Burundi : Quakers et présidence en camp biblique

SOCIETE, SECURITE, GUERRE GEOPOLITIQUE

Entre christianisation et résistance, l’histoire secrète du dernier Umuganuro et du vrai Karyenda.

Gitega, 28/07/2025 (Bdiagnews) – Dans le cadre du programme Saltshaker, qui s’est déroulé du 15 au 30 juillet 2025, des jeunes Quakers américains issus du Mid-America Yearly Meeting (MAYM) ont été chaleureusement accueillis par le couple présidentiel burundais, Son Excellence Ndayubaha Angéline, Première Dame du Burundi, et Son Excellence Ndayishimiye Evariste, Président de la République. Ce camp biblique, organisé par l’Evangelical Friends Church of Burundi (EFC-Burundi) en collaboration étroite avec les assemblées annuelles de Kibimba et Kwibuka, a symbolisé les complexités historiques et culturelles héritées des missions protestantes au Burundi.
Fondée en 1933 à Kibimba sous l’égide de la Friends Africa Gospel Mission (FAGM), une branche missionnaire du mouvement Quaker fondé par George Fox, l’EFC-Burundi s’est implantée par l’intermédiaire de personnalités telles qu’Arthur Chilson. Sous l’apparence d’œuvres socio-économiques et éducatives, leur mission était claire : amener les Barundi à adopter le christianisme. Leurs actions missionnaires se sont progressivement étendues à Mutaho en 1936, à Gitega-Kwibuka en 1944, et enfin à Kwisumo en 1948.

Avant l’arrivée des missions chrétiennes, les Barundi vivaient selon l’Ubungoma ( à la manière du Tambour ), leur cosmologie ancestrale, symbolisée par le Tambour Sacré Karyenda.
Par ailleurs, le Burundi, connu sous le nom d’Ingoma y’Uburundi, constituait une ancienne dyarchie millénaire issue de Kama (terme désignant l’Afrique dans la tradition locale), où régnaient conjointement le Tambour Sacré Karyenda et le Mwami.[1]
En 1928, au palais de Buryenda, Mukakaryenda Ruburisoni, la gardienne sacrée du Karyenda, fut convertie de force au catholicisme par les colonisateurs belges et le Vatican, prenant alors le nom de Maria Ruburisoni.[2] L’année suivante, l’Umuganuro, la fête traditionnelle des semailles au cœur de l’Ubungoma, fut interdite.
En 1940, Kabwa, devenu Pietro Kabwa après sa conversion, dernier gardien officiel du Karyenda, remit le tambour sacré au Père Pio Canonica. Ce missionnaire italien ordonna son transfert à la mission catholique de Bukeye pour procéder à sa « désacralisation », un euphémisme pour sa destruction rituelle. Des témoignages oraux évoquent même un feu rituel qui aurait marqué la disparition définitive du Karyenda.
Mais l’Ubungoma résiste. Selon Muganwa Baranyanka Petero, des Batimbo (tambourinaires) auraient substitué le vrai Karyenda par une copie avant sa saisie, le cachant via Muganwa Nduwumwe. Preuve de cette résistance : le 27 décembre 1958, le régime colonial réinstaure l’Umuganuro comme fête nationale. Ruciteme (tambour secondaire) y est utilisé… mais certains affirment que le vrai Karyenda aurait été présent lors du dernier Umuganuro d’octobre 1964, gardé par Mufyisi, appartenant au muryango des Banyakarama.

Depuis le XIXᵉ siècle jusqu’à aujourd’hui, le Burundi mène une guerre silencieuse contre ce qu’on appelle « la Croix et la Bannière » – cette alliance historique entre le Vatican, les missions chrétiennes et les puissances coloniales [3], venue spolier les terres ancestrales des Barundi en sapant méthodiquement leur unité culturelle. Le Tambour Sacré Karyenda, qu’il ait été volé, détruit ou secrètement préservé, continue de battre dans le cœur et  la mémoire collective des Barundi. @Bdiagnews

Références :
[1] Nahimana Karolero Pascal, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Génération Afrique, 2024.
[2] Ndoricimpa Léonidas et Claude Guillet, L’Arbre-mémoire. Traditions orales du Burundi, Ed. Karthala & Centre de Civilisation Burundaise, 1984.
[3] Baranyanka Charles, Le Burundi face à la Croix et à la Bannière, Bruxelles, 2015. (La « Croix et la Bannière » désigne l’alliance historique entre le Vatican, la France – notamment via les Pères Blancs de Lavigerie –, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis contre l’ordre traditionnel burundais depuis le XIXᵉ siècle.)

Sources : Nahimana P. , http://burundi-agnews.org, Lundi 29 juillet 2025 | Photo : Nkunzimana Joseph

GUERRE GEOPOLITIQUESECURITESOCIETE