Burundi : RGPHAE 2022, modèle africain statistique salué – Héritage colonial

SOCIO-ECONOMIQUE, HISTOIRE

Le RGPHAE 2022 est salué comme une réussite africaine, mais la critique décoloniale persiste sur l’avenir institutionnel.

Bujumbura, du 18 au 19/11/2025 – En présence du Premier Ministre du Burundi, Ntahontuye Nestor, et de l’ensemble des cadres du Système Statistique National, s’est tenue la cérémonie de clôture du 14ᵉ Mois de la Statistique au Burundi, couplée avec la 33ᵉ Journée Africaine de la Statistique. La délégation régionale de l’UNFPA East and Southern Africa était également présente pour échanger sur les avancées du pays.

Un panel consacré aux usages de la cartographie statistique a réuni les experts du BCRRGPHAE2022, de l’UNFPA Burundi, du PNUD, de la FAO, ainsi que des représentants des ministères burundais de l’Agriculture, de l’Intérieur, des Finances, de STATAFRIC et d’AFRISTAT. Les discussions ont porté sur le partenariat stratégique autour du RGPHAE, sur l’intégration de l’IA dans les opérations statistiques et sur la mobilisation de ressources pour les programmes de l’UNFPA Burundi.

Le 18 novembre, le Recensement Général de la Population, de l’Habitat, de l’Agriculture et de l’Élevage (RGPHAE) 2022 et l’Institut National de Statistique du Burundi ont organisé un Café Statistique. Au cœur des échanges se trouvait la question de la mutualisation du recensement, un modèle qui inspire désormais d’autres pays africains.

Le thème du jour était : « Couplage du Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) avec le Recensement Général de l’Agriculture et de l’Élevage (RGAE) : quelles leçons de l’expérience du Burundi avec le RGPHAE 2024 ? »

Les panélistes ont unanimement salué la réussite burundaise, qualifiant le pays de cas d’école en matière de mutualisation statistique. Ils ont insisté sur l’importance de pérenniser les acquis pour les recensements futurs soutenus par l’UNFPA et la Banque mondiale.

Plusieurs recommandations ont été formulées : – diffusion et appropriation des résultats du RGPHAE par l’ensemble des utilisateurs ;  – maintien du BCRRGPHAE2022 comme structure permanente chargée de conserver les acquis ; et  – partage de l’expérience burundaise avec d’autres pays.

Ndayishimiye Nicolas, directeur général de l’INSBU (anciennement ISTEEBU), a rappelé que le Mois de la Statistique doit devenir un moment fort de plaidoyer pour l’innovation et la production de données de qualité, au service du développement et de l’émergence du Burundi.

Le Premier Ministre Ntahontuye Nestor a, quant à lui, informé la population que la collecte des données du RGPHAE 2024 se poursuivrait jusqu’en 2027, rappelant que les innovations statistiques sont indispensables à la modernisation du Système Statistique National. Ces données permettent au PNUD et à l’État du Burundi d’alimenter la planification nationale [1], notamment pour la Vision 2040–2060 [2].

Cette célébration de la statistique moderne ne peut cependant se comprendre sans un regard sur les fondements historiques du Burundi, Ingoma y’Uburundi [3], ancienne dyarchie millénaire dirigée par le Tambour Sacré Karyenda, représenté par Mukakaryenda, et par le Mwami, chef des Bataka ( Chefs des lignées barundi ) et de tous les Barundi. Dans ce système, il y avait une Planification, un Plan socio-économique, appelé Ubumu – « la chose ou à la façon de Mukakaryenda » ( système socio-économique écologique des Barundi).
Pour réaliser l’Ubumu , le Mwami et les Bataka définissaient ensemble les besoins de tous les miryango barundi (lignées) et identifiaient les ressources nécessaires pour les satisfaire. Ce plan socio-économique était conçu et régulé par les Banyamabanga (véritables planificateurs-régulateurs barundi), qui utilisaient l’Ibanga (la Vérité pour les Barundi, ensemble des lois cosmiques et naturelles connues, ainsi que les mystères, soit les connaissances du monde non existant de Karyenda).

