Noël, la fête chrétienne, a remplacé Umuganuro, la célébration traditionnelle du solstice, symbole d’un génocide culturel commis contre les Bagumyabanga, les savants de Barundi.

Gitega, 24/12/2025 – Dans les sociétés occidentales, Noël est associé au 25 décembre, et la soirée du 24 décembre en marque la veillée. Pour les catholiques du monde, cette fête renvoie à la naissance de Jésus, « fils de Dieu ».
Au Burundi, pays des Barundi, peuple de l’Ubungoma [1] — la pensée selon Ingoma, le Tambour —, d’où se déploie aussi l’idée d’Ubuntu (la philosophie de l’humain), Noël s’est imposé comme célébration collective depuis la colonisation [2], considérée comme un crime contre l’humanité.
Entre 1920 et 1940, la Belgique et le Vatican [3] a mené un génocide contre les Bagumyabanga [4] : une destruction des savants Barundi — maîtres de confréries, législateurs, planificateurs et régulateurs. Pour ces derniers, la vérité des Barundi, l’Ibanga, reposait sur les lois de la nature et du cosmos, et sur des mystères : les lois du monde Non Existant, celui du couple Tambour sacré Mukakaryenda–Karyenda ; les lois liées à Mukakaryenda [5], femme Tambour sacré et divinité suprême ; autrement dit, les lois d’une force énergétique à l’origine de notre monde Existant. Cette disparition des Bagumyabanga a ouvert la voie à l’implantation du christianisme chez les Barundi.
Les deux premiers Burundais ordonnés prêtres, convertis au christianisme — Ntidendereza Patrice et Ngendagende Émile — le furent le 19 décembre 1925. À cette époque, beaucoup pensaient encore selon la logique de Karyenda, donc selon l’Ubungoma. Les Banyamaganga étaient traqués, massacrés, et fuyaient Ingoma y’Uburundi (cf. génocide des Banyamaganga). Trois ans plus tôt, « La Croix et la Bannière » avait fait tuer Ntirwihisha Kanyarufuso Runyota, le Muhanuzi. Dans un tel contexte, ces deux nouveaux prêtres furent perçus, par une partie des Barundi, à la fois comme des fous et comme des traîtres : un premier choc. Mais, pour ce récit, la cassure la plus profonde survient en 1929.
Par des conversions forcées, les missionnaires Pères Blancs transforment Mukakaryenda (la femme Tambour sacré), divinité suprême des Barundi, représentante du Tambour sacré Karyenda et appelée Ruburisoni, en « Maria Ruburisoni ». C’est alors l’effondrement d’un pilier institutionnel : la fin de l’institution de Karyenda et de son palais Buryenda. Peu à peu, le Tambour sacré Karyenda disparaît. Ingoma y’Uburundi, dyarchie millénaire, devient unijambiste : seule l’institution du Mwami subsiste.
Or, décembre possède, dans cette vision, une portée particulière. Il est marqué par un événement symbolique : la naissance de notre monde existant, parfois rapprochée du Big Bang. Selon la cosmogonie burundaise, les couples Mukakaryenda et Karyenda, également nommés le couple Tambour, représentants du monde Non Existant — cosmologiquement une force énergétique — donnent vie au monde Existant. Cette naissance est célébrée lors d’Umuganuro, cérémonie honorant la création de notre univers, celui d’Imana, des ancêtres (incarnés par les couples Mukakiranga et Kiranga), et du quotidien de tous les êtres, Barundi compris.
Lors des fêtes annuelles d’Umuganuro (et de l’Umwaka), les confréries Banyamabanga des Bahanuza et des Bapfumu bw’Ijuru (cosmologues Barundi) occupaient les premières loges. Ce sont eux qui entretenaient Ikihecijuru, le calendrier rituel des Barundi, lié au cycle global des précessions des équinoxes (26 000 ans). Le début des festivités d’Umuganuro était lancé au solstice d’hiver, lorsque les Bahanuza percevaient, à l’aube (ubuca / umutwenzi / umuseke / amacāca), comme une naissance du soleil (izuba), alignée avec Rwamigabo (Sirius) et Nyamihango (les trois étoiles d’Orion), poussée ou portée par Rwamihigo (Aldebaran), alias Semaseka (Ryangombe, Kiranga).
Ainsi, comme Noël est associé à la naissance de Jésus, la fête d’Umuganuro débutait au mois lunaire de Kigarama (décembre) par une scène céleste : la fécondation, dans le ciel (ijuru), de Rwamigabo, alias iroho (l’âme) de Mukakaryenda, et de Nyamihango, alias umwuka (l’esprit) de Karyenda (le Tambour). De cette union naît umutima (le cœur) en Imana, symbole de la naissance du soleil — ou, plus largement, de la naissance de notre univers, Uburemagi.
Sous l’époque coloniale, Umuganuro fut transformée en fête des semailles, perdant une part de sa dimension cosmologique. Pourtant, elle demeure un repère majeur de l’identité culturelle burundaise. Cette période, liée au solstice d’hiver, coïncide aussi avec Noël et les fêtes de fin d’année en Occident, créant une convergence symbolique — parfois harmonieuse, parfois douloureuse — entre traditions locales et influences venues d’ailleurs.
Références
[1] Nahimana Karolero Pascal, Histoire du Burundi : Les grandes dates de l’histoire des Barundi et de l’État millénaire africain – Ingoma y’Uburundi, Éd. Génération Afrique, 2024.
[2] En février 2025, l’Union africaine (UA) a qualifié officiellement l’esclavage, la déportation et la colonisation de crimes contre l’humanité et d’actes de génocide contre les peuples africains. Cette décision, adoptée le 16 février lors de la 38ᵉ session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement à Addis-Abeba, marque un tournant dans la quête de justice historique pour le continent.
[3] Baranyanka Charles, Le Burundi face à la Croix et à la Bannière, Bruxelles, 2015. (« La Croix et la Bannière » désigne l’alliance historique entre le Vatican, la France – notamment via les Pères Blancs de Lavigerie –, l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et les États-Unis contre l’ordre traditionnel burundais depuis le XIXᵉ siècle.)
[4] Nahimana Karolero Pascal, Réfugiés du Burundi — Quand Ingoma s’est tu. Histoire géopolitique d’un peuple brisé par la colonialité, Bruxelles, Génération Afrique, 2025. | https://nahimanakarolero.com
[5] Mbonyingingo Leona, L’Épouse du tambour, Montréal, 2025

Sources : Nahimana P. , https://burundi-agnews.org, Mercredi 24 décembre 2025






