Aloys Barutwanayo, chercheur: “Depuis la colonisation, le Burundi passe chaque mandat à gérer des interférences étrangères”

Le représentant légal de l’Association pour la mémoire et la protection de l’humanité contre les crimes internationaux (Ampeci-Gira Ubuntu) en même temps chercheur en histoire Aloys Batungwanayo, remonte l’histoire du Burundi pré-colonial pour démontrer que le pays n’a jamais connu de conflit ethnique avant la colonisation. Pas non plus d’ingérence d’autres royaumes à cette époque. Mais, la « découverte du Burundi » fut le début de l’immixtion multiforme des puissances étrangères dans les conflits inter-burundais. Avant de les lâcher, les Allemands ont soutenu les opposants Kirima et Maconco contre le roi Mwezi. Les Belges inventent les ethnies Hutu, Tutsi et Twa avec le recensement de 1929. A la veille de l’indépendance, les Belges exploiteront un vieux conflit entre les « Bezi » et les « Batare » pour tenter de retarder l’indépendance du Burundi. Et c’est avec les élections de 2015 que le Burundi sera victime de la plus grande interférence étrangère de son histoire. A la fin de sa démonstration, il constate, impuissant, que « le Burundi gère les violences électorales durant presque chaque mandat ».

« Les Burundais d’avant la colonisation s’identifiaient beaucoup plus aux clans qu’au vocable devenu par la longueur du temps ethnie des Hutu, Tutsi ou Twa ». Affirmation de M. Batungwanayo qui ajoute que de par les témoignages jusque-là recueillis par des historiens, aucune guerre inter-ethnique n’a eu lieu au Burundi, d’autant plus que le sens actuel de ce mot n’existait pas dans le lexique des Burundais.

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©Ikiriho – Aloys Barutwanayo, chercheur
Un recensement « ethnique » inspiré du raciste Gobineau

M. Batungwanayo souligne que les vocables Hutu, Tutsi, Twa sont venus à désigner des ethnies avec le recensement de 1929 organisé par la colonisation belge, « un recensement qui se basait sur les théories du raciste Joseph-Arthur, le comte de Gobineau, en vogue en Europe ».
Autre preuve, selon M. Batungwanayo de l’inexistence des ethnies avant la colonisation est que la répartition des tâches à la cour royale respectait ce qu’aujourd’hui on pourrait appeler la « démocratie co-sociative ». Les clans de Bahanza, des Bashubi, des Benengwe, des Banyagisaka, des Banyakarama, des Batwa (ces clans aujourd’hui classés dans les ethnies Hutu, Tutsi ou Twa) avaient tous des fonctions spécifiques à la cour: « Être Hutu ou Tutsi était une classification sociale. Etait Hutu, la personne qui n’était pas riche. La richesse étant mesurée par la possession des vaches. »

Conflit de palais, sans ingérence « étrangère »

Le représentant légal de Ampeci mentionne des conflits au sein de la famille royale, « des conflits pour cause de mobiles purement politiques et non ethniques. Dès son intronisation en 1857, le royaume de Mwezi Gisabo fut d’abord contesté par son demi-frère Twarereye qui prétendait qu’il était héritier du trône. »

En effet, Ntare Rugamba avait choisi son fils Twarereye pour lui succéder au trône. Mais, jaloux de ce dernier, des membres de la famille royale s’employèrent à ce que Ntare engendre un autre héritier du trône, Mwezi Gisabo, appelé encore Bijoga ou Gisonga. Considéré comme tricherie, le prince Twarereye refusa de reconnaître Gisabo comme roi du Burundi. Il prit les armes et s’empara des capitales royales au centre du pays. Le régent Ndivyariye, un fils influent de Ntare Rugamba dû fuir au sud du pays avec le jeune roi.
Les princes Rwasha et Birori, frères de Ndivyariye vinrent à la rescousse. Les troupes de Twarereye furent battues à Nkondo, dans l’actuelle province de Muramvya. D’où l’adage « Biracitse nk’ivy’inkondo ».

Mwezi Gisabo éconduit son tuteur : début du conflit entre les « Bezi » et les « Batare »

Un autre conflit cette fois de régence fut celui de Ndivyariye qui était le prince le plus puissant durant les années 1850-1860. Devenu majeur, le roi Mwezi Gisabo s’inquiéta de la puissance de son ancien tuteur. Avec l’appui des princes Rwasha et Birori, Mwezi brisa son pouvoir.
Ndivyariye serait mort, tué dans des circonstances qui n’ont pas été élucidées dans la tradition. Il aurait été victime d’un complot organisé à la cour royale.

