Une vidéo a fait, la semaine dernière, le tour des réseaux sociaux. On y voit le président Evariste Ndayishimiye, en train de passer un savon à un coordinateur d’un projet agricole. Le chef de l’Etat visitait un marais aménagé pour la culture du riz en commune Bwambarangwe de la province Kirundo.
« Vous allez rembourser tous vos salaires. Nous ne pouvons pas accepter que vous touchiez des salaires alors que vous ne travaillez pas. Est-ce que vous savez combien de kilos de riz que nous sommes en train de perdre ? C’est la misère qui s’installe dans le pays. Je mets en garde celui qui va encore badiner avec ce genre de projets. Il faut que vous sachiez que c’est l’argent du pays. Vous êtes bien payés. Les autres disent qu’ils sont fainéants parce qu’ils sont mal payés. Ce n’est pas votre cas. Vous voulez qu’on prolonge la durée du projet pour que vous continuiez à toucher des sommes colossales alors que la population souffre. »
Visiblement, le « malheureux » coordinateur ne savait plus où se mettre. Le président Ndayishimiye ajoute une couche. « Tu vas préparer un calendrier des travaux et je pars avec. Nous allons nous attaquer à la paresse. Le temps de la fainéantise est révolu. Si vous y aviez mis du vôtre, vous auriez terminé en deux ans. »
Des fonctionnaires indexés
En province Muramvya, en visitant les marais dans la vallée de la rivière Mubarazi, le Général-Major n’y va pas de main morte. « Un des champs de plus de 150 hectares pouvant nous procurer une récolte équivalente à 400 millions de BIF a été délaissé. Qu’est-ce que nous espérons manger ? Qu’est-ce que nous comptons mettre sur le marché ? Nous risquions d’accuser une perte de 600 millions de BIF. Comment se développer dans ces conditions ? Nous avons été négligents. Ce n’est pas votre faute car vous avez fait votre travail en préparant les champs et en repiquant. Mais ce qui a manqué, ce sont les gens pour vous guider. Les leaders doivent en tirer des leçons car ils doivent partager l’expérience avec les cultivateurs. Ces derniers sont prêts à lutter contre la pauvreté mais les leaders nous font défaut. »
Dans ce même discours, le président de la République s’en est pris au directeur général au ministère en charge de l’Agriculture. « Je viens pour la 2ème fois en moins d’un mois. Gouverneur, est-ce que le directeur général chargé de l’agriculture au niveau national est déjà venu ici ? (Le gouverneur de Muramvya hoche la tête négativement) Le président de la République est déjà venu deux fois mais pas lui. Les journalistes, n’avez-vous pas fait des reportages sur ça ? Est-ce qu’il n’a pas un poste téléviseur ou un poste de radio chez lui ? C’est-à-dire qu’il n’est pas intéressé. »
Dans la foulée, le président Ndayishimiye a alors mis en garde les fonctionnaires de l’Etat. « Je suis déterminé. Un fonctionnaire dont l’évaluation se révèlera négative, il n’aura pas son salaire. On va voir où il ira se plaindre. Dorénavant, celui qui empoche son salaire sans avoir travaillé, il aura affaire à nous. C’est honteux. Aujourd’hui, c’est moi qui encadre les agriculteurs, ça ne rentre pas dans mes compétences. Où sont les ingénieurs agronomes ? Nous avons perdu beaucoup de temps dans des conflits ethniques. Vous savez, ces paresseux sont les premiers qui se chamaillent pour des postes. Ils veulent toujours les meilleurs en mettant en avant leur appartenance politique. Ils sont source de nos malheurs. »
Des destitutions tous azimuts
Depuis sa prise de fonctions, le chef de l’Etat a déjà signé plusieurs décrets de destitution. Le 12 mars dernier, il a destitué de leurs fonctions deux hauts cadres de l’Etat : le directeur général de la programmation et du budget au ministère en charge des Finances, Christian Kwizera, ainsi que le directeur du Bureau provincial de l’agriculture, de l’environnement et le l’élevage en province Gitega, Victor Rurakengereza. Le 7 janvier 2021, le président Evariste Ndayishimiye a également destitué de ses fonctions le Directeur général de l’Agence Routière du Burundi (ARB), Emile Ndayisaba. Pour quels motifs, on ne sait pas encore.
