Paul MIREREKANO : un martyr de la lutte pour l’émancipation des masses paysannes, l’unité nationale et la démocratie
Né d’une famille paysanne Hutu à Kavumu, Muramvya, au début des années 1920, Paul MIREREKANO s’illustre d’abord comme l’un des principaux leaders pour la cause de l’indépendance nationale dans les années ‘50 et début ’60, aux côtés du prince Louis RWAGASORE.
Militant pour la justice sociale dans les années ‘50, il devient l’une des principales figure de la lutte pour la démocratie dans les années ‘60. Attaché à la nation et à la terre burundaise, il est aussi connu comme un agronome particulièrement entreprenant.
Dès 1945, au terme de ses études d’agronomie au Groupe scolaire d’Astrida, il est affecté à Bujumbura. Mais très vite, il démissionne de sa fonction, suite à des mesures qu’il estimait injustes à son égard. Il introduit la culture maraîchère à Bugarama, en province Muramvya, et lance avec succès les coopératives maraîchères à Bugarama et à Bujumbura. Sa notoriété va grandissante. Le carrefour de Bugarama et ses environs sont restés connus, jusqu’à ce jour, pour les fruits, les légumes et les fleurs qui y sont cultivés.
Au cours des années ‘50, MIREREKANO mène une lutte anti-coloniale mais aussi se distingue par des revendications en faveur de la paysannerie pauvre, dont il est issu. C’est ainsi que, selon l’historien Jean GHISLAIN, à l’occasion de la visite du Roi BAUDOUIN au Burundi, MIREREKANO déjoue la vigilance de l’administration coloniale et s’approche du Roi : publiquement il lui donne lecture d’une description réaliste de la misère paysanne et formule des revendications pour réformer le régime colonial. De retour en Belgique, le Souverain belge le gratifie de deux tracteurs … dont un fut détourné par l’administration coloniale locale.
Sa lutte pour la justice sociale transparaît encore dans un des passages de son fascicule intitulé « Mbwire gito canje, gito c’uwundi cumvireho» (Conseils à mon sot, de sorte que le sot d’autrui en profite, janvier 1961), MIREREKANO demandait « que les petites gens soient protégées, qu’elles soient considérées de façon honnête ».
Il participe activement à la fondation de l’UPRONA bien avant son enregistrement en janvier 1960 au terme de ce qu’on a appelé l’accord de Kavumu (Bugarama, Muramvya) entre le Prince RWAGASORE, qui apportait la popularité liée au prestige monarchique, et MIREREKANO, qui apportait sa popularité dans les milieux paysans et dans les milieux de la petite bourgeoisie naissante.
Menacé dans son intégrité physique par l’administration coloniale et la faction aristocratique opposée au prince RWAGASORE, il se réfugie au Congo (ex-Zaïre) en 1959 avec, selon Boniface KIRARANGANYA, l’aide et la complicité du Prince. En juin 1960, encore en exil au Congo, il représente le parti UPRONA aux festivités de l’Indépendance congolaise à Léopoldville (Kinshasa). Après l’assassinat de Patrice LUMUMBA, avec lequel il eut des relations suivies en tant que nationalistes africains, il fuit en Tanzanie. Il rentre d’exil, le 1er Juillet 1962, le jour de l’Indépendance formelle du Burundi.
Devenu Président provisoire de l’UPRONA, la plupart des nationalistes et démocrates burundais s’attendaient à ce que le Roi MWAMBUTA IV nomme MIREREKANO premier ministre en sa qualité de second, juste après le Prince RWAGASORE assassiné le 13 octobre 1961. Contre toute attente, le Roi nomma, comme premier ministre, son gendre André MUHIRWA, un aristocrate du clan Batare. Jusqu’aujourd’hui, les nationalistes et les démocrates estiment que MIREREKANO a été écarté parce que de l’ethnie Hutu.