De ce conflit est né une véritable vendetta entre les descendants de Mwezi et ceux de Ndivyariye d’où l’appellation “conflit entre Bezi (descendants de Mwezi) et Batare (descendants de Ntare)”.
Vers les années 1870, des conflits opposeront les princes Batare installés à l’Est du pays et les princes Bezi qui contrôlaient le centre du pays. Jusque-là, il s’agit des guerres entre princes d’un même royaume sans aucun soutien d’un roi étranger pour et contre tel ou tel autre prince.

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Le vieux roi Mwezi Gisabo avec des Pères blancs, dans l’une des photos les plus populaires
Interférence étrangère dans la guerre entre Mwezi contre Maconco et Kirima

Depuis la présumée « découverte du Burundi » par David Livingstone en 1871 et Stanley Henry Morton, l’histoire du Burundi a commencé à être lue avec les lunettes occidentales. Bien plus, les conflits naguère seulement entre Burundais ont pris une autre dimension de ceux des conflits internes armés avec soutien international.

Le cas typique, selon l’historien Aloys Batungwanayo, fut celui du rôle des Allemands dans le conflit entre le roi Mwezi Gisabo et ses opposants. D’abord les Allemands soutiendront Kirima, un rebelle venu de l’Est du Congo qui s’était installé dans la forêt de la Kibira pour revendiquer aussi le trône de son père, le roi Ntare Rugamba. Sa mère serait du « Bushi » un royaume de l’autre côté de la rivière Rusizi.

Affaibli par la rébellion de Kirima, le roi Mwezi Gisabo fait cette fois-ci face à l’insurrection de son gendre, le prince Maconco. Et pour cause, selon les sources orales : une histoire d’un magnifique chien de chasse, « Rurebeya », que le Roi prit au prince Maconco. En colère, celui-ci aurait vu reprendre son chien, estimant cette dépossession comme un acte de mépris et d’agression. Maconco déclencha une guerre contre son beau-père.
D’autres sources parlent du prolongement du conflit Bezi –Batare. Étant Mutare, le prince Maconco n’aurait jamais digéré que le trône revienne à Mwezi qu’il a toujours considéré comme un usurpateur.

M. Batungwanayo cite l’historien Emile Mworoha : « Maconco entra en rébellion avec le soutien du Chef de la station militaire allemande de Bujumbura, von Beringe. » Un soutien intéressé: « Les Allemands déjà présents au Burundi depuis 1896 n’avaient pas pu soumettre le roi et son administration. Ayant trouvé sur terrain des opposants au roi, ils ont soutenu fermement Kirima et Maconco contre le roi Mwezi Gisabo. Celui-ci finira par négocier et signer un accord de paix de Kiganda du 3 juin 1903 ».

M. Mworoha que cite Aloys Batungwanayo indique qu’au terme de cet accord, Mwezi Gisabo perdit une partie de son territoire (Bukeye) symbole du pouvoir au profit de Maconco. Mais lorsque les Allemands se rendirent compte que Maconco n’a pas finalement réussi à affaiblir complètement Mwezi Gisabo, ils ont décidé de le tuer en 1905 et ont déporté Kirima au Malawi, à New Langenburg pour l’y éliminer. Le Mwami recevra alors la protection de Von Grawert, successeur de Von Beringe dit “Birenge”.

La Belgique impliquée dans les violences électorales du début des années 60

L’ingérence des pays étrangers dans la gestion des affaires politiques au Burundi s’est manifestée aussi dans le conflit Bezi – Batare de la fin du 19ème siècle qui reviendra au galop vers la fin des années 50 au moment où le Burundi se battait pour recouvrer son indépendance. Un camp des Baganwa proches du prince Louis Rwagasore regroupés au sein du Parti pour le Progrès National (Uprona), voulaient une indépendance immédiate. Même si Rwagasore était Mwambutsa, il incarnait la pensée du côté des Bezi.

Pendant les campagnes électorales organisées par la tutelle belge, le parti Uprona a eu tous les malheurs du monde pour battre sa campagne électorale normalement. Au moment des élections de 1960, tous les leaders de l’Uprona étaient soit en prison soit en résidence surveillée. Ce qui donna comme résultat la victoire du parti PDC dans les communales de 1960. Un gouvernement dit « fantoche » fut nommé. Ce gouvernement dirigé par Cimpaye, premier ministre nommé par Jean Paul Horoy, durera le temps d’une rosée.

