Burundi : L’Histoire Révisée de 1960 à 1966 par la CVR – Éclairage sur les Faits
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Sortir de la Lecture Coloniale : CVR et Réalité des Faits au Burundi

Bujumbura, 10 août 2023 – Conformément aux politiques intérieures et judiciaires barundies, la Commission Vérité Réconciliation (CVR) du Burundi est en action. Le Burundi est un ancien État millénaire en Afrique, à Kama. Les Barundi forment un peuple de l’ubungoma (d’ubuntu). C’est le couple MukaKaryenda-Karyenda (le tambour sacré, ingoma) qui donne naissance à notre univers, à celui des êtres, des Barundi.

Au sein d’Ingoma y’Uburundi, les institutions politiques [1] sont établies par une alliance -ganwa- formée par les -imiryango- des Barundi. Sans la présence du couple Mukakaryenda-Karyenda [2], Ingoma y’Uburundi ne peut exister. Ainsi, l’État barundi est représenté par un tambour (ingoma) -Karyenda-, un umwami, aidé par les abaganwa, les abatware, les chefs des imiryango, tous initiés par les confréries des -abanyamabanga, abapfumu (les savants Barundi) -, dont les Batwa qui leur enseignent où ,quand, et comment a commencé – Ingoma – (Karyenda), les -abahanuzi- qui montrent comment, en utilisant -ubwenge-, on peut suivre le chemin de la vérité (celui d’Imana) en harmonie avec les -abahima-, les -abashingantahe- et les -abapfasoni- qui portent en eux la vérité avec un cœur bon -umutima mwiza-, les ibishegu qui instruisent au – Kubandwa – et aident à connaître le couple MukaKiranga-Kiranga (Mukaryangombe-Ryangombe) lié aux ancêtres, etc.

Lorsque l’on aborde strictement les institutions socio-économiques barundi [3] au sein d’Ingoma y’Uburundi, cela se résume en une structure à quatre niveaux : 1/ abahutu (producteurs des ressources nécessaires pour satisfaire les besoins des Barundi), 2/ abatutsi ( gestionnaires justes, suivant la planification, assurant une répartition équitable des ressources nécessaires à chaque -umuryango- pour satisfaire ses propres besoins), 3/ abanyamabanga, abapfumu (ceux qui planifient – les planificateurs – et régulent – les régulateurs – les législateurs), et 4/ umwami (vérifie l’harmonie sociale que procure la planification. Il demande une harmonisation en cas d’injustice).

Ceci résume la société des Barundi -Ingoma Y’Uburundi- de manière concise, tout en éclairant les causes du Génocide Régicide au Burundi, commis par les États-Unis, le Vatican, la France et la Belgique, qui a causé plus de 4,5 millions de victimes barundi sur une population actuelle de plus de 9 millions d’habitants, entre 1959 et 2005 ( date des premières élections après la guerre civile burundaise de 1993 à 2003 ).

Jeudi, lors d’une conférence de presse sous le thème “Les vainqueurs des élections des années 60 au Burundi, premières victimes de l’intolérance politique”, le très respectable Monsieur Ndayicariye Pierre Claver, président de la CVR du Burundi, a présenté la situation actuelle des recherches sur la période de 1961 à 1966 au Burundi. Cette période était marquée par l’idée de mettre fin à Ingoma Y’Uburundi. La CVR a également évoqué les premiers leaders upronistes ayant milité pour l’indépendance, mais ayant été soit assassinés, soit fusillés, et rarement décédés de mort naturelle.

Parmi les sujets abordés figuraient les circonstances de l’assassinat du Premier Ministre Rwagasore juste avant la proclamation de l’indépendance du Burundi, ainsi que l’assassinat du Premier Ministre Ngendandumwe Pierre en 1965.

La CVR a identifié un grand nombre de dossiers de Bahutu arrêtés et incarcérés à travers le pays pour attentat à la sûreté de l’État, d’après les archives du parquet de Gitega. Selon les enquêtes et les archives de la CVR, la plupart des élus hutu de mai 1965 ont été assassinés en 1965 et en 1972, à l’exception de Biyorero Ezechias élu à Rumonge.

Vous pouvez retrouver le travail de la CVR Burundi sur les événements des années 1960 ici : [ https://www.burundi-forum.org/wp-content/uploads/2023/08/bdi_burundi_cvr60_bujumbura_cvr.pdf ].

[ https://www.youtube.com/watch?v=I3CAnWEvov0 ]

Remarques sur le travail de la CVR…

En revisitant les premières élections des années 1960 et l’observée intolérance politique, il est important de noter que c’est le décret colonial belge du 25 décembre 1959 qui a engendré un désordre et une frustration généralisée. Ce décret a introduit les partis politiques et a réorganisé la gestion du territoire d’Ingoma y’Uburundi. Il a ainsi coupé définitivement les liens politiques entre le -umwami- et Ingoma y’Uburundi, supprimé les chefferies des -abaganwa- et des -abatware-, et créé des communes et des provinces, en ignorant les collines où de nombreux chefs des -imiryango- des Barundi se trouvaient. C’était un coup d’état politique à Ingoma y’Uburundi, visant à permettre l’organisation d’élections de type occidental. Cependant, les Barundi n’étaient pas familiers avec le concept d’élections, ce qui a engendré d’énormes frustrations parmi les Baganwa, les Batware, les chefs des imiryango et le Mwami. Ils avaient perdu Ingoma y’Uburundi (devenu un Royaume, terme étatique occidental ) ainsi que toute l’organisation politique traditionnelle. La CVR souligne l’intolérance générée par ces premières élections des années 1960.

