Monsieur le procureur du roi,
Je suis le seul condamné à mort par la cour d’appel d’Usumbura dans l’affaire du meurtre du Muganwa Rwagasore. A huit jours de l’indépendance du Burundi, je ne sais pas encore quel sera mon sort. Encore qu’en Belgique, il soit de tradition, m’a -t-on assuré, de ne pas exécuter les peines capitales, je n’ai aucune certitude d’être gracié et je sens ma vie en péril. Dans l’angoissante attente où je me trouve, j’ai le droit de défendre ma vie. La vérité judiciaire est acquise, j’ai, selon le jugement du tribunal et l’arrêt de la cour d’appel, pressé la gâchette du fusil que mes complices m’avaient mis en main en exécution d’un complot prémédité contre le premier ministre du Burundi.
Auteur matériel du crime, j’encours la peine capitale. Ceux qui sont considérés comme les inspirateurs ou organisateurs du meurtre et contre lesquels vous-même et M. le procureur général avaient requis la même peine, échappent à ce sort par la clémence de la cour. Les condamnés à l’échelon immédiatement inférieur au mien ont encouru 20 ans de servitude pénal. Vraiment, la justice distributive est-elle servie ? Assurément, je me réjouis du sort de mes co-inculpés. Je me plaints simplement du mien. Ce qui augmente ma stupéfaction, ce que la cour d’appel retient comme circonstance atténuante au bénéfice des condamnés barundi, le fait qu’ils ont pu prendre à la lettre des paroles ou boutades prononcées à la légère par certaines personnes. Ces personnes sont un ou des fonctionnaires belges de la tutelle. La confrontation à l’audience de la cour d’appel de Mme Belva et de M. Roberto Régnier, résident de l’Urundi a fait l’opinion des juges. « Des paroles ou boutades prononcées à la légère » ont donc pu, suivant l’arrêt de la cour d’Appel, donné aux condamnés barundi la conviction d’être encouragé au meurtre par la tutelle belge et d’être comme au Rwanda, assurés de l’impunité. Ces fonctionnaires Yvan Reisdorft (ancien résident de l’Urundi en provenance du Rwanda.), Léonard, Pierre de Fays domicilié à Namur, rue Léanne, Georges Testaert domicilié à Bruxelles 15, avenue des Eperviers 117, M. Bibot dont j’ignore la résidence, je ne sais si M. Regnier est actuellement rentré en Belgique, ont à des titres divers, été mêlés aux circonstances qui ont précédé les élections et aux faits relatés par Jean-Baptiste Ntakiyica et Mme Belva.
En vertu de l’article 30 de la charte coloniale, les citoyens belges contre lesquels sont intentées des poursuites du chef d’infractions commises dans la colonie et qui sont trouvés en Belgique peuvent être poursuivis et jugés par les tribunaux belges. J’ai par conséquent l’honneur de vous demander après l’ouverture des poursuites, de renvoyer le dossier à M. le procureur du roi à Bruxelles et de le plier de provoquer les confrontations utiles des fonctionnaires présents en Belgique avec les condamnés du procès, actuellement détenus à la prison d’Usumbura, à savoir moi-même, Ntakiyica Jean-Baptiste, Ntakiyica Henri, Nahimana Antoine, Ntidendereza Jean-Baptiste, Birori Joseph, Iatrou Michel, Archianotis Liverio et enfin Bigirindavyi Pascal qui a été libéré entre-temps.
Veuillez agréer, Monsieur le Procureur du Roi, l’assurance de ma haute considération.
Usumbura, le 29.06.62
Mes chers parents,
Je viens de recevoir la signification que le recours en grâce a été rejeté. Vous en êtes certainement au courant, et l’exécution aura lieu demain matin à l’aube. Je proclame solennellement que je ne suis pas le seul coupable. Ce crime fut perpétré par la tutelle, M. Harroy – M. Régnier. C’est par cette photo (Ndlr : Photo non disponible à la rédaction) d’Iatrou qui m’obligea de le faire parce qu’il était protégé par M. Harroy. Je vous prie de me pardonner et de prier pour le repos de mon âme. J’espère jusqu’à la dernière minute, mes les hommes sont lâches. Mon exécution pèsera à la conscience de la Belgique qui veut ainsi étouffer sa culpabilité. Je vous embrasse tous pour la dernière fois et adieu. Votre fils.
Jean
Lu pour vous, Ruvyogo Michel