Bujumbura, le 14 octobre 2025 ― « Qui s’excuse s’accuse », dit la sagesse populaire. Et lorsqu’un « homme d’affaires » devenu législateur se découvre soudain une âme de communicateur, c’est que le vent tourne — non pas en faveur de la vérité, mais pour tenter de sauver les apparences.
Ce 13 octobre 2025, l’honorable Olivier Suguru, commerçant, député, président du Conseil d’administration de l’Agence pour le développement du Burundi (ADB), président de la Chambre fédérale du commerce et de l’industrie du Burundi (CFCIB) et secrétaire général de SAVONOR, a publié sur la page Facebook de USAD Burundi un texte au ton triomphal, dans lequel il prétend démentir les révélations de Burundi Forum relatives à la « pieuvre électrique ».
Ce texte, que d’aucuns qualifieraient de mea culpa inversé, se veut une réponse ferme à nos publications. Mais à l’analyse, il s’apparente plutôt à une opération de diversion, un rideau de fumée destiné à détourner l’attention du public et des décideurs. In claris non fit interpretatio : quand les faits sont clairs, il n’est point besoin de longs discours.
Un « démenti » sans contradicteur
Il est déjà singulier que M. Suguru, prétendument soucieux de « rétablir la vérité », ait choisi Facebook pour exercer son droit de réponse, et non le média qu’il accuse. La déontologie journalistique est pourtant claire : le droit de réponse s’exerce dans le même canal que la publication mise en cause.
Mais M. Suguru a préféré s’adresser à un public virtuel, là où les likes remplacent les preuves. Une démarche révélatrice — qui fuit la contradiction comme l’ombre fuit la lumière.
Car chez Burundi Forum, les révélations ne reposent ni sur la rumeur, ni sur le hasard. Elles sont documentées, sourcées, croisées. Si M. Suguru croit pouvoir les balayer d’un revers de main, qu’il apporte les preuves contraires. Or, dans son long plaidoyer numérique, il n’en apporte aucune. Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage ; qui veut sauver son image, crie à la diffamation.
L’art de contourner la vérité
Le patriote autoproclamé affirme n’avoir aucun lien avec le secteur énergétique. Mais à ce stade, il ne s’agit plus de savoir s’il est électricien, mais bien électrifié par un réseau d’intérêts croisés qui court-circuitent la transparence.
Nous notons d’ailleurs que M. Suguru ne dément aucun des points précis soulevés dans nos précédents articles :
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Il ne conteste pas la captation de certaines banques par ses pions, ni la présence de son épouse à la présidence de la BGF ;
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Il ne conteste pas la perte annuelle estimée à 72 milliards FBU à la REGIDESO sous le règne du cartel piloté par son bras droit Tariq Bashir ;
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Il ne conteste pas non plus les factures fictives de camions de carburant gonflées pour surfacturer l’État ;
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Il ne nie pas ses liens étroits avec Egide Niyogusaba, haut fonctionnaire de l’Union européenne récemment remercié pour des faits évoqués dans nos publications ;
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Et surtout, il garde le silence sur son ami et conseiller financier de l’ombre, Busiku, ancien directeur général adjoint de la BANCOBU et aujourd’hui consul honoraire des Maldives au Burundi. Un titre diplomatique qui, sous d’autres latitudes, prêterait à sourire, mais qui ici soulève de sérieuses interrogations : les Maldives sont connues pour leur législation permissive en matière de secret bancaire et d’enregistrement offshore. Or, selon plusieurs sources financières concordantes, nombre de transferts de devises issus des opérations régionales de M. Suguru transiteraient justement par ce discret paradis fiscal tropical ;
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Il ne dément pas non plus ses relations avec l’ambassadeur Fred Ngoga, dont les prises de position publiques — notamment ses déclarations controversées sur l’accès aux passeports selon l’appartenance ethnique au Burundi — ont heurté la conscience nationale. Ce haut fonctionnaire de l’Union africaine (UA), connu pour ses réseaux transfrontaliers douteux, s’est souvent retrouvé au cœur de dynamiques qui contournent les intérêts du Burundi sur la scène internationale. La relation, l’amitié politique et personnelles que lui voue M. Suguru n’ont jamais été démenties, ni clarifiées ;
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Pas un mot, enfin, sur ses opérations financières transfrontalières via SAVONOR, où les devises collectées au Congo s’évaporent vers Dubaï et les Maldives — ce havre discret des fortunes tropicales.
Face à ces silences, son « démenti » prend des allures d’aveu. Qui ne dit mot consent.
Le faux débat du patriotisme
Se draper dans le drapeau est la ruse favorite des puissants en difficulté. « Je suis patriote avant d’être entrepreneur », dit-il. Certes. Mais Patria non est ubi nascor, sed ubi bene est — la patrie n’est pas là où l’on naît, mais là où l’on se sent bien. Et certains patriotes ne se sentent bien qu’au soleil de Dubaï ou dans les lagons fiscaux des Maldives.
Le patriotisme de circonstance ne saurait effacer la réalité d’un système où le même homme légifère, régule et commerce, au mépris du principe cardinal de séparation des pouvoirs.
Suguru est à la fois juge et partie : législateur à l’Assemblée nationale, acteur économique influent, et régulateur au sein des structures publiques comme ADB et la CFCIB qu’il préside. Une confusion des rôles qui, sous d’autres cieux, eût valu démission immédiate. Mais ici, c’est presque un titre de gloire.
Leçons d’économie à un « patriote »
Sur les origines des financements des barrages, M. Suguru croit briller en citant les donateurs : Chine, Inde, Banque mondiale, BAD… oubliant que nous avons écrit que l’Union européenne finance partiellement ces projets. Par ailleurs, elle participe indirectement à plusieurs de ces mécanismes multilatéraux, notamment via la BEI et les fonds fiduciaires conjoints. Qu’il nous permette donc une leçon de finances publiques internationales : l’argent n’a pas de drapeau, mais il a toujours une trace.
Ses arguments trahissent une méconnaissance des rouages économiques et diplomatiques. Peut-être que le cumul des titres ne laisse plus à ce comptable qui n’a jamais pratiqué le temps d’étudier leurs fonctions respectives.
Le silence éloquent
M. Suguru n’a pas démenti les multiples autres faits établis par nos investigations. Il n’a pas non plus réagi aux témoignages d’industriels burundais victimes d’un système verrouillé, ni aux autres informations que nous avons rendues publiques. Son « démenti » n’en est donc pas un : c’est une déclaration d’intention sans contenu, un exercice de communication déguisé en vérité.
La vérité, cette obstinée
Nous accueillons néanmoins cette sortie avec satisfaction. Car comme le dit le proverbe kirundi : « Ibuye riserutse ntiryica isuka » — la pierre visible ne blesse pas la houe.
En sortant de son silence, M. Suguru valide malgré lui la pertinence de nos enquêtes. Nous n’en sommes qu’au prélude. Ce que nous avons révélé n’est qu’une goutte dans un océan de dossiers à venir.
Et maintenant ?
Burundi Forum poursuivra son travail avec la même rigueur et la même indépendance. Loin des tribunes numériques où l’on se justifie par slogans, nous continuerons à documenter, analyser et révéler — fiat lux, que la lumière soit, et que nul n’en détourne le faisceau.
Trop, c’est trop.
La République n’appartient pas à ceux qui la capturent, mais à ceux qui la servent.
Par Jean Jorès Rurikunzira
Rédaction de Burundi Forum | Photo : Jimbere





