Dans plusieurs quartiers de la capitale burundaise, de petits groupes de manifestants se sont formés malgré l’interdiction de manifester. Un des ces rassemblements a opposé une centaine de personnes qui cherchaient à gagner le centre de Bujumbura aux policiers anti-émeute qui ont fait usage de leurs matraques pour riposter à des lancers de pierres, selon un correspondant de l’AFP.

Un des manifestants à expliqué à l’AFP que les échauffourées avaient été provoquées par l’arrestation d’un des leurs par la police. « Nous avons tenté de libérer notre ami, c’est une manifestation pacifique, nous ne faisions que chanter nos slogans quand la police nous a chargés « , a-t-il expliqué, sans vouloir être identifié. Au moins deux policiers ont été blessés et deux jeunes manifestants arrêtés. Des policiers ont tiré des coups de semonce en l’air pour disperser la foule, a constaté l’AFP. Des témoignages ont fait état d’incidents similaires dans deux autres quartiers de la capitale burundaise. Malgré les interdictions, l’opposition avait annoncé son intention de manifester contre la désignation samedi par son parti du président burundais Pierre Nkurunziza comme candidat à un troisième mandat, jugé inconstitutionnel par l’opposition.

Washington regrette la candidature du président Nkurunziza à un 3e mandat

« Nous regrettons cette importante occasion manquée, mais le dur travail de construction des institutions et des pratiques démocratiques doit continuer », a déclaré dans un communiqué Marie Harf, porte-parole du département d’Etat américain.

Le président Nkurunziza a été désigné samedi par son parti candidat à un troisième mandat présidentiel à l’élection du 26 juin prochain. L’opposition burundaise et de nombreux pans de la société civile considèrent qu’un troisième mandat de M. Nkurunziza serait contraire à la Constitution du Burundi et aux accords d’Arusha, qui ont ouvert la voie à la fin de la longue guerre civile burundaise (1993-2006).

La porte-parole du département d’Etat a lancé une ferme mise en garde aux autorités de Bujumbura quant aux conditions dans lesquelles se dérouleront les élections présidentielle et législatives. Les Etats-Unis, a-t-elle dit, appellent toutes les parties à « faire en sorte que ces processus électoraux soient inclusifs, transparents, crédibles, libres et conduits dans un environnement dépourvu de menaces, d’intimidation ou de violence ». « Nous appelons en particulier les autorités du Burundi à respecter les droits de tous les partis politiques pacifiques et de leurs candidats à faire campagne, à tenir des meetings et des rassemblements et à exprimer leurs idées », a poursuivi Mme Harf.

La porte-parole a clairement laissé entendre que Washington était prêt à prendre des sanctions si cela était nécessaire. « Les Etats-Unis continueront à observer la situation de près et à prendre des mesures ciblées, y compris, lorsque ce sera approprié, en décidant des refus de visas américains », a-t-elle dit. Les Etats-Unis « tiendront pour responsables les personnes qui participent, programment ou ordonnent des violences contre la population civile », a encore déclaré Mme Harf.

« La violence n’a pas de place dans des élections démocratiques », a-t-elle insisté. »Nous voulons annoncer aux communautés nationale et internationale que le militant qui a été choisi pour nous représenter aux élections est Pierre Nkurunziza », a annoncé Pascal Nyabenda, le chef du parti au pouvoir Cndd-FDD.

Ex-chef rebelle et grand sportif

« Il a le droit de se faire élire », a-t-il ajouté, à l’issue d’un congrès réunissant 900 délégués, en présence de M. Nkurunziza, à Bujumbura, la capitale, quadrillée pour l’occasion de militaires et de policiers. Les ambassadeurs de Russie et de plusieurs pays africains ont assisté au congrès, en l’absence en revanche de tout représentant diplomatique occidental.

Ex-chef rebelle, grand sportif et protestant « born again », Pierre Nkurunziza, 51 ans, est à la tête de l’État depuis 2005 et avait été réélu en 2010. Sa désignation par le Cndd-FDD ne constitue pas une surprise tant il n’a jamais caché son intention de briguer un troisième mandat.

