Burundi : 25 décembre 1969 — exécution des officiers Karorero, Katariho et Bazayuwundi

DEFENSE, HISTOIRE, GEOPOLITIQUE, COLONIALITE
Géopolitique, géostratégie — Pourquoi les officiers Karorero Charles, Katariho Nicodème et Bazawuhundi Mathias ont-ils été exécutés en 1969 ?
Cette date marque l’apogée d’une guerre secrète interne au sein de la Croix et la Bannière [1] pour la colonialité [2] au Burundi, de 1955 à 1972.
 

Gitega, 26 décembre 2025 — Le Burundi, Ingoma y’Uburundi [3], est en proie à la Croix et la Bannière depuis le XIXᵉ siècle. Dans les années 1920, la Belgique envisage de mettre fin à Ingoma y’Uburundi pour en faire un État sans Mwami – c’est-à-dire dominé par le roi des Belges –, comme elle l’avait fait au Congo. De justesse, cette idée fut écartée du fait de la très grande jeunesse du Mwami Mwambutsa Bangiricenge. Le régent belge, qui contrôlait déjà tout le pays, ne voyait aucune menace dans le monarque.

 
À partir de 1955, suite à la conférence de Bandung, les États-Unis poussèrent, via l’ONU, la Belgique à accorder l’indépendance au Burundi, afin d’ouvrir ce marché à leurs intérêts. Dès 1959, Bruxelles promulgua le décret intermédiaire belge du 25 décembre 1969, acte de destruction d’Ingoma y’Uburundi, avec l’idée d’en faire, à l’indépendance, un royaume constitutionnel à la façon de la Belgique. L’objectif : garder la main face à la prédation des États-Unis, mais aussi de la France, qui lorgnaient tous deux sur le Congo voisin.
 
Ainsi, dès 1960, de jeunes Burundais furent envoyés en Belgique, dans un esprit de colonialité, pour y être formés. Ce fut le cas des futurs militaires, médecins et fonctionnaires. Parmi les officiers, on comptait des fils d’Ingoma y’Uburundi ou des proches du Mwami Mwambutsa Bangiricenge, notamment Karorero Charles, Katariho Nicodème, Bazayuwundi Mathias, Ntungumburanye Jérôme et Micombero Michel.
 
Mais dès novembre 1962, à l’indépendance, la France entra aussi en compétition, encadrée par les États-Unis et le Vatican. Par l’intermédiaire de Ntiruhwama Jean, de jeunes Burundais furent dispatchés à l’École militaire de Saint-Cyr en France : Shibura Albert, Rusiga Paul, Sota Sylvère, Ndayahose Martin…
 
En 1965, les jeunes officiers de Saint-Cyr organisèrent un coup d’État militaire rampant au palais du Mwami Bangiricenge. L’opération leur permit de faire exécuter toute l’élite traditionnelle d’Ingoma y’Uburundi, dont nombreux parmi les fonctionnaires formés par la Belgique.  En 1966,  ils proclamèrent la République, au grand dam de la Belgique et de son projet de monarchie constitutionnelle pour le Burundi indépendant.
 
Le 25 décembre 1969, les jeunes officiers supérieurs burundais formés en Belgique furent assassinés, condamnés pour « coup d’État militaire manqué » en septembre 1969. La Belgique avait prévenu les autorités burundaises sous influence française (via Jacques Foccart), américaine et vaticane, qu’elle procéderait en septembre à la destruction contrôlée des stocks de munitions dans l’ancienne caserne coloniale de Bujumbura, ce qui provoquerait de fortes explosions, et que cela ferait du bruit [5]. Le message était clair : ne pas paniquer. La France utilisa cette information pour demander à l’autorité républicaine burundaise d’arrêter les officiers supérieurs formés en Belgique et de les écarter du pouvoir, afin que les officiers de Saint-Cyr gardent la main sur la République. 
Les hauts officiers Karorero Charles, Katariho Nicodème et Bazayuwundi Mathias furent exécutés le jour de Noël 1969. Comme cadeau de Noël, la France, le Vatican et les États-Unis venaient de prendre le contrôle de la colonialité au Burundi, au détriment de la Belgique.
Le viseur des exécutions de 1969 visait non seulement les officiers militaires et autres fonctionnaires formés [6] par la Belgique, mais aussi tous les descendants des grands miryango d’Ingoma y’Uburundi, dont les parents avaient  déjà été assassinés entre 1959 et 1965.
 
Ce ne fut pas terminé. Dès 1972, la France, le Vatican et les États-Unis commirent le Régicide en faisant assassiner le jeune Mwami Ntare Ndizeye, signant ainsi l’impossibilité de revenir à  Ingoma y’UburundiSur le plan de la colonialité, la République avait gagné contre la monarchie constitutionnelle. La France savait désormais que c’était elle, et non la Belgique, qui commanderait la colonialité au Burundi pour le compte de la Croix et la Bannière.
 
Pour achever son plan, la France organisa la destruction de l’Ubumu [7], le système socio-économique des Barundi, en perpétrant le « Génocide contre les Hutu du Burundi« [8] : près de 500 000 morts, un million de déplacés et de réfugiés, sur une population de 2,9 millions de Burundais. Cela permit l’instauration d’une économie de marché, comme le préconisaient les États-Unis pour les pays indépendants.
 
Références 

[1] Baranyanka Charles, Le Burundi face à la Croix et à la Bannière, Bruxelles, 2015. (« La Croix et la Bannière » désigne l’alliance historique entre le Vatican, la France – notamment via les Pères Blancs de Lavigerie –, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis contre l’ordre traditionnel burundais depuis le XIXᵉ siècle.)
[2] Colonialité : Terme du courant idéologique « Décolonial » désignant un système de la continuation de la colonisation après la déclaration des indépendances.
En février 2025, l’Union africaine (UA) a qualifié officiellement l’esclavage, la déportation et la colonisation de crimes contre l’humanité et d’actes de génocide contre les peuples africains. Cette décision, adoptée le 16 février lors de la 38ᵉ session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement à Addis-Abeba, marque un tournant dans la quête de justice historique pour le continent.
[3] Nahimana Karolero Pascal, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Éd. Génération Afrique, 2024.
[4] Karorero : de temps à autre écris Karolero
[5] Simbananiye Arthémon, Mémoires d’un dirigeant Burundi dans une période bousculée ( 1965 – 1985), ed. Vérone, 2023.
[6] 2013 : Le Collectif Septembre Décembre 1969 – CSD’69 – se souvient des morts assassinés injustement à Noël en 1969 au Burundi | https://burundicollectif69.blogspot.com/2013/12/2013-le-collectif-septembre-decembre.html | lu 26/12/2025
[7] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025. | https://nahimanakarolero.com
[8] Kubwayo Félix, La lente reconnaissance du génocide de 1972 contre les Hutu du Burundi : Les faits et l’exécution du génocide par le pouvoir de Micombero, Bruxelles, 2025. | Ntibantunganya Sylvestre, Histoire d’un génocide occulté: Le Génocide des Bahutu du Burundi de 1972-1973, Ed. Sigumugani, 2025.

Sources : Nahimana P. , http://burundi-agnews.org, Vendredi 26 décembre 2025 | Photo : CSD’69

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