Rumonge frappée de plein fouet par le changement climatique
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Nouvelle montée des eaux du lac Tanganyika, des rivières qui débordent, des glissements de terrain… La province Rumonge subit les effets du changement climatique. L’administration provinciale lance l’alerte et appelle à une synergie pour y faire face. Reportage.

Le palmier à l’huile, une plante très rentable et dominante à Rumonge. Il y est omniprésent. De grandes plantations de palmiers à l’huile longent le long du lac Tanganyika. Elles offrent un spectacle verdoyant.

Aujourd’hui, dans certains coins de cette province, il appartient au passé. Les fortes pluies et la nouvelle montée des eaux du lac Tanganyika ont détruits des centaines d’hectares. D’importants espaces jadis verdoyants sont actuellement vides. Des palmiers à l’huile se sont desséchés. Chez les cultivateurs, c’est le désespoir. « Nous avons déjà enregistré des pertes énormes. Nos palmiers à l’huile sont inondés, détruits. Toutes les plantations riveraines de la rivière Buzimba sont dans l’eau », se lamente Joselyne Nimpagaritse, cultivatrice de la colline Gisagara, commune Rumonge.

Or, regrette-t-elle, le palmier à l’huile est très important pour eux. Elle indique que cette plante leur fournit de l’huile de palme, de la matière première pour la fabrication des savons, des tourteaux, etc. « On ne jette rien dans cette plante. Les feuilles sont transformées en balais pour le nettoyage, des troncs sont des combustibles dans les fours de fabrication de briquettes. C’est notre vache laitière dans notre région de l’Imbo ».

Jean Marie Buname, un autre cultivateur de Rumonge, trouve difficilement ses mots pour décrire ses pertes. Dans son seul champ, il affirme avoir perdu plus de 100 pieds de palmiers à l’huile. « Ce qui fait au moins une perte de 5 millions BIF », précise-t-il, notant qu’1 hectare de palmier à l’huile peut donner facilement 80 millions BIF par an. Avec ces fortes pluies, M.Buname redoute que la situation ne s’empire.

De son côté, Jean Bosco Ntakarutimana, un autre cultivateur de Gatete, évaluant ses pertes à 2 millions de BIF raconte : « C’est difficile ce que nous vivons aujourd’hui. Le palmier à l’huile était notre principale source de revenus. Et voilà ce qui nous arrive. Beaucoup de nos plantations sont inondées, d’autres tombent avec les rives des rivières. Or, beaucoup de gens investissent dans cette plante. Par an, un seul pied de palmier à l’huile peut donner entre 70 mille BIF et 80 mille BIF. »

L’OHP très inquiet

Les données de l’Office de l’huile de palme (OHP) sont révélatrices de la gravité des dégâts. Jean Claude Bigirimana, technicien agronome à cet office, indique que sur la partie Murembwe haut et Murembwe bas, il y avait 382,5 hectares de palmiers à l’huile avant le début de ces fortes pluies et la première montée des eaux du lac Tanganyika. « Si nous évaluons aujourd’hui la partie inondée dans Murembwe haut, c’est 229,5 hectares. Et dans Murembwe bas, 75 hectares déjà dans l’eau ». Dans d’autres secteurs, il signale que dans la partie Rimbo là où l’OHP avait donné des plants à la population, 10,8 hectares sont inondés.

A Cabara et Kigwena, 4 hectares sont aussi dans l’eau, déplore-t-il, ajoutant qu’à Minago, dans la partie Rugata-Shanga, 1,9 hectares sont dans cette situation. « A Cugaro-Ngonya, là où l’OHP avait aussi distribué des plants aux cultivateurs et supervisé la plantation, 3,5 hectares sont déjà inondés », signale-t-il.

Avec ces hectares déjà inondés, M.Bigirimana indique que les pertes sont énormes pour l’Etat et l’OHP : « Sur 1 hectare, la récolte est de 15 tonnes de régimes de palmiers à l’huile. Et 1kg est vendu à 700BIF pour l’espèce Tenera. Et sur 1 hectare, on peut trouver 35 pieds de palmiers à l’huile. Ce qui fait une perte de plus de 10 millions BIF. »

Ces eaux n’épargnent pas les zones de multiplication des semences de palmiers à l’huile. Jean Marie Congera, directeur provincial de l’Environnement, de l’Agriculture et de l’Elevage, indique que sur 50 hectares destinés à ce travail, 15 hectares sont inondés. Il donne l’exemple du marais de Gatakwa.

D’autres cultures, secteurs sont aussi affectés. Le riz, les haricots, etc., subissent les effets du changement climatique. « On ne voit pas avec quoi on va faire vivre nos familles. Parce qu’à côté du palmier à l’huile, même d’autres cultures sont inondées. Ici, on s’attend à une faible production du haricot. Même les riziculteurs ne vont pas avoir une bonne production parce que les champs sont inondés, détruits. La faim est à notre porte », Ndiho, un habitant de Rumonge.

