Pierre Péan, né à Sablé-sur-Sarthe le 5 mars 1938 et mort le 25 juillet 20191, est un journaliste d’investigation et essayiste français, enquêteur chevronné ayant pour sujets de prédilection l’Afrique.
Biographie
Pierre Péan étudie le droit, section sciences économiques, à Angers, c’est là qu’il fait partie de l’équipe électorale de Jean Turc, maire de la ville membre du parti Indépendants et Paysans (droite). En 1958 il est également aux côtés de Joël Le Theule, maire de Sablé-sur-Sarthe, qui deviendra député et ministre gaulliste. Puis il continue ses études à Sciences Po et parvient à éviter le service national en Algérie. Il effectue celui-ci, au titre de la coopération, de 1962 à 1964 au Gabon. Il assiste au coup d’État militaire contre le président Léon Mba. Il gardera de cette période un réseau de relations parmi les élites gabonaises. Après 1968, il devient journaliste, tout d’abord pour l’Agence France-Presse, puis pour l’hebdomadaire généraliste L’Express en 1970 et enfin pour l’hebdomadaire économique Le Nouvel Économiste. Il traite alors plus particulièrement les questions concernant l’énergie.
Il joue un rôle actif dans l’Affaire des diamants, impliquant le président Valéry Giscard d’Estaing, révélée en octobre 1979 par l’hebdomadaire satirique Le Canard enchaîné. Il obtient son premier grand succès éditorial avec Affaires africaines où il dénonce les réseaux mis en place par Jacques Foccart.
À partir de cette date, il intervient dans différents journaux (Libération, Actuel, Le Canard enchaîné) en tant que pigiste extérieur, en choisissant ses sujets, et publie au rythme d’environ un livre par an.
Il conduit en mars 1989 une liste politique alternative composée de militants écologistes ou encore d’extrême gauche contre le maire socialiste de Bouffémont.
Publications et accueil médiatique
Il a publié une vingtaine d’ouvrages depuis 1975. Certains ont été des succès, comme TF1, un pouvoir, écrit en collaboration avec Christophe Nick, ou l’Argent noir ou encore Une jeunesse française – François Mitterrand, 1934-1947, qui a été son best-seller, et dont il a regretté certaines interprétations parues dans la presse, qu’il juge contraires à sa démonstration et beaucoup trop sévères pour François Mitterrand. Il s’en est expliqué dans Dernières volontés, derniers combats, dernières souffrances.
Il s’est particulièrement intéressé, sans s’y limiter, aux scandales politiques (articles sur l’« affaire des diamants » de Giscard pour Le Canard enchaîné ; Affaires africaines, sur le Gabon, pays symbole des relations franco-africaines souterraines et affairistes ; V, sur l’Affaire des avions renifleurs ; L’Argent noir, sur la corruption dans les pays du Sud) et aux affaires étouffées (Manipulations africaines, sur l’attentat contre l’avion d’UTA). Son essai biographique sur Jacques Foccart lui a valu un procès, qu’il a gagné.
Depuis le début des années 1990, il a diversifié ses enquêtes. Certaines portent sur des sujets historiques et non plus d’actualité : Le Mystérieux Docteur Martin, biographie de Henri Martin, l’un des plus grands comploteurs français du XXe siècle, lié à la Cagoule et aux activistes de l’Algérie française ; L’Extrémiste, sur le Suisse François Genoud, exécuteur testamentaire d’Adolf Hitler et financier de certains groupes terroristes ; La Diabolique de Caluire, sur la dénonciation de Jean Moulin ; Main basse sur Alger, ouvrage consacré aux motifs secrets de l’expédition contre Alger, en 1830.
Ses ouvrages lui ont valu de vives réponses de la part de certaines personnes visées, et des commentaires élogieux dans une partie de la presse. Christine Mital écrit dans Le Nouvel Observateur du 15 mars 2001 à son propos : « Il se veut enquêteur. Et enquêteur seulement. Disons qu’en tout cas il appartient à une espèce rare : celle qui prend du temps avant d’écrire. […] Péan […] n’a jamais dérogé à sa méthode2. » Lui-même ne se qualifie pas de journaliste d’investigation, selon lui une francisation venue de l’affaire du Watergate, ni comme journaliste d’enquête, car il reproche à la plupart de ces journalistes de relayer des enquêtes faites par le système judiciaire ou d’être manipulées par des personnes qui leur apportent des informations, mais plutôt comme un journaliste d’initiative, amorçant sa propre recherche.