Mais l’opposition et de nombreux pans de la société civile jugent que ce troisième mandat serait inconstitutionnel et contraire aux accords d’Arusha qui avaient ouvert la voie à la fin de la longue guerre civile burundaise (1993-2006).

Le gouvernement, qui a multiplié les mises en garde contre toute tentative de « soulèvement » ces dernières semaines et menacé de faire intervenir l’armée, a interdit les manifestations à partir de samedi dans tout le pays. « Le gouvernement interdit toute manifestation pour quelque raison que ce soit sur l’ensemble du territoire du pays à partir de samedi, sauf les réunions politiques en rapport avec la campagne électorale », c’est-à-dire les meetings électoraux, a annoncé vendredi le ministre de l’Intérieur, Edouard Nduwimana.

Le gouvernement a donné le ton dès la semaine dernière: une soixantaine de personnes ont été arrêtées et inculpées de « participation à un mouvement insurrectionnel », infraction passible de la prison à perpétuité, lors de premiers mouvements de rue contre ce troisième mandat annoncé.

Dans ce petit pays d’Afrique des Grands-Lacs, où la société civile est très active, un bras de fer semble donc s’annoncer. Aucun des avertissements lancés ces derniers mois contre les risques de dérapages en cas de candidature de Pierre Nkurunziza par la communauté internationale – Union européenne, États-Unis, Union africaine et jusqu’au Conseil de sécurité de l’ONU – n’auront non plus porté leurs fruits.

Le camp du chef de l’État est même allé jusqu’à faire le ménage au sein du parti présidentiel, divisé, pour assurer son investiture à Pierre Nkurunziza, ex-chef rebelle durant la guerre civile et chrétien « born again ». Quelque 130 hauts cadres « frondeurs », ouvertement opposés à ce troisième mandat, ont été évincés ces dernières semaines. Certains ont été emprisonnés, d’autres ont choisi la clandestinité, disant craindre « pour leur vie ». Avant cela, Pierre Nkurunziza avait limogé de hauts responsables militaires, dont le chef des services de renseignement Godefroid Niyombare, qui l’avaient mis en garde contre des risques pour la sécurité du pays s’il se représentait.

Un pays qui se remet à peine de sa guerre civile

Le Burundi, un des pays les plus pauvres de la planète, qui vit sous perfusion de l’aide internationale, se remet à peine de sa guerre civile. L’histoire post-coloniale de cet ex-protectorat belge, indépendant depuis 1962, a été marquée par des massacres inter-ethniques. A travers le pays, la population craint désormais une redite de ces conflits. D’autant que les jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, accusés par l’ONU d’être une « milice » et de multiplier les intimidations et exactions à l’approche des élections, n’ont pas caché leur intention d’en découdre si l’on empêchait in fine leur champion, Pierre Nkurunziza, de se représenter.

Plusieurs milliers de Burundais ont d’ailleurs déjà fui au Rwanda voisin, terrorisés par les menaces des jeunes du Cndd-FDD qui, disent-ils, traquent les opposants au président sortant. De son côté, la communauté internationale a, par la voix d’un ambassadeur occidental en poste à Bujumbura, averti le président sortant que tout dérapage d’ici aux élections aurait « de graves conséquences » dans ses relations avec Bujumbura. La présidentielle sera précédée fin mai de législatives et de communales.

Didier Reynders appelle toutes les parties à éviter violence et intimidations

Le ministre des Affaires étrangères, Didier Reynders, appelle toutes les parties à éviter violence et intimidations dans le cadre du processus électoral. « Les responsabilités individuelles de ceux qui commettent des actes violents ou des violations graves des droits de l’homme seront engagées. La Belgique cofinance un projet de professionnalisation de la police et se réserve la possibilité de le suspendre si la police nationale burundaise ne respectait pas ses procédures et les droits de l’homme dans sa gestion des évènements », met-il en garde.

Didier Reynders souligne par ailleurs l’importance d’un processus électoral ouvert et inclusif dans lequel les droits de l’opposition et les textes fondamentaux (feuille de Route, code de bonne conduite, code électoral, constitution) sont respectés. « Ces critères politiques seront pris en compte pour toute décision sur le soutien de la Belgique aux élections », avertit-il.