Le président kényan Uhuru Kenyatta est devenu mercredi le premier chef d’Etat à comparaître en cours de mandat devant la Cour pénale internationale, qui l’a convoqué pour discuter des difficultés de l’enquête dans son procès pour crimes contre l’humanité. Uhuru Kenyatta, qui a délégué ses pouvoirs à son vice-président William Ruto pour la durée de son séjour à La Haye, où siège la CPI, est poursuivi pour son rôle présumé dans les violences post-électorales qui ont déchiré le Kenya fin 2007 et début 2008, faisant plus de 1.000 morts et plus de 600.000 déplacés. Vêtu d’un costume gris foncé sur une cravate bleue et une chemise claire, Uhuru Kenyatta a semblé détendu et s’entretenait avec son avocat à l’ouverture de l’audience. Il avait déjà comparu une fois devant la Cour, mais avant son élection à la magistrature suprême en mars 2013. La procureure de la CPI, la Gambienne Fatou Bensouda, était elle aussi présente à l’audience. Elle soutient que des témoins ont été intimidés et que Nairobi ne coopère pas à l’enquête, expliquant ne pas avoir assez de preuves pour un procès alors qu’au moins sept témoins de l’accusation se sont rétractés. La galerie du public, séparée de la salle d’audience par une vitre insonorisante, était remplie de partisans de M. Kenyatta, dont des députés venus de Nairobi. Certains n’ont pas pu entrer, faute de place, tandis que d’autres devaient se tenir debout. La juge Kuniko Ozaki a notifié à M. Kenyatta : « Vous pouvez parler uniquement en votre capacité d’accusé et ne pouvez pas faire de déclarations de nature politique ou en votre capacité officielle ». L’avocat du dirigeant kényan, Steven Kay, a répondu que son client ne s’adresserait pas aux juges mercredi. « Je répondrai aux questions en son nom, il a choisi de ne pas prendre la parole aujourd’hui », a-t-il dit. – ‘Laissez notre président’ – Le procès du président kényan devait initialement débuter en septembre 2013 mais a été reporté à de nombreuses reprises. La probabilité qu’il ne s’ouvre un jour n’a cessé de se réduire au fil des mois, surtout depuis que l’accusation a demandé son report sine die, faute de preuves suffisantes. Fatou Bensouda accuse Nairobi de ne pas coopérer avec la CPI en refusant notamment de lui transmettre des relevés bancaires ou téléphoniques. Ces derniers pourraient prouver, selon elle, le culpabilité de M. Kenyatta. L’accusation a d’ailleurs demandé mardi à la CPI de sanctionner Nairobi, qui soutient pour sa part que ses efforts de coopération sont freinés par la bureaucratie du pays. Le représentant du bureau du procureur, Ben Gumpert, a souligné qu’en tant que président, M. Kenyatta « a un important devoir constitutionnel en vue de s’assurer que ces obstructions n’aient pas lieu ». L’audience de mercredi, dite « Conférence de mise en état », doit examiner la requête de report de la procureure, ainsi que la demande formulée en réponse par la défense — un abandon des poursuites contre le président. Aucune décision n’est attendue mercredi. – Seuls des Africains sont poursuivis – M. Kenyatta a été accueilli devant le tribunal par une cinquantaine de partisans qui criaient, chantaient et dansaient, arborant les couleurs nationales. « Nous sommes venus aujourd’hui parce qu’il est innocent bien sûr, il n’a jamais participé à quelque tuerie que ce soit », a dit à l’AFP l’un d’entre eux, Paul Kobia, 46 ans. Le vice-président William Ruto fait l’objet lui aussi d’un procès pour crimes contre l’humanité devant la CPI, depuis septembre 2013. L’Union africaine et les députés kényans ont demandé le retrait des charges contre M. Kenyatta, accusant la CPI de ne poursuivre que des Africains. La réélection contestée du président sortant Mwai Kibaki en 2007 avait provoqué la pire vague de violences au Kenya depuis l’indépendance du pays, qui se sont rapidement transformées en conflit ethnique. Devenus alliés après avoir été rivaux, MM. Kenyatta et Ruto se sont présentés sur un ticket commun à l’élection présidentielle de 2013, qu’ils avaient remportée.