« Ziranoze en quête d’empire : quand l’homme d’affaires burundais des engrais s’installe en Tanzanie, en Ouganda, en Angola et lorgne le Ghana ». Adrien Ntigacika, surnommé Ziranoze, est devenu en quelques années un personnage incontournable de l’agro‑industrie burundaise. Créateur en 2019 de FOMI (Fertilisants Organo‑Minéraux Industries), il a profité de l’interdiction d’importation des engrais chimiques pour occuper une position dominante sur le marché local. Pourtant, alors que les paysans burundais manquent encore d’urée et que l’engrais organo‑minéral « Imbura » ne suffit pas à répondre à la demande, l’homme d’affaires multiplie les projets au-delà des frontières. En 2025, il a été reçu en audience par les chefs d’État tanzanien, angolais et des responsables ghanéens, et a signé des accords d’investissement en Ouganda. La question qui se pose au Burundi est simple : à quoi sert cette expansion régionale si la demande locale reste insatisfaite ?
La ruée vers l’Est : l’usine géante de Dodoma
Le 28 juin 2025, la présidente tanzanienne Samia Suluhu Hassan et son homologue burundais Evariste Ndayishimiye ont inauguré à Dodoma une usine ultramoderne de production d’engrais organo‑minéraux. Ce projet, piloté par ITRACOM Fertilizers Ltd (filiale du groupe ITRACOM Holding), a coûté 180 millions de dollars et dispose d’une capacité d’un million de tonnes par an. La société affirme que cette usine a déjà créé plus de 3 000 emplois pour des Burundais et des Tanzaniens, et qu’elle contribue à « restaurer la fertilité des sols ». Sur le site d’ITRACOM, la filiale tanzanienne est clairement présentée comme une filiale de FOMI Fertilizers, la société mère basée à Bujumbura. L’objectif affiché est de réduire la dépendance de la Tanzanie aux importations et d’exporter vers la région une fois la demande locale satisfaite.
L’appel de l’Ouganda et l’offensive en Angola
À peine un mois après l’inauguration tanzanienne, Ntigacika signait à Kampala un accord avec le gouvernement ougandais pour construire une usine d’engrais organiques à Kampiringisa, dans le district de Mpigi. La convention, rendue publique le 22 août 2025, porte sur un investissement de 180 millions de dollars. Installée sur 54 hectares, l’usine devrait produire 250 000 tonnes par an à partir de fumier de vache et de minéraux locaux. Le gouvernement ougandais s’est engagé à acheter toute la production, garantissant ainsi la rentabilité de l’opération.
Le 23 septembre 2025, Itracom Holding a posé en Angola la première pierre d’une nouvelle filiale baptisée Itracom Fertilisantes. Selon le communiqué publié sur le site du groupe, le projet est estimé à 370 millions de dollars et s’étendra sur 138 hectares. Il vise à améliorer la productivité agricole angolaise grâce à des engrais organo‑minéraux et s’accompagnera de créations d’emplois. Ce même communiqué annonce un vaste programme d’expansion : en plus de l’usine tanzanienne, un site est en cours de construction au Kenya (capacité prévue de 1 million de tonnes par an et budget de 290 millions de dollars) et d’autres projets sont envisagés en Ouganda, au Ghana et au Nigeria.
Les promesses ghanéennes
Au mois de juin 2025, l’assistant du PDG d’ITRACOM Holding s’est rendu au Ghana pour rencontrer des responsables gouvernementaux. Il a été reçu par Emmanuel Kwadwo Agyekum, ministre d’État chargé des Initiatives spéciales, et par le vice‑ministre ghanéen de l’Agriculture. Les autorités ghanéennes ont salué l’initiative et promis de mettre à disposition un terrain pour implanter une nouvelle usine FOMI. Elles ont également annoncé leur intention de se rendre au Burundi afin d’examiner les réalisations du groupe. Même si aucun montant n’a encore été divulgué, cette visite confirme l’ambition d’ITRACOM de s’implanter en Afrique de l’Ouest.
Entre succès extérieur et pénuries intérieures
Cet expansionnisme régional contraste avec la situation au Burundi. Selon des articles parus en 2025, des agriculteurs burundais se plaignent de payer leur fertilisant (notamment l’urée) sans jamais le recevoir ; ils affirment que le programme Imbura de FOMI ne convient pas à certaines cultures et que la demande intérieure reste insatisfaite. Pour combler la pénurie, l’État burundais a entrepris de construire deux nouvelles usines publiques (à Bugendana et à Bukemba) et a été contraint d’autoriser, en 2022, des importations temporaires d’engrais.
FOMI invoque plusieurs raisons pour justifier sa stratégie : manque de matières premières au Burundi, prix élevés des intrants importés et coupures électriques. Les projets à l’étranger s’appuient sur des partenariats publics‑privés avantageux (terrains gratuits, exonérations fiscales, contrats d’achat garantis), sur l’abondance de matières premières locales (phosphate, chaux, fumier) et sur des financements bancaires ougandais ou tanzaniens. Le groupe insiste aussi sur le fait que ses usines étrangères créent des milliers d’emplois, y compris pour des Burundais, et qu’elles sont susceptibles d’exporter une partie de leur production vers le Burundi.
Le retour pour le Burundi : un pari encore flou
Le site d’ITRACOM Holding reconnaît que ITRACOM Fertilizers (Tanzanie) est une filiale de FOMI Fertilizers, la société burundaise. Cela laisse entendre que les nouvelles usines seront également structurées comme des filiales sous le contrôle du holding burundais. Dans ce cas, les bénéfices distribués (dividendes) et une partie de la production pourraient théoriquement être rapatriés au Burundi, apportant des devises au pays et permettant à FOMI de vendre des engrais à prix plus bas. Néanmoins, aucune source publique ne détaille les accords de prix de transfert ou les modalités de rapatriement des profits. Les contrats signés avec la Tanzanie et l’Ouganda mentionnent d’abord l’approvisionnement des marchés locaux et la nécessité pour l’investisseur de récupérer ses coûts, ce qui pourrait limiter les volumes disponibles pour l’exportation.
Empire en construction ou modèle contesté ?
L’appétit expansionniste d’Adrien Ntigacika transforme son groupe en acteur panafricain des engrais. Ses projets en Tanzanie, en Ouganda, en Angola et bientôt au Ghana témoignent de la confiance des gouvernements voisins et de la capacité d’un entrepreneur burundais à lever des centaines de millions de dollars dans la région. Pour que cette aventure profite véritablement au Burundi, il est indispensable que la maison‑mère FOMI renforce son offre domestique et que les bénéfices générés à l’étranger soient rapatriés. En attendant, la contradiction demeure : alors que les usines fleurissent à l’extérieur et que Ziranoze devient l’homme des chefs d’État africains, les cultivateurs burundais patientent toujours pour recevoir leur engrais.
Par Bazikwankana Edmond






