y ont vu une compromission de l’indépendance de la magistrature.
« C’est une avancée. Je crois que les choses vont changer », s’est réjoui un magistrat dans la Mairie de Bujumbura. « Les magistrats corrompus ne pourront plus se cacher car ils savent aujourd’hui qu’ils sont scrutés à la loupe », a renchéri un autre.
Bernard Ntahiraja, docteur en droit et chercheur postdoctoral au Centre norvégien des droits de l’homme à l’Université d’Oslo, n’y a trouvé aucune avancée : « Ce décret ne peut pas résoudre les problèmes créés par la loi qu’il applique. La loi est problématique au regard de l’indépendance de la magistrature, et même de la séparation des pouvoirs tout simplement. Ce sont des problèmes qu’un décret d’application ne peut pas résoudre. »
Vente aux enchères : des familles dépossédées
Tout part d’un communiqué du ministère de la Justice diffusé le 6 novembre 2021. Le message ministériel a annoncé « une vente aux enchères des biens et meubles saisis par la justice » à partir du 11 novembre jusqu’au 14 novembre 2021 aux bureaux du ministère.
Le communiqué précisait, en outre, que tous ceux qui désiraient procéder à l’achat des dits biens et meubles étaient priés de se présenter au ministère en date du 10 novembre. Tout de suite, le bruit a couru sur les réseaux sociaux que les biens et meubles qui allaient être proposés à la vente publique appartenaient aux personnes accusées d’avoir trempé dans la tentative de coup d’Etat de mai 2015.
Le communiqué du ministère de la Justice n’a pas précisé la catégorie concernée par cette vente aux enchères. Toutefois, des propriétaires concernés, des noms sont apparus. Il s’agissait entre autres du Général Herménegilde Nimenya, Marguerite Barankitse et d’autres comme Onésime Nduwimana, ancien porte-parole du parti au pouvoir, et Leonidas Hatungimana, ancien porte-parole du feu président Pierre Nkurunziza. Pourtant les deux derniers n’ont jamais été cités dans aucune action judiciaire.
Des défenseurs des droits humains libérés
D’un côté, l’activiste des droits humains, Germain Rukuki et ancien employé de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture Burundi (ACAT-Burundi), a recouvré sa liberté après avoir passé quatre ans derrière les barreaux de la prison de Ngozi. Il a été libéré le 30 juin 2021. Une libération qui a plu à ses proches, à ses avocats et aux défenseurs des droits humains.
Cette libération est intervenue après que la Cour d’appel de Ntahangwa ait décidé, le 21 juin 2021, de réduire la peine de M. Rukuki de 32 ans à un an de prison assorti d’une amende de 50,000 BIF dans le cadre de son deuxième procès en appel.
Rappelons que le 30 juin 2020, la Cour suprême avait cassé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Ntahangwa le 17 juillet 2019 condamnant Germain Rukuki à 32 ans d’emprisonnement pour mouvement insurrectionnel, atteinte à la sûreté intérieure de l’État et rébellion.
De l’autre, le défenseur des droits humains, Nestor Nibitanga a été libéré le 27 avril 2021 dans le cadre de la grâce présidentielle du 5 mars 2021, après 4 années de détention. Il était détenu à la prison centrale de Rumonge, au sud du pays.
Nestor Nibitanga avait été arrêté le 11 novembre 2017 puis condamné le 13 août 2018 à 5 ans de prison ferme pour « atteinte à la sûreté de l’État ».
Avant 2015, M. Nibitanga était le représentant de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH) dans la région centre-est du Burundi,
L’ex-député Fabien Banciryanino libéré
Fabien Banciryanino, connu pour son franc-parler lorsqu’il siégeait à l’Assemblée nationale a été libéré de la prison centrale de Mpimba. Il était détenu à Mpimba depuis le 8 octobre 2020.
Il avait été condamné à une année de prison et une amende de 100 mille BIF par le Tribunal de Grande Instance de Ntahangwa.
Elu dans la circonscription de Bubanza en 2015, il était poursuivi pour rébellion, dénonciation calomnieuse et atteinte à la sureté intérieure et extérieure de l’Etat.
Christa Kaneza libérée
Epouse de Thierry Kubwimana, le jeune homme assassiné, le 25 novembre 2020, chez lui à Gasekebuye en zone Musaga, dans des circonstances encore obscures, est libre depuis le 1er décembre 2021.
Elle venait de passer plus de 10 mois derrière les barreaux à la prison centrale de Mpimba. Son incarcération avait scandalisé plus d’un lorsqu’elle avait été présentée par la police comme complice dans l’assassinat de son mari au début de cette année.
Condamnation de l’avocat Tony Germain Nkina
Tony Germain Nkina a été arrêté le 13 octobre 2020 dans la commune de Kabarore, où il rendait visite à un client dans le cadre de ses activités professionnelles en tant qu’avocat.
En juin 2021, le Tribunal de grande instance de Kayanza l’a déclaré coupable de collaboration avec des groupes armés. Il a été condamné à 5 ans d’emprisonnement. Une condamnation confirmée par la Cour d’appel de Ngozi dans une audience qui a eu lieu le 20 septembre 2021.
Son client, Apollinaire Hitimana, qu’il conseillait dans le cadre d’un conflit foncier, a été reconnu coupable de complicité à la même infraction, et condamné à deux ans et demi d’emprisonnement.
Tony Germain Nkina était le représentant de l’APRODH à Kayanza avant la suspension de cette organisation en 2015.
Réhabilitation des notables collinaires
Le président de la République, Evariste Ndayishimiye a promulgué le 23 janvier 2021 la loi portant complément des dispositions du code de procédure civile relative à la réinstitution du conseil des notables collinaires. C’est une institution qui va rapprocher la justice aux justiciables.
Selon l’article 3 de cette loi, dans chaque colline ou quartier, ce conseil comprend 15 membres avec un mandat indéterminé. Pour certains, ce conseil va réduire les conflits et jouera un rôle crucial pour les justiciables.
Selon l’article 5 de ladite loi, le conseil des notables de la colline a une mission générale de conciliation des parties en litige. « Il est particulièrement chargé de recevoir les plaintes des parties en litige et donner son avis sur les affaires civiles de la compétence du tribunal de résidence ». Par ailleurs il va « procéder à la conciliation des parties en conflit lorsque le litige n’est pas de l’ordre public ou ne touche pas aux bonnes mœurs ».
En outre, cet organe collinaire peut également aplanir un conflit résultant d’une infraction en se prononçant sur l’octroi des dommages-intérêts qui en résultent pour autant que l’action civile y afférente est de la compétence du tribunal de résidence.
Enfin, selon l’article 6 de la même loi, le conseil des notables « ne peut en aucun cas se prononcer sur des peines ».
Par Felix Haburiyakira (IWACU)