À Tervuren, rencontre entre Kukirimba Belgique et l’AfricaMuseum : moment de recueillement autour de Rwagasore et débats sur la colonisation.
Tervuren (Belgique), 5/10/2025 — En février 2025, l’Union africaine a, pour la première fois, qualifié la colonisation de crime contre l’humanité, l’assimilant à un crime de génocide. La Belgique, ancienne puissance coloniale, a récemment lancé un projet de plateforme numérique dédiée à l’histoire coloniale du Burundi, du Rwanda et de la République démocratique du Congo.
Après un accueil rythmique au Tambour, assuré par les Tambours du Burundi, une atmosphère de recueillement a enveloppé la salle de l’AfricaMuseum à Tervuren, où s’étaient réunis de nombreux Barundi de la diaspora [1], des amis du Burundi et des curieux.
Parmi les personnalités présentes figuraient Ntahiraja Thérence, ambassadeur du Burundi en Belgique, très apprécié de la communauté, ainsi que « Reine » Iribagiza Rose Paula, fille du Mwami Mwambutsa Bangiricenge et sœur du Muganwa Rwagasore Louis.
Bart Ouvry, directeur général du musée, a également pris part à l’événement.
Cette rencontre, coorganisée par Kukirimba Belgique – une organisation rassemblant des descendants des anciens Bami d’Ingoma y’Uburundi vivant en Belgique – et la direction de l’AfricaMuseum, visait à honorer la mémoire du Muganwa Rwagasore, héros de l’indépendance du Burundi, à l’occasion du 64ème anniversaire de son assassinat.
Harerimana Eric-Innocent, représentant de Kukirimba Belgique, a animé avec panache un échange sur la vie, les combats et l’héritage de Rwagasore dans l’histoire millénaire d’ Ingoma y’Uburundi.
La conférence a également réuni plusieurs intervenants : l’historien Mukuri Melchior, Ndenzako Aline, Rwigemera Jean Bosco et Sebudandi Gaëtan.
Ingoma y’Uburundi est une dyarchie millénaire, régie par le Tambour Sacré Karyenda – représenté par Mukakaryenda, la Femme-Tambour, symbole de la Divinité Suprême des Barundi – et le Mwami, chef des Bataka (chefs des miryango, ou lignages) et de tous les Barundi [2].
Dès le 19ème siècle, Ingoma y’Uburundi (le Burundi) fut confrontée à une agression coloniale portée par la chrétienté papale [3] et ses États vassaux, regroupés sous le nom de « la Croix et la Bannière » [4].
Pour s’emparer des terres des Barundi, les puissances coloniales, notamment l’Allemagne, mirent en place dès 1911 l’outil raciste géopolitique colonial du « conflit interethnique Hutu-Tutsi » [5], conçu pour briser l’unité sociale des Barundi.
Entre 1920 et 1944, l’institution du Tambour Sacré Karyenda fut démantelée à la suite de la conversion forcée au christianisme de Mukakaryenda, devenue Maria Ruburisoni.
La disparition de Karyenda entraîna aussi celle des « Bami de la nuit » (Ntare wi Nkoma, Nzobe yi Kirwa, Mutaga wa Magamba et Mwambutsa wa Magamba).
Les Pères Blancs purent alors s’attaquer à l’Ubungoma (cosmologie et spiritualité des Barundi), remplacé de force par le christianisme.
Les Hima, porteurs d’un titre divin lié à l’institution de Karyenda, garants de l’harmonie des miryango, eux aussi convertis de force, furent détournés de leur fonction et transformés en agents néocoloniaux œuvrant contre Ingoma y’Uburundi.
L’État ne conserva alors que le pouvoir des « Bami du jour » (Ntare, Mwezi, Mutaga, Mwambutsa).
Entre 1959 et 1973, la Croix et la Bannière acheva la destruction totale d’Ingoma, d’abord en instaurant la République (1965–1966), puis en démantelant l’Ubumu – le système socio-économique et écologique traditionnel – (1972–1973), remplacé par l’économie de marché (le Capitalisme).
C’est au cœur de cette phase de démolition systématique qu’eut lieu l’assassinat du Muganwa Rwagasore, fils aîné du Mwami Mwambutsa Bangiricenge, le 13 octobre 1961, par un tireur d’élite d’origine grecque, Kajorgis.
La rencontre organisée par Kukirimba Belgique visait donc non seulement à honorer la mémoire de Rwagasore, héros de l’indépendance, mais aussi à rappeler aux Barundi, peuple de l’Ubungoma, ce qu’était Ingoma y’Uburundi : un État harmonieux, fondé sur une unité sociale où rayonnaient Karyenda et Mukakaryenda, les Bami, les Baganwa, les Bataka, les Banyamabanga, les Batware, les Hima, les Bashingantahe, les Bapfasoni, les Hutu, les Tutsi, les Twa, et bien d’autres encore.
Références :
[1] Nahimana, Karolero Pascal, Burundi : La diaspora burundaise : Du monde, de Belgique et d’ailleurs – Histoire, trajectoires et ancrage, Bruxelles, Génération Afrique, 2025.
[2] Nahimana Karolero Pascal, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Bruxelles, Génération Afrique, 2024.
[3] Pini-Pini Nsasay, Tribunal de l’Histoire Africaine. Tome 1 : Réquisitoire contre l’Europe christianisée en hommage à E.D. Morel (1873–1924/2024), Collection Historiographie du Monde Contemporain / Éds Cheikh Anta Diop (Edi-CAD), Douala, 2024.
[4] Baranyanka Charles, Le Burundi face à la Croix et à la Bannière, Bruxelles, 2015. (La « Croix et la Bannière » désigne l’alliance historique entre le Vatican, la France — notamment via les Pères Blancs de Lavigerie —, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis — contre l’ordre traditionnel burundais depuis le XIXᵉ siècle.)
[5] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la Colonialité, Génération Afrique, Bruxelles, 2025.
Sources : Nahimana P. , http://burundi-agnews.org, Dimanche 5 octobre 2025 | Photo : Ntahiraja Thérence, « Reine » Iribagiza Rose Paula.