Quand le zèle excessif devient un piège : le cas Nduhungirehe face aux contradictions du régime rwandais

 L’histoire se répète inlassablement dans les régimes autoritaires : les serviteurs les plus zélés finissent souvent par devenir les premières victimes du système qu’ils ont trop fidèlement servi. Cette loi politique immuable semble aujourd’hui se manifester au Rwanda dans le cas d’Olivier Nduhungirehe, Ministre des Affaires étrangères, dont les récentes prises de position le mettent en porte-à-faux avec la machine de propagande du Front Patriotique Rwandais (FPR-Inkotanyi).

Les précédents historiques : quand le zèle se retourne contre ses auteurs

L’histoire politique mondiale offre de nombreux exemples édifiants de ce phénomène. Le Dr Emmanuel Kalonda, historien congolais, rappelle que « le zèle politique est un instrument dangereux : il rassure le tyran à court terme, mais révèle, à long terme, les contradictions d’un système où la vérité et la nuance sont interdites ».

Le cas le plus frappant reste celui de Lavrenti Beria, chef redouté du NKVD sous Staline, dont le zèle meurtrier au service du tyran soviétique n’a pas empêché son exécution sommaire par ses anciens compagnons seulement trois mois après la mort de son mentor. Plus près de nous, en Afrique, les ministres les plus serviles des régimes de Mobutu, de Bokassa ou d’Amin Dada ont presque tous connu des fins tragiques lorsque ces régimes se sont effondrés.

Le piège de la modération dans un système radical

La trajectoire récente d’Olivier Nduhungirehe semble illustrer cette dynamique implacable. Recruté en Europe dans les années 2000 pour revenir servir le FPR, le Ministre se trouve aujourd’hui dans une position délicate après s’être opposé aux excès de la propagande du régime.

Tout a commencé lorsque Sadate Munyakazi, propagandiste notoire du FPR étroitement lié aux services de renseignement rwandais (NISS), a déclaré lors d’un meeting politique que le parti envisageait de « recruter des Burundais pour nettoyer les rues de Kigali et des Congolais pour nettoyer les toilettes au Rwanda ». La réaction immédiate de Nduhungirehe sur X, exigeant le retrait de ces propos, a marqué un tournant. Contraint aux excuses publiques ( https://x.com/SadateMunyakazi/status/1978824626164605254?s=19 ), Munyakazi n’a visiblement pas pardonné cette humiliation.

L’escalade s’est poursuivie lorsque le journal Igihe, considéré comme la voix officieuse du FPR, a déformé les propos du Ministre en lui attribuant faussement une annonce de rupture totale entre le Burundi et le Rwanda. Cette manipulation a été reprise avec enthousiasme par des activistes en ligne comme Pacifique Nininahazwe et l’ancien journaliste Esdras Ndikumana, créant une tempête médiatique obligeant le Ministre burundais des Affaires étrangères, Son Excellence Edouard Bizimana, à réagir avec fermeté.

Le dilemme du diplomate dans un régime autoritaire

Pour un analyste burundais qui a requis l’anonymat, « Nduhungirehe est pris dans l’étau classique des diplomates sous régime autoritaire : tiraillé entre sa fonction qui exige de la modération et un système politique qui exige une adhésion inconditionnelle à sa propagande ».

Le Dr Étienne Munyaneza, historien rwandais en exil, analyse plus sévèrement la situation : « Nduhungirehe a cru pouvoir modérer les excès verbaux du régime tout en restant fidèle à son essence. C’était une illusion dangereuse. Dans le système FPR, toute nuance est perçue comme une trahison. Son recrutement en Europe lui donnait peut-être l’illusion d’une certaine marge de manœuvre, mais il découvre aujourd’hui les limites infranchissables. »

La leçon universelle confirmée

L’affaire Nduhungirehe confirme une vérité politique universelle : dans les régimes où la ligne entre diplomatie et propagande s’est effacée, les serviteurs de l’État qui tentent d’introduire de la modération deviennent inévitablement des gêneurs. Leur zèle passé ne les protège pas – au contraire, il les rend suspects aux yeux des radicaux qui les accusent de tiédeur.

Comme le résume le chercheur camerounais Dr Michel Ngassa : « Le zèle est une flamme : elle éclaire, mais si on s’en approche trop, elle brûle. » Nduhungirehe, en tentant de modérer les excès de langage des propagandistes du FPR, pourrait bien devenir la prochaine victime de cette flamme qu’il a trop longtemps alimentée.

Son cas rappelle amèrement que dans les régimes autoritaires, la loyauté absolue n’offre aucune protection lorsque les intérêts du pouvoir changent. Seul l’avenir dira si le Ministre pourra naviguer dans ces eaux dangereuses, ou s’il rejoindra la longue liste des zélateurs sacrifiés par les régimes qu’ils ont servis avec excès.

Par Jean Jacques Nkusi Byabagabo