Dans un article publié en septembre 2002 par Le Monde diplomatique, Pierre Péan cite un article qu’il attribue au journaliste israélien Amir Oren, selon lequel le massacre de Sabra et Chatila (Liban, 1982) aurait été planifié par les Israéliens. Selon une enquête publiée en janvier 2008 par L’Arche, cette citation est un faux. Pierre Péan n’a jamais tenté de justifier ses affirmations. De son côté, Le Monde diplomatique a publié en mai 2008 une note précisant que « Vérification faite, à partir d’une traduction complète de l’article en question réalisée par notre collaboratrice et traductrice Rita Sabah, aucune phrase de l’article ne permet en effet d’écrire que « les massacres faisaient partie d’un plan décidé entre M. Ariel Sharon et Béchir Gemayel ». Oren y souligne, en revanche, le caractère étroit et opérationnel de l’alliance conclue, à l’époque des événements, entre Ariel Sharon et Bachir Gemayel. S’il exclut que le ministre israélien de la défense ait convenu avec le chef phalangiste de massacrer les civils de Sabra et Chatila, il laisse entendre que, connaissant les pratiques courantes de ses alliés, il a pris sciemment le risque d’une tuerie. »
En février 2009, la publication d’un livre d’enquête critique sur Bernard Kouchner, Le Monde selon K., déclenche une polémique nationale.
En 2017, le tribunal correctionnel de Paris condamne Pierre Péan pour diffamation contre le président gabonais Ali Bongo pour son ouvrage Nouvelle affaires africaines, mensonges et pillages du Gabon. L’auteur se satisfait cependant du verdict, son avocate notant que Pierre Péan a été condamné pour des détails concernant une tentative d’assassinat sur un opposant gabonais et que « toutes les demandes de publication » du verdict d’Ali Bongo ont été rejetées par le tribunal.
Livres
Noires fureurs, blancs menteurs
Son ouvrage Noires fureurs, blancs menteurs. Rwanda, 1990-1994 est consacré aux accusations portées contre la politique française au Rwanda, qu’il s’attache à réfuter, et aux accusateurs, à qui il attribue des liens avec le Front patriotique rwandais (FPR).
Dans cet ouvrage de 544 pages, publié en novembre 2005, Pierre Péan entend mettre un terme à l’ensemble des accusations, injustes selon lui, formulées à l’encontre de la France, de sa politique au Rwanda entre 1990 et 1994, et à l’encontre de l’armée française. L’auteur affirme s’appuyer sur une enquête approfondie et l’accès à des documents inédits pour établir les points suivants :
le Front patriotique rwandais est à l’origine de l’attentat du 6 avril 1994 ;
c’est cet attentat qui est l’élément déclencheur du génocide ;
les dirigeants du FPR, et son leader Paul Kagamé, l’ont déclenché en toute connaissance de cause ;
la Mission parlementaire française ne s’est pas suffisamment intéressée à l’attentat ;
les Tutsis ont formé une « culture du mensonge » ;
François Mitterrand et le gouvernement français ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour empêcher cette tragédie ;
certaines associations, dont notamment l’association Survie, qui critiquent l’action de la France sont manipulées par le gouvernement de Paul Kagame et ont constitué un lobby efficace qui a trompé l’opinion française et internationale. RFI aurait joué un rôle significatif dans ce domaine ;
certains activistes, comme Jean Carbonare et Gérard Sadik, ont trompé l’opinion publique.
Pierre Péan revient sur ces événements dans son livre Carnages (2010) et souligne le rôle de la diplomatie américaine au Rwanda. Selon lui les États-Unis bloqueraient toute tentative d’enquête sur les auteurs de l’attentat du 6 avril 1994.
Le livre a fait l’objet de nombreuses critiques et d’une plainte pour « provocation à la haine raciale » de la part de SOS Racisme et de l’association Ibuka (Pierre Péan a été relaxé en première instance, et en appel le 20 novembre 20090). En novembre 2011, la Cour de cassation a définitivement débouté ces associations.
Pierre Péan était accusé par ses détracteurs d’avoir écrit un livre « sur commande » juste pour minimiser les responsabilités françaises dans le génocide des Tutsis au Rwanda[réf. nécessaire]. Cette interprétation semble soutenue par le quotidien La Libre Belgique (1er décembre 2005), qui, lui-même, est accusé de partialité par M. Péan dans son livre. Pour RFI, rien ne justifie les mises en cause de la Radio par Pierre Péan (qu’il a présentée comme un « lobby » du FPR). Pour sa part, le président du Conseil national de l’Église réformée de France s’est élevé contre les critiques de Pierre Péan et lui renvoie l’accusation de « désinformation ».
