La justice rwandaise a ouvert, mardi, une enquête sur le rôle tenu par des officiers français pendant le génocide de 1994.

En juillet 1994, la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR) que dirigeait Paul Kagamé (photo), a chassé le régime extrémiste hutu et mit fin au génocide. Depuis lors, celui qui est devenu président reproche à la France son implication avant, pendant et après le génocide. i
La justice rwandaise a demandé à la France, mardi 29 novembre, son entraide judiciaire dans le cadre d’une enquête criminelle pour complicité de génocide visant des officiers militaires français ayant servi au Rwanda pendant le génocide. Kigali souhaite procéder aux interrogatoires de ces responsables à l’ambassade du Rwanda à Paris.

Cette demande vise à éclairer le rôle de la France dans le génocide des Tutsis, qui a fait environ 800 000 morts d’avril à juillet 1994. Elle risque de raviver les tensions diplomatiques entre les deux pays.

Ce que Kigali reproche à Paris

Le 6 avril 1994, l’avion du président rwandais, d’ethnie hutu, Juvénal Habyarimana, en provenance de Tanzanie, est abattu alors qu’il amorce son atterrissage à Kigali, la capitale rwandaise. Trois jours plus tard, un gouvernement intérimaire, composé d’extrémistes hutus, arrive au pouvoir. Les Tutsis sont immédiatement accusés de l’attentat contre l’avion présidentiel. S’ensuivent cent jours de massacres et d’atrocités, avec, au final, 800 000 morts, majoritairement tutsis.

La rébellion du Front patriotique rwandais (FPR) que dirigeait Paul Kagamé, a chassé, en juillet 1994, le régime extrémiste hutu et mit fin au génocide. Depuis lors, M. Kagamé – d’abord vice-président et ministre de la défense, entre 1994 et 2003, puis élu chef de l’Etat cette année-là et réélu en 2010 – reproche à la France son implication avant, pendant et après le génocide.

En 2006, Kigali avait temporairement rompu ses relations avec Paris lorsque le juge Jean-Louis Bruguière, chargé de l’enquête sur le crash de l’avion de Juvénal Habyarimana, avait réclamé que Paul Kagamé soit jugé pour son rôle dans la mort de ce dernier. Le président rwandais avait accusé en retour la France d’avoir formé les militaires qui se sont livrés au génocide.

L’ouverture de l’enquête rwandaise annoncée par le procureur général, Richard Muhumuza, s’inscrit dans cette optique de déterminer la responsabilité d’une vingtaine de militaires français, dont l’identité n’a pas été divulguée.

Paris sur la ligne du démenti

Paris a toujours démenti une quelconque implication française dans le génocide. Auditionné devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale en novembre, le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, a maintenu cette ligne : « Affirmer que l’armée française a pris part au génocide est un mensonge indigne, que je ne tolérerai jamais », a-t-il déclaré, en ajoutant qu’il « [entendait] défendre sans concession l’honneur des militaires français lorsqu’ils sont injustement accusés ».

Les tensions se sont de nouveau accentuées en octobre après que la justice française a décidé d’entendre le général Kayumba Nyamwasa, qui, depuis qu’il a cessé tout lien avec le régime, accuse M. Kagamé d’avoir été l’instigateur de l’attentat contre M. Habyarimana. L’initiative a conduit la ministre des affaires étrangères rwandaise, Louise Mushikiwabo, à menacer la France de publier les noms des responsables français impliqués, selon Kigali, dans le génocide.

Dans un rapport en date du 31 octobre, la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG) mentionne 21 officiers français qu’elle accuse d’avoir joué un rôle dans la préparation puis l’exécution du génocide, dont des hauts conseillers de François Mitterrand. « Des hauts gradés français et des personnalités politiques ont commis au Rwanda des crimes très graves », accuse la CNLG.

La justice lente et peu efficiente

La création d’un Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), en 1994, n’a pas apporté les réponses sur les circonstances du génocide. En vingt ans d’exercice, le TPIR a mis en accusation 93 personnes ; 61 ont été condamnées.

Lire aussi : Rwanda : « Le TPIR est fermé mais des génocidaires vivent toujours en liberté »

En France, la cour d’assises de Paris a condamné, en juillet, à la prison à perpétuité deux bourgmestres rwandais, Tito Barahira et Octavien Ngenzi, pour leur rôle dans la mort de 2 000 personnes en 1994. Ils avaient été arrêtés en France et ont été jugés par le « pôle génocide et crimes contre l’humanité » – créé en 2012 – en vertu de la compétence universelle des juridictions françaises.

Ce procès était le deuxième organisé en France en relation avec les massacres commis au Rwanda. En 2014, l’ex-capitaine de l’armée Pascal Simbikangwa avait été condamné à vingt-cinq ans de réclusion pour génocide et complicité de crimes contre l’humanité.

Au Rwanda, les procès gacaca (des tribunaux communautaires villageois) ont été activés pour accélérer le jugement de personnes ayant participé au génocide. Mais, selon de nombreux observateurs, beaucoup d’entre elles vivent en France sans être inquiétées par la justice française.

L’impossibilité d’accéder aux archives

Dans une lettre ouverte publiée par Le Monde en octobre, Guillaume Ancel, un ancien officier français ayant servi au Rwanda en 1994, interpellait François Hollande :

« Vingt-deux ans après les faits, moi, ancien lieutenant-colonel de l’armée française, je ne sais toujours pas expliquer les contradictions entre la version officielle servie à nos concitoyens d’une opération humanitaire et la réalité des missions militaires que j’ai menées là-bas, qui ressemblent à s’y méprendre à un soutien aux génocidaires. »

La déclassification des archives estampillées secret défense apparaît comme le seul moyen de permettre à la justice de faire son travail et de se pencher sur les responsabilités françaises.

Le 7 avril 2015, François Hollande avait annoncé la déclassification des archives de l’Elysée, du ministère des affaires étrangères, du ministère de la défense et de l’Assemblée nationale relatives à l’engagement de la France au Rwanda entre 1990 et 1995. Un an plus tard, seuls quelques documents ont été mis à disposition. Aucun ne provient du ministère des affaires étrangères, du ministère de la défense et de l’Assemblée nationale.

Le Monde.fr avec AFP et Reuters