C’est sur cet événement que se base le Président Julius Mwalimu Kambarage NYERERE selon lequel, « Deux figures nationalistes, le Prince RWAGASORE (Tutsi) et Mr Paul MIREREKANO (Hutu) formèrent le parti UPRONA et parvinrent à rallier les trois groupes ethniques autour d’une plate-forme politique commune. Cette massive cohésion inter-ethnique rendit l’UPRONA capable de gagner les élections lors des premières élections multipartites du 18 septembre 1961. Son commandant en second, MIREREKANO, était écarté de l’accès à la présidence à cause de son origine ethnique. Après quoi, s’en est suivi la discrimination contre les Hutus A cet égard, l’équilibre du pouvoir entre la majorité et la minorité fut compromis. Cet état de choses déclencha l’antagonisme ethnique encore en vigueur. »
Ce témoignage du Président NYERERE a été publié dans son Plan de Paix en novembre 1998 à hauteur de son chapitre sur la recherche de l’origine du conflit au Burundi dans le cadre de sa médiation à Arusha. M. Boniface KIRARANGANYA donne des détails poignants dans son livre « La Vérité sur le Burundi » (p. 35 et suivantes) sous le sous-titre de « L’éloignement de Paul MIREREKANO ».
Le 15 août 1962, au cours d’un grand meeting au stade de Bujumbura, Paul MIREREKANO, fait un discours critiquant les dépenses de prestige du gouvernement MUHIRWA et de hauts fonctionnaires. Il fustige les inutiles et considérables frais de missions à l’étranger et l’absence de stratégie pour la consolidation de l’économie nationale. C’est ainsi qu’il entre en conflit ouvert avec le successeur de RWAGASORE, André MUHIRWA, l’accusant de ne pas respecter les promesses faites à la population dans la campagne des élections législatives.
Sur la demande du Premier ministre MUHIRWA et de Jean NTIRUHWAMA, Boniface KIRARANGANYA, Directeur Général de la Sûreté d’Etat, a confessé que les élections du bureau du parti Uprona, le 14 septembre 1962, avaient été manipulées afin d’écarter MIREREKANO de la présidence du parti. C’est ainsi que la présidence du parti fut confiée à Joseph BAMINA, allié éphémère de MUHIRWA. MIREREKANO devient vice-président ainsi que MUHIRWA et SIRYIYUYUMUNSI. Le directoire de l’UPRONA comportait six Hutu (BAMINA, MIREREKANO, NGENDANDUMWE, NGUNZU, BENYAGUJE et NUWINKARE) et six Tutsi, dont deux Ganwa (SIRYIYUMUNSI, NICAYENZI, KIRARANGANYA, KATIKATI, MUHIRWA et NYAMOYA). MIREREKANO va boycotter le bureau et, contre le « groupe Casablanca », conduit le « groupe Monronvia » d’une UPRONA en pleine scission et déliquescence.
Arrêté le 26 février 1963 sous le mandat du procureur général du Roi, une mutinerie des gendarmes éclate et le libère de la prison de Mpimba. Remis en prison, il est relâché le 17 juillet 1963 sous l’intervention personnelle du Roi MWAMBUTSA. Menacé, de nouveau, dans son intégrité physique, il quitte le Burundi et se réfugie au Rwanda en juillet 1964.
De retour au Burundi, il participe aux élections législatives de mai 1965, organisées après la dissolution du gouvernement NYAMOYA. Il est élu député à l’Assemblée nationale. Face à la violence et aux persécutions qui se déchaînent de plus en plus contre l’élite hutu, cette même année, il crée le mouvement « Jeunesse NGENDANDUMWE » en mémoire de son camarade Pierre NGENDANDUMWE, Premier Ministre Hutu assassiné le 15 janvier 1965.
Cet assassinat cumulé à d’autres frustrations, telles que l’abolition de la Constitution, le 10 mai 1965, et la nomination par le Roi d’un Premier Ministre, Léopold BIHA (clan des Bezi), non issu des partis vainqueurs des élections, conduisent aux révoltes de Bugarama, de Busangana et de Ndora. Paul MIREREKANO, avec d’autres compagnons, est aussitôt arrêté puis exécuté, sans jugement, le 19 octobre 1965.
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