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Le procès de l’assassinat du Prince Louis Rwagasore
Un autre camp proche de la lignée Baranyanka (Batare) regroupé au sein du Parti Démocrate Chrétien PDC (proche de la Belgique, car ce parti existe en Belgique), eux voulaient une indépendance dans 30 ans; c’est dire en 1980. Raison pour laquelle ce parti recevait tout le soutien de la tutelle dans sa campagne.

L’Uprona refusa de reconnaître la victoire du PDC dans les élections communales et demanda aux Nations Unies d’envoyer une mission pour organiser les élections législatives.
Le camp des Bezi remporta la victoire aux élections législatives et le prince Louis Rwagasore fut nommé premier ministre. Après deux mois de cette victoire, le prince Rwagasore sera assassiné par le camp des Batare avec le soutien des Belges, et quelques Grecs en guise de protestation contre le résultat des urnes.

Violences électorales de 2015: la Belgique et l’Occident de nouveau présents

De toutes les élections démocratiques que le Burundi a organisées, en 1961, 1965, 1993, 2005, 2010 et 2015, seules les élections de 2005 ne furent pas émaillées des violences électorales.
Celui de 2015 fut particulier. Les partis politiques en lice avec le parti CNDD-FDD au pouvoir, une partie de la société civile nationale et internationale, les organisations internationales, certains pays ont pris position contre un des candidats en lice. Selon toujours M. Batungwanayo, cette prise de position rappelle la prise de position de la tutelle belge contre le parti Uprona au profit du parti PDC dans le processus électoral de 1960-61.

Et de souligner: « Quoi de plus normal qu’une partie des forces vives d’une nation soit contre un candidat? C’est de la culture démocratique pure et simple ! Qu’une partie de la communauté internationale prenne position pour ou contre des partis politiques en lice, cela relève d’une violation du droit international en matière d’ingérence dans la gestion des affaires d’un pays souverain avec menace de la paix et de l’ordre public. »

Pour lui, « les différents traités et conventions internationaux stipulent que la souveraineté de tout pays indépendant est inviolable et doit être respecté par des tiers. Dans cette matière, la cour Suprême ou la Cour Constitutionnelle sont des instruments pour faire respecter la constitution. Leurs décisions sont sans recours ».

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Violences de 2015: les messages sont affichés en anglais pour notamment être lus par les auditeurs des grands médias internationaux
Toujours d’après M. Batungwanayo, le cas du Burundi en 2015 est un cas d’école dans le droit international. Que la société civile, les partis politiques d’un pays soient contre l’un ou l’autre candidat relève de leur droit et même tomber en désaccord avec les décisions de ces cours citées ci-haut peut se comprendre: « Mais, une question qui mérite un débat est de voir des pays, des organisations non gouvernementales, des organisations internationales tous sans pouvoir juridique s’opposer contrer les décisions des juridictions d’un pays souverain ».

M. Batungwanayo s’interroge : « De quel droit, un ministre des Affaires Étrangères d’un pays peut dire qu’un des candidats est illégal si la cour constitutionnelle a tranché. Comprend-il la théorie de Montesquieu en matière de la séparation des pouvoir ? »
Cette prise de position d’une partie de la communauté internationale et le soutien ferme d’une partie des acteurs politiques en lice dans le processus électorale a débouché sur des violences électorales ayant forme de violations graves des droits de l’homme et du droit international en général.

Responsabilités partagées

Pour Aloys Batungwanayo, les responsables des crimes incomberont à toutes les parties. « Que se serait-il passé si la Belgique ne s’était pas impliquée dans la politique burundaise lors du processus électorale en 1961? ». Étant la tutelle du Burundi, il était impossible de ne pas s’impliquer … Mais de quelle manière ?

Que se serait-il passé si une partie de la communauté internationale ne s’était pas positionnée contre un des candidats en lice dans le processus électorale de 2015 ? « Aujourd’hui, le camp du parti CNDD-FDD crie à la conspiration internationale, qui du coup cache les problèmes nationaux auxquels tous les Burundais devraient faire face au profit du développement intégral du pays. »

Et de conclure par ce regret : « Dans plusieurs pays avec des leaders de l’opposition, de la mouvance présidentielle et de la société civile éclairés, les violences électorales ne durent que le temps de la rosée. Aussitôt les élections terminées, toutes les forces vives se remettent au travail pour faire avancer l’économie de leur pays. Le Burundi quant à lui, gère les violences électorales durant presque tout le mandat ».

by Ikiriho