« Il sera au pouvoir à vie ». Fataliste, Fadh Sabiti, étudiant et serveur à mi-temps à Kampala ne se faisait guère d’illusion jeudi sur l’issue de la révision constitutionnelle entamée la veille pour permettre au président Yoweri Museveni de se représenter en 2021.

« Les hommes politiques de l’opposition qui se sont battus hier au Parlement font juste du bruit. Bientôt on ne les entendra plus », explique dans un haussement d’épaules l’étudiant de 23 ans, à la faveur d’une pause dans son service, dans un restaurant chic de la capitale ougandaise, majoritairement acquise à l’opposition.

Mercredi, pour le deuxième jour consécutif, les travaux parlementaires ont tourné au pugilat, avant que des députés de l’opposition, scandalisés par le projet de réforme constitutionnelle, ne soient évacués manu militari du Parlement.

« Vous ne pouvez pas vous battre contre quelqu’un comme Museveni », ajoute Fadh, en référence à ses condisciples de l’université de Makerere (Kampala) qui ont affronté ces derniers jours la police anti-émeutes pour protester contre la réforme.

« Pendant toutes ces batailles, avec ces gaz lacrymogènes et ces soldats, Museveni ne dit mot et reste calme. Il reste au-dessus de tout cela, et aucune pierre (lancée par les étudiants, ndlr) ne peut l’atteindre ».

Comme près de trois-quart de la population ougandaise, Fadh a moins de trente ans et n’a connu d’autre président que celui qui tient fermement les rênes du pays depuis 1986.

L’ancien rebelle avait pourtant affirmé, peu après la prise du pouvoir, que « le problème de l’Afrique en général, et de l’Ouganda en particulier, ce n’est pas son peuple, mais les dirigeants qui veulent rester trop longtemps au pouvoir ».

Le parti au pouvoir souhaite désormais supprimer la limite d’âge pour se présenter à l’élection présidentielle, fixée à 75 ans, ce qui permettrait au chef de l’Etat, 73 ans, de briguer un sixième mandat en 2021.

 Population ‘fatiguée’ –

Le président n’en est pas à son coup d’essai. En 2005, la Constitution avait été modifiée pour supprimer la limitation à deux mandats présidentiels, lui permettant ainsi de briguer ses troisième, quatrième et cinquième mandats. M. Museveni avait alors soutenu que le Parlement était indépendant et qu’il respecterait la volonté du peuple, un argument réutilisé douze ans plus tard.

Mercredi, après une nouvelle bagarre en deux jours dans l’hémicycle et le départ des députés d’opposition refusant de cautionner le « projet de présidence à vie de Museveni », les députés du parti au pouvoir ont adopté à une large majorité une motion inscrivant le projet de modification de la Constitution à l’agenda du Parlement.

Pour Solomon Owchi, 48 ans, tout cela a malheureusement un air de déjà-vu.

« A peu près au moment où je suis né, le Premier ministre Milton Obote a aboli la Constitution », explique le chauffeur, au milieu des gaz d’échappements de la capitale, congestionnée comme à son habitude.

C’était en 1966: le « père de l’Indépendance » avait suspendu la loi fondamentale et des députés acquis à sa cause avaient voté un texte qu’Obote leur avait fait parvenir avant le vote dans leur boîte au lettre personnelle, au Parlement.

« Museveni a été populaire fût un temps et je pense qu’il a fait beaucoup pour le pays mais la population en a assez maintenant. Elle est fatiguée de voir tout ça une nouvelle fois », estime M. Owchi.

Eric Sakwa, un consultant en risques financiers, s’inquiète quant à lui pour l’avenir de son pays.

« Dans le business, nous avons ce concept consistant à planifier les successions, mais il n’y a rien de tel pour l’avenir du pays. Nous sommes plus ou moins coincés », explique l’homme de 52 ans.

Dans ce pays, « les gens qui ont la démocratie à coeur, ils se détournent de la politique et ils ont un vrai boulot », résume M. Sakwa.

(AFP 28/09/17)