Burundi / Belgique : Le CEB organise un colloque pour réhabiliter l’Ubuntu et l’Ubushingantahe

SOCIETE CIVILE, DIASPORA

À Ottignies, un colloque international réunit Bashingantahe, universitaires et diplomates autour de la réappropriation des valeurs d’Ubuntu et d’Ubushingantahe, piliers d’un Burundi réconcilié.

Ottignies-Louvain-la-Neuve (Belgique), 1er-2/ 11/ 2025 – Dans le cloître paisible du monastère Saint-André de Clerlande, le Conseil des Bashingantahe [1] en Europe (CBE) et l’Institut Ngoma Ya Sacega (INYS) ont organisé un colloque de deux jours consacré à la « transformation socio-culturelle pour un développement intégral et durable du Burundi ».
Universitaires, diplomates, acteurs de la paix et des Bashingantahe membres du Conseil National des Bashingantahe (CNB), venus du Burundi et de la diaspora [2], y ont partagé un même constat : le Burundi ne se relèvera durablement que en se réappropriant les valeurs ancestrales d’Ubuntu [3] et d’Ubushingantahe, gravement écornées par un siècle de manipulations coloniales. L’assemblée a été honorée par la présence de Sibomana Adrien, président du CNB, du représentant de l’ambassade du Burundi et du président de la Fondation Intahe, soulignant la portée nationale et internationale de cette réflexion.
Le CBE rassemble notamment Ndayegamiye Joseph, le Dr Nsanze Albert, son épouse Merlin Annick Nsanze, Pr Ntabona Adrien (CNB) [4], Habonimana Balthazar , Président honoraire du CNB, et d’autres figures de la diaspora. Voici le programme : [ https://burundi-forum.org/wp-content/uploads/2025/11/COLLOQUE-DES-BASHINGANTAHE-EN-EUROPE-Ottignies-Belgique-–-1er-et-2-Novembre-20250ATRANSFORMATION-SOCIO-CULTURELLE-POUR-LE-DEVELOPPEMENT-INTEGRAL-ET-DURABLE-DU-BURUNDI.pdf ] et le communiqué du colloque en question : [ https://burundi-forum.org/wp-content/uploads/2025/11/COMMUNIQUE-DE-PRESSE-–-CBE-INYS-Colloque-sur-la-Transformation-socio-culturelle-pour-le-Developpement-integral-et-durable-du-Burundi.pdf ].

Dans le Burundi traditionnel – Ingoma y’Uburundi –, les Bashingantahe formaient une confrérie prestigieuse, présente sur toutes les collines. Ces sages incarnaient le « bon cœur » (umutima mwiza), vecteur de sagesse, justice, harmonie, honnêteté et véracité. Au sein du système socio-économique et écologique ancestral – Ubumu –, ils désignaient aux autorités locales des gestionnaires justes et intègres, chargés de redistribuer les ressources au nom d’Ingoma y’Uburundi. Parallèlement, la confrérie féminine des Bapfasoni assumait des fonctions similaires. Ensemble, ces institutions garantissaient la cohésion sociale des collines.
Devenir umushingantahe (homme) ou umupfasoni (femme) relevait d’un don inné : celui du umutima mwiza. Les jeunes dotés de cette qualité étaient initiés et devenaient piliers de la justice et de la gouvernance locale. Dans cette société hiérarchisée mais fluide, l’initié umushingantahe, recevant une fonction étatique par une autorité, devait, par le rite initiatique du kwihutura, passer du statut de Hutu à celui de Tutsi, devenant ainsi fonctionnaire d’Ingoma y’Uburundi, gestionnaire juste de l’Ubumu ou juge local. Ce mouvement n’avait rien d’ethnique : Hutu et Tutsi désignaient alors des fonctions sociales [5].

Avant la colonisation, Ingoma y’Uburundi [6] fonctionnait comme une dyarchie sacrée, articulée autour de deux pôles complémentaires : Karyenda, le tambour sacré représenté par Mukakaryenda, la divinité suprême des Barundi, et le Mwami, chef des Bataka (les chefs des miryango, ou lignages) et de tous les Barundi.
Toutes les composantes de la société — Bami, Baganwa, Batware, Banyamabanga, Hutu, Tutsi, Twa, Hima, Bashingantahe, Bapfasoni — formaient un ensemble cohérent, régi par l’harmonie cosmique de l’Ubungoma, à travers l’Ibanga (la Vérité des Barundi : les lois du cosmos, les lois de la nature et les lois du monde non-existant de Mukakaryenda, appelées « mystères »).
À partir du XIXᵉ siècle, la « Croix et la Bannière » [7] — alliance coloniale regroupant Vatican, France, Angleterre, Allemagne, Belgique et États-Unis — s’attaqua systématiquement à cet État traditionnel Ingoma y’Uburundi.
Les puissances coloniales imposèrent dès 1911 [8] l’outil raciste géopolitique colonial du « conflit interethnique Hutu-Tutsi » [9], afin de fracturer la société barundi et d’exercer un contrôle permanent sur les terres sacrées burundaises (amatongo).

Entre 1920 et 1944, la destruction de l’institution du tambour sacré Karyenda avec la conversion forcée de Mukakaryenda (devenue Maria Ruburisoni) en 1928 marquèrent un tournant décisif. Les autorités traditionnelles, les confréries et les institutions d’Ingoma furent progressivement démantelées.
De 1959 à 1973, les élites barundi — Baganwa, Bataka, Batware, Banyamabanga, Bashingantahe et le Mwami— furent décimées par des génocides et un régicide. Le génocide contre les Hutu du Burundi en 1972 [10] acheva de briser l’Ubumu et provoqua la disparition ou l’exil de nombreux membres des confréries.
Ainsi, les confréries des Bashingantahe et des Bapfasoni, privées de leur fonction étatique, ont progressivement disparu ou perdu leur influence.