>>Réactions
Kefa Nibizi : « Nous espérons qu’il s’agit d’une ère nouvelle»
Selon le président du parti Sahwanya-Frodebu Nyakuri, Kefa Nibizi, le président Evariste Ndayishimiye a toujours aimé des choses bien faites même lorsqu’il était le président du parti au pouvoir. « Il aime la transparence, la rapidité dans l’action et la perfection. Il n’est cité dans aucun acte de malversation économique et il n’est pas connu comme quelqu’un qui aurait trempé dans l’enrichissement illicite. »
Je pense qu’il ne s’agit pas d’une manipulation de l’opinion nationale ou internationale pour attirer la sympathie ou le réchauffement des relations avec les bailleurs de fonds. « C’est un changement qui émane d’une volonté réelle du chef de l’Etat. Nous espérons qu’il s’agit d’une ère nouvelle dans la gouvernance burundaise. »
Kefa Nibizi pense que le Président ne devrait pas agir seul “On dirait que c’est le chef de l’Etat qui est présent partout alors que ses collaborateurs les plus proches devraient être plus actifs et lui emboîter le pas. » Au lieu d’agir seul, poursuit-il, il devrait aussi encourager ses collaborateurs afin de travailler en faveur de l’amélioration de la bonne gouvernance.
Gustave Niyonzima : « La justice d’abord ! »
Pour Gustave Niyonzima, juriste et défenseur des droits de l’Homme, tous ceux qui sont destitués par décret et accusés de corruption, de détournement des fonds, de concussion et de malversation économique doivent être traduits en justice, si changement il y a. « Sinon, ce serait mettre de la poudre aux yeux du peuple burundais ou faire un changement de façade pour tromper la vigilance des bailleurs et des organisations de lutte contre la corruption tant nationale qu’internationale. »
Olivier Nkurunziza : « Il réalise des promesses de sa campagne électorale »
Pour le secrétaire général et porte-parole du parti Uprona, Olivier Nkurunziza, multiplier les descentes sur terrain montre qu’il suit de près les dossiers. « Le chef de l’Etat doit ouvrir l’œil afin de vérifier minutieusement si les rapports qu’il reçoit concordent avec les réalités du terrain. » Pour M. Nkurunziza, sermonner les gens en citant des noms est une bonne chose car cela permet d’éviter la globalisation. Toutefois, il souligne qu’il faut être vigilant car quelqu’un peut être destitué sur base de calomnies.
Le Secrétaire général de l’Uprona estime « que le président Evariste Ndayishimiye fait son travail ». Et d’ajouter aussitôt : « Il ne le fait pas pour plaire à qui que ce soit. Il répond aux aspirations de la population. Il réalise des promesses de sa campagne électorale. Surtout quand il a mis en avant la lutte contre la pauvreté et que chaque Burundais doit avoir de l’argent dans sa poche.»
D’après Olivier Nkurunziza, le président ne peut pas aller sur toutes les collines. « Il faut que tous les responsables s’approprient sa vision. Nous aussi, nous allons contribuer. »
Phénias Nigaba : « Les cadres compétents ne se trouvent pas seulement au Cndd-Fdd »
Selon le porte-parole du parti Sahwanya- Frodebu, Phénias Nigaba, se rendre sur terrain et redresser les paresseux, c’est aussi louable. « Toutefois, les destituer ne suffit pas. Les fonds publics volés doivent être récupérés et restitués dans le Trésor Public. Il ne faut pas que ces actions durent le temps du feu de paille. » Pour Phénias Nigaba, Il faut octroyer des postes à des gens compétents.
« Toutefois, les cadres compétents ne se trouvent pas seulement au Cndd-Fdd. Au Sahwanya-Frodebu ou ailleurs, des techniciens et de bons gestionnaires compétents existent. Il faut utiliser toutes les forces vives de la Nation. » Pour le porte-parole du Sahwanya-Frodebu, il faut distinguer les postes politiques des postes techniques. « Ce serait plus rentable d’embaucher des techniciens compétents sans considérer leur appartenance politique. »
M. Nigaba trouve important que les paroles soient toujours suivies par les actes. « On entend que les mauvais gestionnaires ont été destitués mais on ne connaît pas la suite. Ils gèrent un patrimoine commun. Il faut qu’ils communiquent. Les Burundais ont besoin de savoir comment les dossiers sont gérés. » Phénias Nigaba propose également de se pencher sur les malversations économiques antérieures « Tout cet argent doit rentrer dans les caisses de l’Etat. »
Hamza Venant Burikukiye : « Puisqu’il y a cette volonté politique d’en haut, c’est déjà un grand pas. »
« “C’est ce programme que les Burundais ont voté. Maintenant, il ne fait qu’honorer son engagement », confie Hamza Venant Burikukiye, représentant légal de l’Association CAPES+. Plaire à la population, poursuit-il, c’est son devoir parce que sa réussite est la satisfaction du peuple. « Quant à satisfaire les bailleurs de fonds, je ne pense pas car en matière de coopération c’est donnant-donnant. Chacun a besoin de l’autre. C’est pourquoi en cette matière, l’aspect souveraineté et respect mutuel sont de rigueur. On ne peut en aucun cas se soumettre devant quiconque sous prétexte qu’il est donateur » Puisqu’il y a cette volonté politique d’en haut, indique-t-il, c’est déjà un grand pas.
