( Source: sputnik ) Le cours du dollar est proche de son maximum depuis dix ans, et les indicateurs du marché laissent présager que cette hausse n’est pas terminée. A moyen terme, la monnaie américaine risque cependant d’entamer une longue période d’affaiblissement, avertissent les économistes. En cause: la politique protectionniste belliqueuse de Donald Trump.
Pourquoi le renforcement du dollar pourrait-il toucher à sa fin et comment le Président américain contribue-t-il à cette évolution?
L’augmentation des taux d’intérêt
A première vue, le renforcement du dollar témoigne de l’efficacité de la politique de Trump. La monnaie américaine est alimentée par l’accélération de la croissance économique, la réduction des impôts et l’augmentation des dépenses pour la défense.
Mais comme l’indique Benjamin Cohen, professeur de politique économique internationale à l’Université de Californie, la ligne économique du Président américain actuel mènera au final à un affaiblissement significatif du dollar.
«Le dollar, explique le professeur, ne se renforce pas du tout pour des raisons fondamentales, mais surtout grâce à l’augmentation des taux d’intérêt. La Réserve fédérale (Fed) a déjà revu à la hausse son taux directeur deux fois cette année pour retenir l’inflation. D’ici la fin de l’année, cela devrait se produire encore à deux reprises et, selon les pronostics de Morgan Stanley, au moins deux fois en 2019. L’augmentation des taux d’intérêt pousse les investisseurs à transférer leur argent vers le dollar, ce qui stimule la monnaie américaine. Le capital d’investissement afflue dans l’économie du pays littéralement des quatre coins du monde.
La hausse du déficit budgétaire
Mais chaque médaille a son revers, en l’occurrence la hausse du déficit budgétaire. Il y a de moins en moins d’«argent bon marché» dans le système financier, l’État doit emprunter de plus en plus, et les versements pour desservir l’immense dette de 21.000 milliards de dollars grandissent.
La réforme fiscale de Donald Trump n’a fait qu’aggraver la situation en facilitant la vie aux corporations et aux entreprises, tout en réduisant significativement les recettes budgétaires.
«Les dépenses publiques disproportionnellement élevées sont l’essence pour l’incendie de la dette qui se profile», avertissait plus tôt le congressiste républicain Andy Biggs. Ce dernier notait que les dépenses budgétaires ne devaient pas dépasser 700 milliards de dollars, or en 2018 elles avaient déjà atteint 1.300 milliards de dollars.
«Le pays dépense plus d’argent qu’il n’en reçoit, c’est pourquoi il est contraint d’emprunter. Le déficit structurel crée un effet de «dépendance de parcours» (path dependence). Je pense que nous nous dirigeons vers un gouffre», souligne le congressiste.
La hausse du déficit commercial
Les exportations américaines sont de plus en plus chères et le coût des importations diminue à cause du dollar fort, ce qui est directement opposé à l’objectif de Donald Trump de réduire le déficit commercial.
Se référant au déficit de la balance commerciale, Trump a décrété des taxes sur les importations d’acier et d’aluminium et sur un large éventail de produits chinois.
«Mais paradoxalement, les importations plus chères font également pression sur le niveau intérieur d’inflation, ce qui pourrait forcer la Fed à augmenter son taux directeur même plus vite que prévu. Par effet de conséquence, cela renforcerait davantage le dollar et augmenterait le déficit commercial, comme ce fut déjà le cas à l’époque de Reagan et de Bush», indique l’économiste.
En janvier, le déficit de la balance commerciale extérieure des USA a atteint son record depuis presque dix ans — 56,6 milliards de dollars — et a connu une augmentation de 12 milliards en juin.
La tendance à l’abandon du dollar
L’économiste indique également que les mouvements à court terme sur les marchés financiers ne permettent pas de juger de la situation réelle. Les perspectives à long terme de la monnaie au niveau international sont une référence bien plus importante. En particulier à titre d’instrument de préservation du capital pour les investisseurs étrangers et les banques centrales.
Or, en l’occurrence, les tendances pour le dollar, qui est considéré depuis des décennies comme l’actif liquide le plus fiable au monde, ne sont pas du tout favorables. Tout cela à cause du bellicisme de Trump, qui menace la position privilégiée de la devise américaine. De nombreux États passent déjà aux outils de paiement alternatifs.
La Chine a persuadé la Russie d’accepter les yuans pour l’achat de gaz naturel et prépare le terrain au paiement du pétrole en monnaie nationale. D’autres pays cherchent des solutions pour contourner les sanctions américaines contre l’Iran: par exemple, l’Inde achète une partie du pétrole iranien en échange de produits et non de dollars.
En parallèle, la Russie et la Chine accumulent de l’or dans les réserves internationales, réduisant ainsi leur dépendance envers la monnaie américaine. Ces deux pays détiennent près de 10% de l’or sur le marché mondial.
«En fin de compte, le dollar se videra de son sang, les privilèges injustifiés et l’influence mondiale des USA s’évaporeront, et tout ce qui attend le pays à long terme est un affaiblissement continuel de la monnaie et un déclin économique», constate Benjamin Cohen.
Fin août, dans une interview à l’agence Reuters, Donald Trump a accusé la Chine et l’UE de manipuler leur propre monnaie. Il a déclaré également qu’il ne se réjouissait pas de l’augmentation du taux directeur de la Fed.
Wall Street n’exclut pas que Donald Trump commence lui-même à affaiblir le dollar pour réduire le déficit commercial. C’est ce qu’a déclaré à Bloomberg Charles Dallara, ancien fonctionnaire du Trésor américain et co-développeur des accords du Plaza de 1985 sur les mesures d’affaiblissement du dollar.
Le financier évite toutefois le terme «manipulation» quand il parle des interventions monétaires. Il souligne toutefois que le passage à une politique de plus en plus protectionniste et aux interventions «sapera le statut du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale en réduisant la demande en actifs américains».