La légende de la boxe Mohamed Ali est décédée à l’âge de 74 ans
L’ancien poids lourd, légende du noble art et icône mondial au-delà du sport, est décédé dans la nuit de vendredi à samedi à l’âge de 74 ans. Il était atteint de la maladie de Parkinson depuis 1984. Avec ce décès se tourne une page de l’histoire des Etats-Unis.
«The Greatest». Le meilleur. Autoproclamé. Tout simplement. «Il est difficile d’être humble lorsque vous êtes aussi grand que je le suis.» Entre suffisance et provocation. Mohammed Ali est sûrement le sportif le plus célèbre du monde. Celui à qui on a consacré le plus de livres et de films. Atteint de la maladie de Parkinson depuis 1984, il est décédé dans la nuit de vendredi à samedi à l’âge de 74 ans. Boxeur de légende, l’Américain, né à Louisville (Kentucky) sous le nom de Cassius Clay avant de se convertir à l’Islam en 1964 à l’âge de 22 ans, a rapidement dépassé le simple cadre du sport.
«Flotte comme un papillon, pique comme une abeille»
Par son style, son verbe haut et ses prises de position politiques. Il restera comme une icône populaire des Etats-Unis. Adoré des uns, détestée des autres. Même si le temps a poli et adouci son image controversée dans son propre pays. Pour preuve, il avait été le dernier porteur de la flamme olympique lors des Jeux de 1996 à Atlanta. En 1999, le magazine sportif américain de référence, Sports Illustrated, l’avait élu «sportif du siècle» et la BBC lui avait adressé le titre de «personnalité sportive du siècle».
Mohammed Ali, c’était avant tout un style pugilistique unique. Reposant sur un jeu de jambes envoutant, désarçonnant. Unique pour un poids lourd de 1,92 mètre. Une garde assez basse et une fréquence élevée à donner des coups au visage, alors que le matraquage au corps fait de dégâts sur la durée. Et une marque de fabrique sur les rings, un slogan qui a fait sa renommée : «Flotte comme un papillon, pique comme une abeille.»
L’autre génie d’Ali résidait dans son sa façon inégalée de se mettre lui-même en scène. L’autopromotion élevée au rang d’art. Œil vif, verbe haut, sa répartie est permanente, son humour, décapant. Insupportable grande gueule pour les uns, génial orateur pour les autres. «Si jamais tu rêves de me battre, il vaut mieux pour toi que tu te réveilles et viennes t’excuser.» Ali a révolutionné les codes médiatiques du noble art : avant lui, les boxeurs s’exprimaient peu, laissant leur manager s’occuper du service avant et après-vente.
Mohammed Ali, lui, attirait la lumière comme personne. Il explosait l’espace médiatique. Fascinait son auditoire. Spectacle permanent. Et il excellait dans la provocation. Qui d’autre que lui se serait permis de lancer à Leonid Brejnev en 1978 : «Vous n’êtes pas aussi stupide que vous en avez l’air» ? Cette langue bien pendue lui a attiré l’inimitié du milieu et de nombre de ses adversaires. Sonny Liston, qu’il a battu en 1964 à Miami pour décrocher le premier de ses trois titres de champion du monde, n’avait qu’une idée en tête : clouer le bec de ce malotru. Car Ali n’avait pas de limite. Il n’hésitait pas, par exemple, à railler le physique de ses advsersaires. Larry Holmes et Leon Spinks ? «Ils sont laids et stupides. Ils font vraiment honte à nous les Noirs», osera-t-il.
Mais c’est avec son adversaire le plus retors, «Smokin’» Joe Frasier, qu’il sera le plus dur. Limite abject. Sûrement parce que Frasier est le premier à l’avoir battu, en 1970, dans ce qui a été appelé «le combat du siècle» au Madison Square Garden. Lors de leur troisième confrontation – appelée le «Thriller à Manilla» en 1975 –, il dépasse les bornes. Traite son adversaire d’«Oncle Tom», de Noir à la solde des Blancs, alors que ce dernier a trimé, jeune, dans les champs de coton. Ali vend son combat en clamant qu’il va «se faire le gorille à Manille».
