Burundi : À Rwibaga, le marché à bétail, entre commerce et sacré

À Bujumbura, le marché à bétail de Rwibaga bat au rythme de l’économie locale. Derrière les transactions, se cache un patrimoine bien plus ancien : la vache Inyambo, animal sacré d’un État millénaire, dont l’ombre portée plane encore sur les négociations.

Bujumbura, 25/09/2025 (BdiAgnews) — Dans une atmosphère détendue, les autorités communales se félicitent de la vitalité du marché de bétail de Rwibaga. Hier comme aujourd’hui, cette foire aux animaux demeure le premier pourvoyeur de recettes de la commune.
Ce marché, modernisé et bien structuré, regroupe des bêtes – vaches (inka), chèvres (impene) et moutons (intama) – destinées à l’abattage ou à être rachetées pour l’élevage familial. Parmi elle se distingue Inyambo, une vache à la forme spécifique, bien plus qu’un simple bétail : un animal empreint de sacré pour la culture burundaise.
Les acheteurs et vendeurs qui s’affairent dans ce centre de négoce observent une baisse sensible des prix ces dernières semaines. « Une vache qui valait 4 millions de francs burundais (environ 1 339 USD) en mai 2025 peut désormais être acquise pour 3 millions (environ 1 005 USD) », confirme un habitué des lieux. Les acteurs du marché attribuent cette baisse à un besoin de liquidités des ménages pour la scolarisation des enfants et l’achat d’intrants agricoles. Un répit, selon eux, qui ne sera que temporaire.
Les fonds générés par ce marché crucial abondent le budget dédié aux politiques socio-économiques locales, aux côtés des recettes issues des taxes sur les boissons, la vente des récoltes et l’impôt.

Pour comprendre la place symbolique de ces animaux ( inka, impene, intama ) , notamment Inyambo, il faut plonger dans l’histoire profonde du Burundi, ou Ingoma y’Uburundi. Cet État millénaire d’Afrique des Grands Lacs a développé un système socioéconomique-cosmique unique, l’Ubumu, intimement lié à « Mu » diminutif de Mukakaryenda (la femme Tambour Sacré Karyenda : la Divinité Suprême ). Dans ce cadre, le bétail n’était pas qu’une richesse matérielle ; il rayonnait d’une dimension divine.
Cette sacralité s’enracinait dans le calendrier (Ikiringo) traditionnel barundi, établit par les bahanuza ou les bapfumu bwi joro ( les astronomes ou cosmologues barundi ), appelé Ikihecijuru ou ikirangamisi. Ce dernier, fondé sur de longs cycles astronomiques de 26000 ans incluant les équinoxes (et les solcistes), aurait permis, par l’observation du soleil, de discerner dans la voûte céleste les formes de ces animaux, les associant ainsi au divin. Chacun de ces animaux ( inka, impene, intama ) ayant régné pendant 2160 ans à chaque grands cycle. Cette perception a naturellement conduit à leur élection comme totems (imiziro / ikimenyetso) pour certains miryango (lignées), renforçant leur importance dans le tissu social et spirituel [1].

Ainsi, à Rwibaga, chaque transaction résonne bien au-delà de l’acte commercial immédiat. Elle s’inscrit dans la continuité vivante d’une civilisation où l’économie et le sacré ont toujours été étroitement mêlés.

Référence :
[1] Nahimana Karolero Pascal, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Bruxelles, Génération Afrique, 2024.

 

Sources : Nahimana P. , http://burundi-agnews.org, Jeudi 25 septembre 2025 | Photo : ABP