Serbie/Remboursements des tickets : les dessous des retards
Les recalés de la Serbie peinent à se faire rembourser leurs billets. Dans certaines agences, des agents véreux ont profité de l’ignorance des passagers pour leur vendre des billets très chers qui n’étaient pas dans le système. D’autres agences de voyage ont simplement disparu. Voyage au cœur d’une désillusion.

Difficile de croire que le périple vers la Serbie aurait généré des centaines de millions de dollars américains… Du moins si l’on s’en tient aux sommes colossales que les compagnies aériennes opérant au Burundi et les agences de voyage dont les clients n’ont pas pu embarquer suite à la décision du gouvernement serbe de suspendre le mémorandum permettant aux Burundais avec des passeports ordinaires de s’y rendre sans visa, doivent désormais s’acquitter. « Une saignée qu’elles voient mal panser tant que tout l’argent amassé n’est pas allé directement dans leurs caisses », s’amuse à dire un ancien employé de Nitra Travel Agency.

Rien que Rwandair, le montant qu’elle doit à ces « malheureux passagers » avoisinerait les 300 millions de BIF. D’après une source bien informée, un montant qui n’est pas exhaustif, vu que les réclamations continuent d’y affluer.

Ethiopian Airlines est l’autre compagnie « débitrice » de ces passagers qui n’ont pas pu embarquer pour la Serbie.

Mais, depuis que ces derniers ont commencé à revendiquer leur argent, l’accueil chaleureux des premiers jours où les clients faisaient les files indiennes pour acheter un billet, surtout le beau sourire de ses employé(es) souhaitant le bienvenu, a cédé la place à un bonjour avec un air suspicieux.  Sans doute qu’une consigne claire et nette leur a été donnée. Une seule réponse fuse à celle ou celui qui demande où en est le processus de remboursement : « Montrez-nous votre billet ! ». Là aussi, seulement à ceux qui ont acheté leurs billets à leur bureau, sis à l’avenue de la Victoire.
Avec les derniers sit-in des passagers en colère, compagnies et agences de voyages, du moins celles encore fonctionnelles ont revu leurs façons de communiquer. Des garde-fous ont été instaurés. Elles ne répondent pas à tout passant. Autant dire qu’une certaine gêne s’est installée depuis que certains de leurs agents auraient profité de l’ignorance de certains clients, soit pour hausser les prix du billet ou pour ne pas rembourser un billet, prétextant qu’il aurait été suspendu dans le logiciel de vente des tickets.

Le début des désagréments

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Autour de 65 passagers, telle était la moyenne des Burundais embarquant pour la Serbie en juin 2022, raconte, F.D, un agent de la Sobugea. Cet effectif est allé crescendo jusqu’à dépasser 100 personnes à partir de juillet De quoi aiguiser les appétits des agences de voyage. « Pour Ethiopian Airlines, la 1ère compagnie aérienne à desservir cette ligne (Bujumbura -Serbie), c’est vers juin-juillet 2022 que la demande à gonfler. A un moment, nous avons commencé à craindre qu’elle ne puisse pas être à mesure à de desservir cette ligne seule », confie sous le sceau de l’anonymat, un agent de Manaf Tours Travel.

A 2.600.000 BIF, le prix du ticket Bujumbura-Belgrade, il indique : « En tant que vendeur de billets, notre seul problème était de leur trouver un avion à mesure de transporter ce beau monde ». Apparemment, glisse-t-il, ce fut le début des spéculations. Certains agents qui réservent les billets en ligne, n’ont pas eu l’honnêteté de dire à leurs clients que la compagnie Ethiopian Airlines était pleine. D’après notre source, le comble, c’est qu’ils se sont toujours arrangés pour aménager le plan de vol. Une situation à l’origine de ses « overbook récurrents » (réservations se font, alors qu’il n’y a pas de places dans l’avion ». Entretemps, au moment où la demande explosait, les agences naissaient tels des champignons.

Entre janvier 2022 et juillet 2022, Béatrice Nzeyimana, chargée des activités du guichet unique d’enregistrement des entreprises à l’ADB (Agence de développement du Burundi), soutient qu’il y a eu un boom dans la création de nouvelles agences de voyage .Une situation inédite, observe cet agent de Manaf Tours Travel qui sera à l’origine du désordre actuel. « La priorité pour ces « nouvelles » sociétés n’était plus de bien servir le client. De l’informer sur les conditions de remboursements de billets. Pour elles, c’était l’argent qui comptait seulement ».