La période de 1966 à 2005 fut marquée par la dictature des Bahima burundais (Micombero, Bagaza, Buyoya), au cours de laquelle certains d’entre eux se proclamèrent Bashingantahe. Ce geste constituait un sacrilège au regard des valeurs de l’Ubungoma et de l’Ubuntu, car un Hima, considéré dans la cosmologie barundi comme membre d’une confrérie d’êtres dotés d’un cœur « pur mais mauvais » (umutima mubi), c’est-à-dire dépourvu d’états d’âme, ne pouvait en aucun cas prétendre au titre de Mushingantahe. Traditionnellement, les Bahima, au sein de l’institution du Tambour Sacré Karyenda, étaient perçus comme des êtres divins. Leur rôle consistait à veiller à l’harmonie des miryango d’Ingoma y’Uburundi en réprimant sans pitié ni remords les lignages ou individus jugés déstabilisateurs. Avec la disparition de l’institution de Mukakaryenda et de Karyenda (sous l’effet de la colonisation et de l’évangélisation), les Bahima furent réinterprétés et instrumentalisés par les missionnaires, puis devinrent les principaux acteurs de la colonialité au Burundi.

En 1997, le dictateur Hima Buyoya (UPRONA) créa par décret (décret-loi n° 1/001/97 du 3 janvier 1997) une institution étatique : le Conseil National des Bashingantahe (CNB), dans laquelle il nomma 40 Bashingantahe.
À cette période existaient les camps de concentration du Burundi [11], où 1,5 million de Barundi furent arrachés de leurs collines pour être parqués dans des camps — de véritables mouroirs — soit un tiers de la population burundaise à cette époque. Beaucoup de Bashingantahe et de Bapfasoni, issus des confréries traditionnelles locales, furent internés et certains moururent.
Or, les confréries des Bashingantahe et des Bapfasoni ne sont pas des institutions politiques comme l’était le CNB, dont la nomination permettait à ses membres d’être rémunérés financièrement par le PNUD. Tout cela allait fâcher les confréries des Bashingantahe et des Bapfasoni dans les collines du Burundi. Ces membres, indignés, allaient alors militer au sein du CNDD-FDD.

Après la tentative de « révolution de couleur »  ratée de 2015 [12], nombre de Bahima burundais se réfugièrent en Occident, entraînant également l’exil de nombreux membres du Conseil National des Bashingantahe (CNB).

De 2021 à 2022, les confréries des Bashingantahe et des Bapfasoni (proches du CNDD-FDD) sont parvenues, par le biais de décrets, à écarter le Conseil National des Bashingantahe (CNB) en le remplaçant par les Abahuza bo ku mitumba, rebaptisés Conseil National des Notables Collinaires (CNC). Chaque conseil collinaire est désormais composé de 15 membres élus au suffrage universel direct et secret par l’assemblée collinaire, pour un mandat renouvelable de durée indéterminée. Au total, environ 43 650 notables (15 × 2 910 collines et quartiers) ont été élus en septembre 2022 à l’échelle nationale, selon les chiffres officiels des autorités. Ce sont précisément d’anciens membres du CNB – certains exilés en Occident, d’autres encore présents au Burundi – qui tentent aujourd’hui de ressusciter leur influence à travers le CBE ou autres structures en diaspora.

Jusqu’à aujourd’hui, les confréries traditionnelles des Bashingantahe continuent d’exister dans les collines burundaises. Elles ne sont ni les membres du CNB ni les Abahuza. Les confréries traditionnelles des Bashingantahe sont surtout sollicitées par les Bataka, qui font encore appel à elles en diverses occasions.

Références :

[1] Ntabona Adrien, Les bashingantahe repères vivants de l’Ubuntu, Bujumbura, Cirid, 2022
[2] Nahimana Karolero Pascal, Burundi : La diaspora burundaise – Du monde, de Belgique et d’ailleurs – Histoire, trajectoires et ancrage, Bruxelles, Génération Afrique, 2025.
[3]
Sindayigaya Jean-Marie, Renaissance de l’Afrique par les Valeurs de l’Africanité-Ubuntu, Bruxelles, 2023
[4] Ntabona Adrien, L’Ubuntu ( Humanité réussie ), ses roses et ses épines au Burundi, Bujumbura, Cirid, 2020
[5] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la Colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025.
[6] Nahimana Karolero Pascal, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Bruxelles, Génération Afrique, 2024.
[7] Baranyanka Charles, Le Burundi face à la Croix et à la Bannière, Bruxelles, 2015.
[8] Rugurika Mathias, Repères historiques du Burundi : Tome 1 : de la période précoloniale à l’indépendance, le 1er juillet 1962, 2022.
[9] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la Colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025.
[10] Kubwayo Félix, La lente reconnaissance du génocide de 1972 contre les Hutu du Burundi : Les faits et l’exécution du génocide par le pouvoir de Micombero, Bruxelles, 2025 | Ntibantunganya Sylvestre, Histoire d’un génocide occulté : Le Génocide des Bahutu du Burundi de 1972-1973, Ed. Sigumugani, 2025.
[11] Nahimana Karolero Pascal, Camps de concentration du Burundi (1996 – 2002) : Les oubliés des collines – Mémoires d’un peuple enchaîné, Bruxelles, Génération Afrique, 2025.
[12] Ndayicariye Pierre Claver, Burundi 2015: Chronique d’un complot annoncé, Bujumbura, Compress, 2020.

Sources : Nahimana P. , burundi-agnews.org, Mardi 18 novembre 2025 | Photo : Igihe, Ambassade Burundi

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