Un boxeur très engagé politiquement
Après avoir gagné ce combat titanesque d’une intensité et d’une violence rares – «Mon expérience la plus proche de la mort», confiera-t-il –, Ali lui présentera ses excuses. «Si je dois partir à la Guerre Sainte, confiera-t-il, je veux que ce soit avec Frazier», qui ne lui pardonnera jamais réellement ces écarts verbaux. Car, des années auparavant, «Smokin’ Joe» avait tout fait pour qu’Ali récupère sa licence de boxeur, après son refus de participer à la guerre du Vietnam en 1966. «Je n’ai rien contre les Viêt-Congs. Aucun d’eux ne m’a jamais traité de nègre», se justifiait Ali. En plein mouvement des droits civiques des Afro-Américains, l’activisme et l’engagement du boxeur auprès de la Nation of Islam de Malcolm X dérangent. Il ne pourra pas boxer pendant quatre ans, jusqu’à ce que la Cour suprême ne casse le jugement initial (10.000 € d’amende, 5 ans d’emprisonnement). Il n’ira pas en prison après avoir fait appel.
Pour son retour sur les rings, il perd la première de ses trois confrontations avec Frazier. Il veut une revanche mais, dans la foulée, Frazier se fait détruire par un jeune à la force brutale, George Foreman qui, en Jamaïque, l’envoie six fois au tapis en… deux rounds ! Ali a désormais deux rudes combattants à terrasser pour revenir sur le toit du monde. Il disposera, d’abord, de Frazier aux points au Madison Square Garden. Puis, vient l’inénarrable «Rumble in the Jungle» (combat dans la jungle) à Kinshasa. «Un cadeau du président Mobutu au peuple zaïrois et un honneur pour l’homme noir», pouvait-on lire sur les affiches. Un show mondial organisé par un dictateur et un jeune promoteur au passé trouble (Don King accusé de meurtre), le tout sur fond de concerts de James Brown, BB King et Manu Dibango.
Le combat du siècle face à Foreman
Tout le monde pense qu’au Zaïre (devenu RD Congo), Ali va se faire concasser par Foreman. Le jeune boxeur de 25 ans écrase tout sur son passage (43 victoires dont 40 par KO), à chaque fois en moins de cinq rounds. Ali y voit une faille : résister à un début de match hyper-violent et pousser son adversaire au-delà de 5 rounds. Il travaille son endurance, sous les cris des Zaïrois acquis à cause qui scandent : «Ali, bo maye !» Ali, tue-le ! Le combat est retardé de 5 jours, à cause d’une blessure à l’arcade de Foreman. Le match a lieu à 4h00 du matin en Afrique (22h00 aux Etats-Unis), dans un stade de 80.000 personnes archicomble. Et David renverse Goliath.
Acculé dans les cordes, souvent réduit au rôle de pushing-ball, Ali tient le coup, tance la machine à broyer qui se dresse devant lui : «Allez George, tu cognes comme une fillette !» Suicidaire, cette tactique est finalement payante, il terrasse «Big George», qui s’est épuisé à cogner comme une mule, par KO au 8e round. Et redevient champion du monde dix ans après son premier titre. Un match entré dans la légende, immortalisé notamment par le romancier américain Norman Mailer dans Le combat du siècle et dans le documentaire oscarisé When We Were Kings.
Après le «Thrilla in Manilla» face à Frazier, sa carrière sera moins flamboyante. En 1976, sa victoire face à Ken Norton – en larmes à la fin du combat – sera considérée comme l’un des plus beaux hold-ups de l’histoire. Ali affrontera même un… catcheur (Antonio Inoki) au Japon ! Il perd son titre en 1976 face à Leon Spinks, tout frais champion olympique qui n’a que 7 combats au compteur. Mais récupère, dès la revanche, son bien une troisième fois. Méconnaissable, en surpoids, Ali tentera en 1980 de reconquérir sa ceinture une 4 fois mais s’inclinera devant Larry Holmes, son sparring-partner…
Quatre ans plus tard, on lui diagnostique la maladie de Parkinson. Ses derniers combats l’ont gravement mis en danger. Tout au long de sa carrière, le poids lourd ne s’est pas ménagé. Lors de l’année 1966, il avait disputé 5 matches (contre deux traditionnellement). Pour revenir au plus haut niveau après sa suspension, il dispute, entre 1971 et 1974, 14 combats et 39 exhibitions. Cadences infernales, répétitions des commotions. Et de plaisanter sur sa maladie : «Ce n’est pas à cause de la boxe. C’est à cause des autographes.» Mohammed Ali ne pouvait pas gagner le dernier combat qu’il a eu à mener. Une dernière pirouette : «Mon combat le plus dur, ça a été contre ma première femme.»