Monsieur le Président,

Le 22 août 1988, avec 26 autres intellectuels, j’exigeais des changements de fonds quand votre Gouvernement planifiait un massacre de grande envergure à partir de la région Nord (Ntega Marangara), durant ce que j’appelle « la première guerre géopolitique de l’Afrique des Grands Lacs » avant celle du Rwanda 1990. Si je vous suis reconnaissant des efforts faits suite à cette lettre, menant vers le multipartisme et la victoire électorale du Président Ndadaye en juin 1993, je suis toujours gêné par le retour de votre nom dans presque tous les malheurs qui gouvernent notre pays depuis au moins 20 ans.

Ces derniers temps, en effet, après l’arrestation du colonel Daradangwe et les auditions diligentées contre certains parmi vos fidèles à l’époque de l’assassinat du premier président burundais démocratiquement élu, un assassinat perpétré par la hiérarchie militaire façonnée par votre pouvoir, de curieux regards s’orientent vers votre entourage.

Je vous écris donc cette deuxième lettre ouverte, ce vendredi, 20 juin 2015, avec un but spécial: attirer l’attention sur la situation explosive que vit le Burundi à une semaine des élections du 26 juin. Car, disais-je, votre nom revient encore dans tous les scénarios noirs redoutés. Vos récentes tractations dans un pays voisin où vous avez eu des entretiens clés dans le milieu soupçonné de vouloir porter une nouvelle guerre au Burundi, nous laissent pris d’effroi. Quand, ensuite, vous participez à des réunions avec vos lobbystes comme tout récemment à Berlin ou comme cette semaine au « Paris Global Forum », des esprits avertis s’inquiètent. Je ne parle pas de vos liens au sein de nos Églises. Je passe sous silence vos contacts au sien de ces ONG écrans comme celle qui trône au bord de la Chaussée Prince Louis Rwagasore, non loin du bâtiment abritant la 2ème Vice Présidence de la République, une ONG dont le chef exécutif passe une partie de son temps à vendre votre image au Burundi et à l’extérieur de celui-ci. Car si vous voulez des détails, je suis prêt ,en âme et conscience, à les donner et j’en assumerais la pleine responsabilité.

C’est pourquoi je maintiens les préoccupations exprimées publiquement dans ma déclaration devant la communauté internationale réunie à Genève, le 16 juin 2011, à la session d’été du Conseil ONU pour les Droits de l’Homme (regardez ici: https://www.youtube.com/watch?v=zkTghLRuWC0).

Je voudrais dès lors vous prier, Monsieur le Président Buyoya, d’avoir une pensée pour les souffrances que notre pays endure. Pensez à ces jeunes qui ne vont plus à l’école ou qui n’ont pas d’emplois, choisissant d’affronter les balles mortelles de la Police, à cause de ce conflictuel 3ème mandat présidentiel qui reste, pour moi comme pour tant d’autres voix silencieuses, une sorte d’arbre qui cache une vaste forêt face au sensationnalisme des médias et à la médiocrité de notre classe politique, ce à quoi s’ajoute l’hypocrisie d’une partie de la Diplomatie internationale.

Prenez la parole, profitez de votre titre de « Sénateur à vie » (c’est une aubaine pour vous, tant qu’il est encore temps, car les mécanismes de Vérité Réconciliation que vous avez passé tout le temps à torpiller pourraient changer la donne!) pour rassurer ce peuple anxieux. Mettez au défi l’équipe du Président Nkurunziza sur ce thème précis du dialogue; au lieu de continuer à diviser nos élites, comme vous savez le faire, pour régner sur nous, profitant de vos avantages dans la communauté internationale actuelle, n’oubliez pas que celle-ci a commencé à tout savoir. C’est pourquoi vous avez perdu votre combat au poste de secrétaire général de la Francophonie.

Devenez une sorte de Saint Paul, un modèle de dirigeant repenti par l’expérience, par exemple, en soutenant le Projet « Graines de dialogue » que le CIRID, mon organisation, en liens avec plusieurs autres, est en train de proposer aux frères ennemis de notre pays. Sinon, je prends à témoin le monde entier qui lit ces lignes : si une nouvelle catastrophe tout autant injustifiable qu’inutile doit s’abattre sur notre pays, par votre entremise, l’histoire vous jugera sévèrement alors même que vous pouvez nous aider, dès ce fatidique week-end que nous commençons, à faire mentir la fatalité de la guerre.

Avec mes plus sincères et vives sollicitations.

Déo Hakizimana