Burundi : Khadja Nin choisit le Rwanda ?

Une déclaration attribuée à la chanteuse Khadja Nin concernant le Rwanda a provoqué de vives réactions en ligne et ravivé des blessures historiques.

Kigali (Rwanda), 5/09/2025 – Une rumeur partie du Rwanda vendredi a agité les réseaux sociaux. On attribue à la chanteuse Khadja Nin, connue notamment pour le sublime clip Wale Watu, une phrase prononcée lors de l’événement rwandais Kwita Izina 2025 :- « I was born and raised in Burundi, but today I have chosen Rwanda as my forever home. »

Cette déclaration supposée a rapidement suscité des réactions contrastées.

Née Rema Jeanine en 1959 à Ruvyagira, près de Mushasha à Gitega, Khadja Nin est issue d’un muryango de notables Hima du Burundi, au temps d’Ingoma y’Uburundi. Cadette de sa famille et de petite taille, ses frères et sœurs l’appelaient affectueusement “ka Janine” (« la petite Jeanine »). Elle en fit son nom de scène, modifiant l’orthographe pour devenir Khadja Nin.

Son père, Ntiruhwama Jean, fut ministre de l’Intérieur en 1962. Personnalité controversée, il reste peu apprécié des Barundi car son alliance avec le mouvement missionnaire de la “Croix et la Bannière”[1] accompagna la chute d’Ingoma y’Uburundi, remplacée en 1966 par une République qualifiée de néocoloniale : une dictature militaire.

Les Hima du Burundi, auxquels appartenait sa famille, formaient autrefois une caste noble au sein d’Ingoma y’Uburundi. Ils occupaient une fonction quasi divine : gardiens des miryango ( lignages). Elle était  liée à l’institution du Tambour sacré Karyenda. Selon l’Ubungoma, la cosmologie traditionnelle des Barundi, les Hima étaient les gardiens des étoiles dans le cosmos, chargés de préserver les esprits dans le ventre de Mukakaryenda, la femme-Tambour, figure suprême comparable au Noun égyptien. Ils veillaient sur les vaches (inka), symboles des esprits lignagers, et contribuaient à l’harmonie de la société burundaise [2].

Mais entre 1920 et 1940, les conversions forcées au christianisme et la disparition du Karyenda mirent fin à leur fonction millénaire. Le Vatican, appuyé par des Hima chrétiens venus du Karagwe et de l’Ouganda, fit de cette noblesse des alliés pour combattre plutôt que protéger les miryango. Beaucoup de Hima refusèrent cette trahison spirituelle, fuyant l’acculturation pour préserver leur identité.

Dès 1959, devenu chrétien et détaché de l’Ubungoma, Ntiruhwama Jean s’associa à la “Croix et la Bannière” et contribua à la chute d’Ingoma y’Uburundi en 1965-1966. Les Hima burundais [3] furent alors instrumentalisés par l’outil raciste colonial géopolitique, géostratégique, et géoéconomique du conflit interethnique Hutu – Tutsi, théorisé dès 1911 par l’Allemand Hans Meyer. Ce clivage, exploité par l’Église et l’administration coloniale, servit à s’emparer des matongo, terres sacrées des Barundi, transformées en diocèses ou en concessions.

De 1966 à 2005, le Burundi vécut sous la dictature de présidents Hima – Micombero, Bagaza et Buyoya – une période marquée par environ 4,5 millions de victimes, sur une population qui atteint aujourd’hui 11 millions d’habitants.

Cependant, une partie des Hima resta fidèle à l’Ubungoma et ne pardonna jamais à la « Croix et la Bannière » d’avoir détruit le Tambour sacré Karyenda.

C’est dans ce contexte que la trajectoire de Khadja Nin, artiste célébrée et figure internationale, suscite des controverses. Si son merveilleux nom Rema évoque du point de vue de l’Ubungoma « Mukakaryenda naissante et rayonnante » – symbole de la création et de la mère nature –, sa participation en 2015  à la Révolution de Couleur ( Tentative de changement de régime ) [4] organisée par la Croix et la Bannière est perçue comme une tentative de restaurer une domination néocoloniale Hima au Burundi, une alliance à la Colonialité.

Références :

[1] Baranyanka Charles, Le Burundi face à la Croix et à la Bannière, Bruxelles, 2015. (La « Croix et la Bannière » désigne l’alliance historique entre le Vatican, la France – notamment via les Pères Blancs de Lavigerie –, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis contre l’ordre traditionnel burundais depuis le XIXᵉ siècle.)
[2] Karolero Pascal Nahimana, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Bruxelles, Génération Afrique, 2024.
[3] Rukindikiza Gratien, Les origines du peuple burundais : Amalgames et confusions, Paris, 2024.
[4] Ndayicariye Pierre-Claver, Burundi 2015 : Chronique d’un complot annoncé, Bujumbura, Compress, 2020.

Sources : Nahimana P. , http://burundi-agnews.org, lundi 8 septembre 2025 | Photo : Joe Wanderlust, KwitaIzina 2025 , Rwanda Green Fund