En revanche, les africanistes André Guichaoua et Stephen Smith ont défendu Noires fureurs, blancs menteurs comme un livre apportant d’utiles révélations sur les réseaux pro-FPR et des informations complémentaires sur l’assassinat de Juvénal Habyarimana malgré « ses erreurs factuelles et ses dérives “ethnicistes” ». Pierre Péan a répondu aux critiques formulées contre ce livre et publiées dans Le Monde par une lettre à ce quotidien, publiée dans l’édition datée du 13 janvier 2006. Dans ce même ouvrage, il procède au démantèlement des accusations portées contre la France, recoupant en certains points les thèses de l’historien Bernard Lugan, de l’ancien ministre Bernard Debré, ou des journalistes d’enquête Robin Philpot et Charles Onana, qui se sont heurtés aux critiques de chercheurs et confrères journalistes travaillant sur le Rwanda, que Péan décrit comme des partisans du FPR.
Sur le site Conspiracy Watch Rudy Reichstadt, responsable du bureau des affaires financières à la mairie de Paris, explique que le contenu du rapport du juge Trévidic sur l’attentat contre le président Habyarimana annihile la théorie de Péan sur le “complot Tutsi”. A contrario, à la même époque, l’historien africaniste Bernard Lugan expert pour la défense auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda, rappelle que ce rapport des experts techniques est une « simple étape dans la procédure » et « ne permet aucune extrapolation »
Dans la tribune de Libération du 7 avril 2016, Raphaël Glucksmann, en stigmatisant le « fiasco moral et géopolitique de la Françafrique » au Rwanda, qualifie Pierre Péan du « plus actif des révisionnistes ». Quant au journaliste d’investigation Jean-François Dupaquier, il épingle Pierre Péan comme « le polémiste affairé à laver François Mitterrand et son équipe de toute accusation d’avoir trempé dans la préparation du génocide des Tutsi ».
Le Monde selon K
Dans ce livre publié en février 2009, Pierre Péan a enquêté sur Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères à l’époque de la parution du livre. Comme l’explique Péan dans le premier chapitre de ce livre très polémique, c’est à propos du Rwanda et de la nouvelle politique menée par Kouchner à l’égard de ce pays depuis que ce dernier est au Quai d’Orsay que lui, Péan, s’est vraiment intéressé à Kouchner. De fait, après une centaine de pages mettant en lumière les aspects les moins reluisants de l’ensemble de la carrière de Kouchner, une petite centaine de pages est consacrée au Rwanda.
Le chapitre 10 du livre concerne la journaliste Christine Ockrent en même temps directrice de France Monde et compagne du ministre des Affaires étrangères. Le chapitre 11 répond à l’intention exprimée dans le premier chapitre d’analyser le « sansfrontiérisme » de Kouchner et « son vrai rapport à la France ». Dans ce onzième chapitre, Péan tente de montrer que la « vision du monde » commune de Kouchner et de Bernard-Henri Lévy, qui se réclame du droit d’ingérence est en fait identique à celle des néoconservateurs américains. Les valeurs gaullistes de l’indépendance nationale seraient « honnies » par les deux hommes « au nom d’un cosmopolitisme anglo-saxon, droit-de-l’hommiste et néolibéral, fondements de l’idéologie néoconservatrice que nos nouveaux philosophes ont fini par rallier ».
Enfin, dans le dernier chapitre, Péan met en lumière des informations concernant l’activité de consultant exercée par Kouchner entre 2002 et 2007 et rémunérée assez grassement. Des contrats de consultanat ont ainsi existé avec le Gabon et la République du Congo. L’auteur précise que le président de la République Nicolas Sarkozy ignorait les activités africaines de son futur ministre lors de sa nomination. Finalement, selon Le Monde, « l’ouvrage est principalement une attaque en règle de la politique de Bernard Kouchner, sur fond de désaccord idéologique majeur exprimé par l’écrivain, en particulier sur le génocide des Tutsis au Rwanda » qui occupe en effet une partie du livre, mais pas autant que ce qui concerne les relations commerciales de Kouchner avec des dictateurs africains.
La polémique éclate, un certain nombre de personnalités taxant Pierre Péan de manière plus ou moins voilée d’antisémitisme, pour avoir utilisé les termes « cosmopolitisme » et « affairisme ». Michel-Antoine Burnier, ami et biographe de Kouchner, attaque le premier le 3 février 2009 en évoquant « des relents nauséabonds », suivi de Bernard-Henri Lévy, puis Philippe Val (sur Canal+ ou à France Inter). Le 4 février, le ministre a réagi, en utilisant la même attaque, dans Le Nouvel Observateur, ce qui a déclenché une polémique médiatique au cours de laquelle Philippe Cohen s’émeut de cette attaque généralisée pour discréditer Péan. Le fait est que Bernard Kouchner a utilisé l’accusation d’antisémitisme en prétendant avoir été qualifié par Pierre Péan de représentant de « l’Antifrance », ce qui n’est pas dans le livre.
La presse étrangère (The Guardian, The Independent, The Washington Post) se fait l’écho des accusations portées contre Bernard Kouchner.
Sur l’échiquier politique, la droite prend le parti du ministre des Affaires étrangères tandis que la gauche hésite.