Un phénomène aussi qui préoccupe l’administration provinciale. Abdul Ntiranyibagira, chef de cabinet du gouverneur de Rumonge, indique qu’il est difficile de donner avec précision l’étendue cultivable déjà inondé. « Compte tenu de l’ampleur des précipitations, on peut estimer que 15% des étendues des palmiers à l’huile sont inondées. Mais, si les pluies continuent à cette allure, tôt ou tard, on va arriver à plus de 30% des terres cultivables submergées », alerte-t-il.

Des sans-abris aussi

Le déplacés environnementaux de Mutambara de nouveau menacés par les eaux.

Avec ces fortes pluies, des anciens déplacés environnementaux sont aussi inquiets. « Depuis le mois d’octobre, nous faisons face à beaucoup de défis. La pluie est nécessaire mais quand elle est en excès, suite aux changements climatiques, elle devient une menace », raconte Christophe Ndayisenga, représentant des déplacés du village de Mutambara.

Il signale qu’en cas de fortes pluies, une partie du village est inondée. Ce qui inquiète les occupants parce qu’ils n’ont pas où aller : « Nous vivons vraiment la peur au ventre. On craint pour notre sécurité et celle de nos enfants, surtout quand ils sont à l’école. On se demande comment vont-ils arriver à la maison si la pluie les surprend en cours de route. » Il indique que cette eau provient des montagnes surplombant Rumonge parce qu’il n’y a presque plus de canalisations vers le lac Tanganyika.

D’après lui, 84 familles sont déjà affectées directement dans ce site qui abrite des déplacés environnementaux venus des communes Mugarama, à Magara et Rumonge sur les collines de Minago, Kizuka, Iteba, Centre urbain, Nkayamba et Kanyenkoko. La majorité est dans cet état de déplacés depuis 2019 avec le débit de la montée des eaux du lac Tanganyika. Et ils ont passé plus de deux ans hébergés dans les locaux du centre d’enseignements des métiers dans la ville de Rumonge.

« Ces familles affectées directement sont aujourd’hui obligées de se réfugier chez d’autres déplacés. Des cahiers de leurs enfants et autres matériels domestiques ont été abîmés. Ils sont dans le désespoir et ont besoin d’une assistance supplémentaire », témoigne-t-il. Il indique que ce village abrite 1168 personnes, y compris des enfants, réparties en 185 familles.

Il demande à l’Etat de leur venir en aide et de trouver un autre endroit pour leur réinstallation.
Une situation qui préoccupe l’administration provinciale. Abdul Ntiranyibagira, chef de cabinet du gouverneur de Rumonge, signale que l’urgence est de sauver la vie de ces déplacés. Il précise qu’un site d’accueil, Mutambara III, a été identifié, à Gatete.

Néanmoins, il ajoute que le plus inquiétant est que d’autres familles risquent d’être déplacées : « Avec ces pluies, notre province souffre. Toutes les habitations qui se trouvent le long du lac Tanganyika, depuis la commune Muhuta jusqu’à Rumonge en zone Kigwena, d’ici quelques jours, seront inondées. C’est un cas qui est réel et nous avons peur. »

Il signale qu’avec ces pluies, le courant de toutes les rivières qui traversent Rumonge est fort. « Ce qui entraîne ces crues, ces débordements envahissants les champs de cultures, les habitations, etc.»

M.Ntiranyibagira observe que des infrastructures publiques sont affectées. Il donne le cas de la RN3, tronçon Gitaza, Magara : « Nous enregistrons des glissements de terrain qui bloquent la circulation. Aujourd’hui, ce tronçon est devenu impraticable. »

Ce qui complique aussi la tâche à l’entreprise SOGEA SATOM qui est en train de faire le goudronnage de cette route.
Il évoque aussi le cas du Centre des métiers de Minago qui est aussi menacé, suite aux différents travaux réalisés par SOGEA SATOM.

Que faire ?

Pour sauver cette école, M. Ntiranyibagira annonce qu’après une descente sur le terrain, la conclusion a été que la SOGEA SATOM entreprenne des travaux de protection de cette infrastructure. « Les travaux ont déjà commencé. Seulement, il y a un problème de manque de mazout qui risque de freiner les travaux ».

De son côté, Jean Claude Bigirimana, technicien agronome à l’OHP, indique que certaines actions sont en cours comme la sensibilisation de la population à protéger les rivières. « L’OHP ne gère plus de l’argent. En cas d’inondation, nous donnons le rapport à l’Etat. Et c’est déjà fait. Nous attendons la réponse, des actions ». Selon lui, pour sauver ces plantations, il est nécessaire de faire le drainage des rivières vers le lac Tanganyika. « Et dans les champs déjà inondés, il y faut des canaux d’évacuation des eaux ».

Quant à Jean Marie Congera, directeur provincial de l’Environnement, Agriculture et Elevage, il recommande la plantation des arbres comme les bambous au bord des rivières. Il appelle aussi au respect de la zone tampon. Car, explique-t-il, avec la pression démographique, les gens cultivent jusqu’aux rives des rivières. « En cas de crue, les eaux se retrouvent directement dans les champs, sans aucun obstacle », a-t-il conclu.

Par Rénovat Ndabashinze  (Iwacu)