La CVR examine également l’assassinat du Premier Ministre Rwagasore, socialement connu comme – umuganwa – , fils d’-umwami- Bangiricenge portant le titre de “Mwambutsa” pendant près de 50 ans (ce qui est interdit pour un tel titre chez les Barundi). Cette situation qui avait fait bravé cet interdit était due aux troubles causés par la colonisation belge sur les institutions politiques d’Ingoma y’Uburundi, un crime contre l’humanité, notamment l’assassinat de Kanyarufunzo Runyota. En montrant l’implication belge dans cet assassinat du Premier Ministre Rwagasore, la CVR reprend la version des Belges, en mettant l’accent sur les enfants de la famille Baranyanka (abaganwa). Alors qu’ils ont été des innocents boucs émissaires. Cependant, elle évite complètement d’aborder le rôle de Ntiruhwama Jean, un acteur néocolonial burundais majeur [4], qui, sociologiquement -umuhima- chez les Barundi, s’était mis au service de la Belgique et du Vatican depuis les années 1950 et particulièrement en 1959 pour mettre fin à Ingoma y’Uburundi. La prise de contrôle de l’UPRONA par Ntiruhwama Jean en 1961 lui a permis de poursuivre sa mission, avec le soutien du groupe Foccart [5] de jeunes officiers burundais de Saint Cyr en France ( Shibura, Sota, Riga, Ndayahoze…), visant à mettre fin à Ingoma Y’Uburundi dès 1965-1966.

Cependant, il est regrettable que la CVR présente les assassinats des membres de la structure politique d’Ingoma Y’Uburundi, notamment les chefs des imiryango Barundi et leurs entourages, comme ayant ciblé les Bahutu. De plus, en confondant les termes sociologiques traditionnelles -umuhima- et -umututsi-, elle adopte une perspective ethnique Hutu-Tutsi d’origine coloniale et géopolitique occidentale. Cette approche ne permet pas de comprendre les événements de 1959 à 1965-1966. La distinction Hutu/Tutsi a permis aux colons et à leurs alliés de créer et de maintenir des conflits sociaux en arguant qu’il s’agit de guerres ou de conflits ethniques ou tribaux lors de grands massacres qu’ils ont orchestrés au Burundi dans le but de réaliser leurs propres objectifs, tout en se tenant à l’écart. Un exemple en est le Génocide Régicide du Burundi dont il s’agit.

L’année 1965 est intéressante car, au détriment des Belges et de Ntiruhwama Jean (socialement – umuhima – ), ce sont les Français et le réseau burundais du groupe Foccart, composé de jeunes officiers de Saint Cyr en France, qui ont pris le pouvoir et le commandement du Burundi. Notamment Shibura Albert (anciennement umuhima, umuryango -umusapfu-) et Sota Sylvère (socialement umuhima), originaires tous deux de Bururi. Ils ont mobilisé les membres de leurs familles et de leurs localités ( Simbananiye Arthémon, Nyangoma Gervais, Micombero Michel…) pour poursuivre la mission de mettre fin à Ingoma Y’Uburundi et prendre le pouvoir.

En conclusion, la CVR doit aborder ces événements en les contextualisant socialement selon la tradition burundaise, plutôt qu’en adoptant la perspective coloniale ( ethnique : hutu/tutsi ). Cela permettrait une lecture plus réaliste des faits concernant les individus assassinés pendant les années 1960. En effet, compte tenu de la réticence naturelle à l’égard du vide, la plupart des acteurs politiques traditionnels d’Ingoma y’Uburundi, qui avaient perdu leurs positions suite au décret colonial belge de 1959, se sont engagés dans la course politique des nouvelles institutions post ou néocoloniales , et ce sont fait tués au cours de cette même période. Car ce sont leurs -imiryango- qui soutenaient Ingoma y’Uburundi. Ils formaient socialement l’ossature politique d’Ingoma Y’Uburundi. Pourquoi des -abaganwa- ou des membres des -imiryango- appartenant à l’alliance qui soutenait Ingoma y’Uburundi auraient-ils souhaité mettre fin à leur état traditionnel ? Cette perspective souligne la nécessité de dépasser la vision coloniale Hutu/Tutsi. Cependant, en ce qui concerne les événements de 1972/1973, il est évident que la France et ses alliés cherchaient à instaurer un nouveau système économique au Burundi ( une économie de marché ) en supprimant radicalement l’ancien, totalement incompatible. Dans ce contexte, il est approprié de parler d’un génocide contre les Bahutu barundi.
Cette perspective plus réaliste permettrait de mieux comprendre les motivations et les actions des acteurs politiques de l’époque.

 

[1] cfr. Mworoha Emile, – Institutions, Rites et Structures étatiques des anciennes monarchies des grands lacs et Africains – ; Nsanze Augustin, Le Burundi ancien, L’économie du Pouvoir de 1875 à 1920 ; Gahama Joseph, Le Burundi sous administration belge ; Baranyanka Charles, Burundi face à la croix et à la bannière ; Ndayishinguje Pascal : L’ Intronisation d’un mwami.
[2] Burundi : La dynastie des Mukakaryenda – De Inakibindigiri jusqu’à Ruburisoni – https://burundi-agnews.org/abahanuzi/burundi-la-dynastie-des-mukakaryenda/
[3] cfr. Nsanze Augustin, Le Burundi ancien, L’économie du Pouvoir de 1875 à 1920 ; Mworoha Emile, – Institutions, Rites et Structures étatiques des anciennes monarchies des grands lacs et Africains
[4] Nsanze Augustin, Le Burundi contemporain
[5] Françafrique : Jacques Foccart, le prince des ténèbres – https://www.jeuneafrique.com/mag/471170/politique/francafrique-jacques-foccart-le-prince-des-tenebres/

 

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Source : Nahimana P. , http://burundi-agnews.org, Dimanche 13 août 2023 | Photo : CVR BURUNDI