Burundi : CVR – 1965, « Année de la fracture identitaire ethnique » ?

HISTOIRE, SECURITE, GEOPOLITIQUE

De 1959 à 1966, les génocides ciblés, par la « Croix et la Bannière », contre les Baganwa et les élites traditionnelles visaient à éradiquer Ingoma y’Uburundi

Gitega, 1/11/2025 – Sur son compte X, Ndayicariye Pierre Claver, le très respecté président de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) du Burundi, a qualifié 1965 d’« année de la fracture identitaire ethnique »[1]. Dans un message poignant, il liste les exécutions sommaires qui ont décimé le Bureau du Parlement du Burundi en 1965 : au Sénat, Bamina Joseph (président), Ndimanya Ignace (1er vice-président) et Karibwami Sylvestre (2e vice-président) ; à l’Assemblée nationale, Bucumi Émile (président), Mirerekano Paul (1er vice-président) et Mayondo Patrice (2e vice-président). Sans oublier les nombreux députés, comme Benyuje Émile, élu de la circonscription Rutegama-Kiganda à Muramvya, en temps que Mutabazi (titre noble burundais), qui siégeait au Conseil de la Couronne d’Ingoma y’Uburundi[2].

De 1959 à 1966, la « Croix et Bannière » [3], alliance impliquant le Vatican, la France, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis – s’est acharnée à mettre fin à Ingoma y’Uburundi, l’État traditionnel millénaire des Barundi. D’abord, les Baganwa – les figures comme Rwagasore Louis , Ntidendereza Jean-Baptiste , Birori Joseph , Ntakiyica Jean-Baptiste , Nahimana Antoine, Kamatari Ignace etc. – ont été systématiquement éliminés dans ce qui s’apparente à un génocide colonial et néocolonial contre les élites burundaises.  Parallèlement, des massacres ciblés frappaient les strates profondes de la société : en janvier 1962, par exemple, l’assassinat des quatre syndicalistes à Kamenge – Nduwabike Jean , Ndinzurwaha Séverin , Ntawumenyakaziri Basile et Baruvura André – visait les enfants des Batware, des Banyamaganga, des Bataka (chefs des miryango – lignés ou lignages -), des Batabazi,  des Bashingantahe et des Bapfasoni. Ces enfants des miryango burundais important, ayant des fonctions politiques, piliers d’Ingoma y’Uburundi, étaient les cibles d’une purge génocidaire impitoyable.

Ces tueries des années 1960, dont l’objectif clair était d’anéantir l’État traditionnel barundi -Ingoma-, ont poussé les puissances de la « Croix et Bannière » à activer l’« outil raciste géopolitique colonial du conflit interethnique Hutu -Tutsi » [5], mise en place dès 1911 par l’explorateur allemand Hans Meyer [6]. Pourtant, cet instrument de division peinait à s’implanter dans le tissu social burundais. Car Hutu et Tutsi n’étaient pas des ethnies, mais des titres fluides d’acteurs sociaux au sein de l’Ubumu – ce système socio-économique et écologique ancestral des Barundi.   Il a fallu attendre l’après-1972 – marquée par la fin brutale de l’Ubumu et le génocide contre les Hutu du Burundi [7] – et plus précisément la conférence de décembre 1974 à Bruxelles [8], pour que les Barundi, traumatisés, internalisent, comme pour les Rwandais depuis 1959, Hutu et Tutsi comme des ethnies distinctes. Ce basculement, fruit d’une ingénierie coloniale persistante, a scellé la fracture d’un peuple autrefois uni par les fils invisibles de son histoire millénaire.

Références :

[1] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la Colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025.
[2] Nahimana Karolero Pascal, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Bruxelles, Génération Afrique, 2024.
[3] Baranyanka Charles, Le Burundi face à la Croix et à la Bannière, Bruxelles, 2015.
[4] Nahimana Karolero Pascal, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Bruxelles, Génération Afrique, 2024.
[5] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la Colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025.
[6] Rugurika Mathias, Repères historiques du Burundi : Tome 1 : de la période précoloniale à l’indépendance, le 1er juillet 1962. 2022.
[7] Kubwayo Félix, La lente reconnaissance du génocide de 1972 contre les Hutu du Burundi : Les faits et l’exécution du génocide par le pouvoir de Micombero, Bruxelles, 2025 | Ntibantunganya Sylvestre, Histoire d’un génocide occulté : Le Génocide des Bahutu du Burundi de 1972-1973, Ed. Sigumugani, 2025.
[8] Nahimana Karolero Pascal, Burundi : La diaspora burundaise – Du monde, de Belgique et d’ailleurs – Histoire, trajectoires et ancrage, Bruxelles, Génération Afrique, 2025.

Sources : Nahimana P., http://burundi-agnews.org, Mardi 4 novembre 2025 | Photo : Président de la CVR du Burundi

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