Gabriel Rufyiri : « Il faut une réforme profonde de la justice et de l’administration »
Le président de l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (Olucome), tempère l’enthousiasme des supporters du Président. Pour M. Rufyiri, ce sont des messages politiques.
Comment vous jugez le discours et les décisions du président, ces derniers jours ?
Nous trouvons que ce sont des messages politiques qui visent, d’un côté, à plaire à l’opinion publique mais de l’autre côté, des messages qui visent peut-être la prévention. Mais en aucun cas, ces messages politiques ne peuvent produire des résultats escomptés.
Pourquoi ?
Tous les présidents de la République qui se sont succédé utilisaient cette stratégie. Très récemment, feu président Pierre Nkurunziza a limogé un directeur d’un projet de construction d’une route qui a été mal exécutée. Un autre cas, que tout le monde connaît, est le limogeage en pleine réunion du directeur de l’Hôpital Roi Khaled. Et pourtant, en ce moment même, on observait les bavures administratives, les violations flagrantes des procédures administratives, le détournement des fonds publics, la mauvaise gouvernance dans les marchés publics, …
C’est une mauvaise stratégie alors ?
Cette stratégie est bonne d’un côté. Il faut qu’il y ait des messages politiques en amont, qui ne soient pas individuels mais collectifs. Toutefois, les dossiers doivent être traités individuellement. C’est à ce niveau que la justice entre en jeu.
Qu’est-ce qui cloche alors ?
Mais tant que la justice, l’administration, l’ingérence des politiciens surtout les généraux resteront aussi fortes comme c’est le cas aujourd’hui, la gouvernance à tous les niveaux ne sera jamais une réalité.
Le président de la République ne peut pas tout faire. Par ailleurs, il a déclaré haut et fort, le 5 février dernier, qu’aucun administratif n’est en train de l’aider. Normalement, il doit y avoir des lieutenants pour l’épauler et, parmi ces derniers, la justice vient en premier lieu. Mais aussi l’administration à tous les niveaux. Il faut des hommes et femmes compétents et intègres à tous les échelons de la gestion du pays.
Ils sont nombreux au Burundi …
Il faut voir comment ces cadres sont recrutés. C’est sur base de leur appartenance politique. En principe, un cadre de l’Etat doit être nommé sur base de critères objectifs. Ce qui n’est pas le cas chez nous. Pour le moment, c’est sur base du clientélisme, du favoritisme, du népotisme, etc. Avec toutes les incompétences que nous observons ici et là. La pauvreté, les injustices, l’impunité, …tout cela résulte du fait que certains cadres occupent des postes non pas pour travailler pour la population mais pour voler. Et un suivi clair laisse à désirer. C’est pour cette raison que l’Olucome insiste sur l’enracinement des principes de gouvernance dans le système judiciaire et administratif à tous les niveaux. Bien évidemment, il faut des messages politiques qui sont accompagnés en aval par des actions concrètes.
Concrètement ?
Il doit y avoir une réforme profonde de la justice et de l’administration. Il faut élaborer des indicateurs de résultats et des critères objectivement vérifiables sur base desquels ces fonctionnaires de l’Etat seront évalués. Pour qu’il y ait des performances, il doit y avoir un plan opérationnel avec des critères objectifs. Si nous restons dans des discours politiques, le travail ne sera pas couronné de résultats positifs. Pour le moment, tout est vague. Au regard de ce qui passe aujourd’hui, c’est très difficile d’avancer malgré ces discours alléchants.
S’il le faut, des experts internationaux peuvent intervenir pour que ces réformes soient une réalité.
Vous avez un exemple concret ?
L’Office burundais des recettes (OBR). Il y a certes des lacunes, mais c’est la seule institution qui est bien organisée parce qu’elle a été construite sur des bases solides.
Un certain Kieran Holmes, un expert international dans la gestion des entreprises publiques, est venu au Burundi, il a mis en place l’OBR. C’était en 2009. Avant, la Douane et les Impôts recouvraient à peu près 400 milliards de BIF par an. Avec l’OBR, les recettes sont passées du simple au double. C’est un bel exemple à suivre.
Propos recueillis par Fabrice Manirakiza (Iwacu)