Et comme la plupart de ces passagers étaient à leur 1er voyage, des agents véreux n’ont pas hésité à profiter de leur ignorance. « Ainsi pour un billet coûtant 2.600.000 BIF au prix initial proposé par le système, certains de ces agents pouvaient le revendre à 3.500.000 BIF », s’indigne cet agent de Manaf.   Plus déplorable, explique-t-il, naïfs, surtout, préoccupés par les préparatifs, stressés, par ce voyage dans un pays inconnu, ces passagers ne prenaient pas le soin de vérifier le prix exact voire l’authenticité de ces billets.

Un sérieux coup dur maintenant lorsqu’ils demandent d’être remboursés. « Outre cette crainte que l’agence qui leur a vendu le billet a déjà mis la clé sous le paillasson, ils redoutent que même si par chance leur billet était remboursé après déductions des 150 dollars américains souvent en guise de pénalités d’annulation, à cause des grosses marges de bénéfices qu’ils s’accordaient, le remboursement ne se ferait pas au prix réel fixé par le système des ventes des tickets ». Selon l’employé de la Sobugea, une peur bleue qui fait que certaines compagnies et agences, trainent les pieds.

Une déconvenue survenue à Ally. Devant voyager le 22 octobre, (soit le lendemain de la décision du gouvernement serbe), ce natif de la zone Buyenzi, fait savoir qu’une semaine après il est allé à l’agence Al Nuri Express Tours pour qu’il soit remboursé. Une surprise totale. « Hormis que l’agence avait remballé ses affaires, aucun numéro de téléphone de ses agents ne passait plus ». Un moment de gêne avant qu’il ne décide d’aller demander si Rwandair, la compagnie, à qui mon agence avait acheté le ticket, si elle ne peut me rembourser. « Heureusement, chose qu’elle a acceptée moyennant certaines pénalités ». A défaut de connaître les procédures de remboursements, il redoute que ses amis d’infortune ne jettent l’éponge. « En tout cas, il faut que les autorités de l’aviation civile se saisissent de l’affaire. Sinon, que les compagnies soient prévenues. Nous allons porter l’affaire devant les juridictions compétentes. »

Quid des remboursements ?

Béatrice Nzeyimana: « Il y a eu un boom de nouvelle agences de voyage »

Variant en fonction de la classe du billet et des conditions, un ancien employé de Nitra Travel Agency, explique qu’en principe tous les billets sont remboursables. « Certes il y a des cas de figure, avec des conditions bien claires qu’un client assume en connaissance de cause lorsqu’il achète un ticket surtout pour le trajet Istanbul-Belgrade. Sinon, pour le cas des vols de Rwandair ou de la Uganda Airlines, moyennant certaines pénalités, leurs billets devraient en principe être remboursés ».  Sauf surprise, tient-t-il à préciser, si l’agence a confectionné un faux billet dans le cas de figure des personnes qui n’ont pas pu embarquer suite à la décision du gouvernement serbe, le billet est totalement remboursable (full refund). Et à moitié remboursable pour ceux qui sont arrivés à destination (cas de ceux qui ne retourneront pas au pays) mais qui avaient payé pour un voyage aller -retour (half refund).

De quoi se demander pourquoi certaines compagnies et agences rechignent à payer le billet retour, sous motif qu’il a été suspendu.

Et d’après un employé de Rwandair, la compagnie a déjà commencé à décaisser l’argent. « Mais pour qu’il y ait traçabilité en cas de désistement du client, nous avons opté de le déposer sur les comptes bancaires des clients. Aussi, une façon d’éviter toute perte ou vol. »

Toutefois, les clients commencent à perdre patience. « Si ce n’est pas une stratégie à peine voilée de ne pas nous rétablir dans nos droits, qu’elle soit bien précise à la date de remboursement ». Seule certitude, d’après une source bien informée, parmi les autres raisons de ces retards : une volonté avérée de certaines compagnies de ne pas vouloir payer en argent liquide les places déjà vendues. Un sérieux coup dur pour les agences sans fonds de garantie suffisants ».

Et de conclure : « Dans le but d’assainir ce secteur d’activités, de concert avec les responsables des agences burundaises qui sont affiliées à l’IATA (Association internationale des agences de transport aériennes), les compagnies aériennes opérant au Burundi auraient décidé de ne plus vendre leurs billets à 85 agences de voyage créées dans la foulée de cette ferveur autour de cette ligne Bujumbura -Belgrade ».

Par Hervé Mugisha (Iwacu)