La Colonialité [4] a profondément bouleversé cet ordre :
– entre 1920 et 1940, le génocide des Banyamabanga ;
– en 1928, la destruction de l’institution du Tambour Sacré Karyenda, avec la conversion forcée de Mukakaryenda ( la Divinité Suprême des Barundi ) Ruburisoni, devenu Maria Ruburisoni ;
– entre 1959 – date du décret colonial belge mettant fin aux Miryango au profit de partis politiques étrangers – et 1966, l’élimination d’une grande partie des Bataka ;
– en 1965, l’exécution des derniers Banyamabanga ;
– en 1972, la destruction de l’Ubumu lors du Génocide contre les Hutu du Burundi [5], remplacé par une économie de marché capitaliste, devenue depuis néolibérale [6].

Depuis 1972, la planification nationale est pilotée par les institutions héritées de la Colonialité [7] — Banque mondiale, FMI, ONU — ce qui contribue à maintenir le Burundi parmi les pays les plus pauvres.

Aujourd’hui, le BCRRGPHAE et l’INSBU produisent les indicateurs socio-économiques qui nourrissent encore cette logique. De nombreux barundi éveillés à la question plaident pour que l’État réhabilite l’Ubumu, modernisé et adapté à l’ère multipolaire, afin de permettre au peuple barundi de bâtir un avenir plus juste. Pour cela, concluent-ils, il est nécessaire de sortir de la Colonialité, dans un contexte où l’Union Africaine a reconnu, en février 2025, l’esclavage, la déportation et la colonisation comme crimes contre l’humanité [8].

Références :

[1] Burundi / Bilan 2025 : Présidence – Planification, Vision 2040-2060, Multipolarité et Décolonisation. https://burundi-agnews.org/burundi-bilan-2025-presidence-planification-vision-2040-2060-multipolarite-et-decolonisation/
[2] Bigirimana Jean, Réinventer le Burundi : L’énergie, l’agriculture, les TIC et l’éducation comme fondements du futur, Bruxelles, Ed. Les éditions du Net, 2025.
[3] Nahimana Karolero Pascal, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Bruxelles, Génération Afrique, 2024.
[4] Baranyanka Charles, Le Burundi face à la Croix et à la Bannière, Bruxelles, 2015. (La « Croix et la Bannière » désigne l’alliance historique entre le Vatican, la France – notamment via les Pères Blancs de Lavigerie –, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis contre l’ordre traditionnel burundais depuis le XIXᵉ siècle.)
[5] Ntibantunganya Sylvestre, Histoire d’un génocide occulté: Le Génocide des Bahutu du Burundi de 1972-1973, Ed. Sigumugani, 2025.
Kubwayo Félix, Mémorandum sur les massacres répétitifs des Hutu du Burundi de l’indépendance à 1992 : Appel à la conscience mondiale, Bruxelles, 2025.
[6] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la Colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025. Sur la création des fausses ethnies Hutu, Tutsi
[7] Pini-Pini Nsasay, Tribunal de l’Histoire Africaine. Tome 1 : Réquisitoire contre l’Europe christianisée en hommage à E.D. Morel (1873–1924/2024), Collection Historiographie du Monde Contemporain / Éds Cheikh Anta Diop (Edi-CAD), Douala, 2024.
[8] En février 2025, l’Union Africaine (UA) a qualifié officiellement l’esclavage, la déportation et la colonisation de crimes contre l’humanité et d’actes de génocide contre les peuples africains. Cette décision, adoptée le 16 février lors de la 38e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement à Addis-Abeba, marque un tournant dans la quête de justice historique pour le continent.

 

Sources : Nahimana P. , http://burundi-agnews.org, Jeudi 20 novembre 2025 | Photo : INSBU, BCRRGPHAE2022

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