Ouganda:Museveni rêve de rester 40 ans au pouvoir

La cérémonie était parfaitement organisée. Dans le luxueux hôtel du parc de Murchison Falls, au nord de l’Ouganda, les cinq jours de congrès n’ont pas laissé aucune place au hasard. Et c’est donc sans mauvaise surprise qu’à l’issue, le Mouvement de résistance nationale (NRM) a désigné son chef, Yoweri Museveni, 74 ans, comme son candidat à la présidence en 2021 pour un sixième mandat. Il est appelé à «continuer à diriger le Mouvement et l’État en 2021 et au-delà pour éliminer les freins à la transformation» explique un communiqué.

Museveni, au pouvoir déjà depuis 33 ans, peut envisager d’aller chercher les records de longévité du Gabonais Omar Bongo ou du Libyen Mouammar Kadhafi. L’ancien guérillero, tombeur des dictateurs Idi Amin Dada et Milton Obote, qui promettait de changer le pays, s’est mué, au fil des ans, en un parfait «Big man». Son ambition à rester au pouvoir – et à envisager une «présidence à vie», l’accusent ses opposants – était déjà très claire depuis des mois.

Il y a un peu plus d’un an, le NRM avait adopté un amendement pour, une fois encore, modifier la constitution et supprimer la limite d’âge de 75 ans pour se présenter à la présidentielle. Comme Yoweri Museveni aura 76 ans en 2021, le but de la manœuvre n’a trompé personne, mais en a agacé beaucoup. Ce jour-là, des députés se sont même battus à coups de chaises. La rue a été le théâtre de violents affrontements. L’amendement a cependant été validé par la Cour constitutionnelle, et la Cour suprême, saisie à son tour, devrait d’après les observateurs, l’imiter dans les prochaines semaines.

L’armée de plus en plus présente dans les rues

Pour Museveni, ces heurts annoncent un scrutin, et auparavant une fin de mandat, plus délicat qu’imaginé. Celui que l’on a surnommé le «Bismarck des Grands Lacs» a vu son aura baisser. Son passé de combattant du bush, arrivé au pouvoir en 1986, paraît aujourd’hui lointain. D’autant que plus de 75% des Ougandais ont moins de 30 ans et ne voient des heures sombres des dictatures que des pages d’histoire. Ils créditent certes le président de certains succès, comme l’indéniable boom de la capitale Kampala. Mais le quotidien des petites gens de la ville et des paysans des campagnes demeure très dur.

La star de la chanson, Robert Kyagulanyi, alias Bobi Wine, l’a parfaitement compris. Gamin du ghetto, il cristallise les rancœurs et les espoirs de cette jeunesse. L’ex-rasta, 37 ans, a fait une entrée tonitruante dans le monde politique depuis qu’il a été élu député en 2017, écrasant ses rivaux avec 77% des voix. Depuis, la majorité des candidats qu’il a adoubée a aussi gagné.

L’opposition, campée depuis 20 ans par Kizza Besigye, l’ancien médecin et ami de Museveni, s’en est trouvée secouée. Le président aussi. Après avoir tenté d’acheter ce nouveau venu, de l’amadouer sur un ton paternaliste – «un petit-fils turbulent» – Museveni a repris les bonnes vieilles méthodes: Bobi Wine a été arrêté l’été dernier et incarcéré deux semaines. Son chauffeur a été tué. Mais le remède s’est révélé pire que le mal: la popularité de l’opposant a encore augmenté alors que la communauté internationale se mobilisait pour assurer sa libération.Le simple phénomène Wine, maintenant à la tête d’un parti structuré, est en passe de représenter un véritable danger pour le régime. Signe de l’inquiétude, le gouvernement a décidé de taxer les réseaux sociaux sur lesquels Wine mène le gros de ses campagnes.

L’armée, l’UPDF, déjà surpuissante dans le pays, est de plus en plus présente dans les rues. En précipitant la candidature du chef, NRM souhaite sans doute mettre un terme aux rêves de changement rapide à la tête du pays. Il n’est pas certain que cela suffise.

Tanguy Berthemet – Le Figaro

http://www.lefigaro.fr/international/2019/02/20/01003-20190220ARTFIG00181-en-ouganda-museveni-reve-de-rester-40-ans-au-pouvoir.php