Depuis 2013, la mise en place du guichet unique, la réduction des frais d’enregistrement et la volonté de la population pour entreprendre, ont « boosté » l’immatriculation des sociétés à l’API. Du premier trimestre 2013 au premier trimestre 2020, le nombre d’entreprises enregistrées a augmenté de 27,5%.
Il s’agit de 2030 entreprises immatriculées en 2013, 2184 en 2014,1529 en 2015, 2173 en 2016 et 2289 en 2017. Cette augmentation se fait surtout remarquer dans les années 2018 et 2019, une période correspondant à l’immatriculation des coopératives. Entre 2018 et 2019, 3430 sociétés ont été enregistrées contre 2586 de 2019 jusqu’au premier trimestre de 2020.
L’année du ralentissement a été 2015. Aucun enregistrement n’a été constaté entre les mois de mai et juillet suite à la crise politique.
Des entreprises à foison, mais quel impact sur le chômage ?
De nombreuses entreprises sont donc immatriculées à l’API. Pourtant, le taux de chômage, particulièrement chez les jeunes qui représentent tout de même 60% de la population, reste très élevé. En 2020, 13,3 % des jeunes sont au chômage au Burundi.
La problématique du chômage reste très complexe. Selon les données de l’institut des statistiques et études économiques du Burundi, 78,1% de la population ont un travail, 20% sont inactifs contre 1,9% qui sont considérés comme des chômeurs.
Toutefois, le cadre stratégique de croissance et de lutte contre la pauvreté (CSLPII) montre que 95% de la population active travaillent dans le secteur agricole. Une agriculture de subsistance.
La libre création des entreprises ne suffit pas pour enrayer le chômage
Faire immatriculer une entreprise est donc facile au Burundi. La faire vivre est une autre paire de manche.
Le constat de Kelvin Ndihokubwayo, analyste économique de Centre For Development and Entreprises Great Lakes (un groupe de recherche économique de la région des Grands Lacs), est sans appel : « Les chiffres donnés par l’API font penser à une émergence de l’entrepreneuriat, mais la réalité sur terrain est toute autre, les statistiques devraient donner l’image de la situation réelle.»
Pour cet expert, le grand défi réside dans l’accompagnement de ces entreprises fraichement formées et gérées en grande partie par des jeunes, souvent sans expérience du monde des affaires.
Par ailleurs, une grande partie des entreprises enregistrées sont dans l’agrobusiness, la transformation des produits. Mais pour être commercialisés, les produits transformés doivent être agréés par le BBN, le bureau burundais de normalisation. Selon plusieurs témoignages, ce processus prend beaucoup de temps.
E.N. a lancé une petite entreprise de transformation de jus à base de fruits : « J’ai commencé la transformation en 2018, ce n’est que vers la fin de 2019 que j’ai pu avoir l’autorisation du BBN pour commercialiser mon produit. C’est très long. »
Par ailleurs, l’instabilité institutionnelle fait que des mesures sont prises du jour au lendemain, ce qui peut affecter les activités de certains projets. Kelvin Ndihokubwayo cite pour exemple la mesure de démolition des boutiques non construites dans les normes dans la mairie de Bujumbura : « Il y avait parmi eux de petites entreprises de commerce enregistrées à l’API, il fallait au moins les relocaliser vers d’autres endroits. Ce sont des projets des jeunes entrepreneurs qui se sont envolés. »
L’entrepreneuriat, une solution au chômage à certaines conditions
Que faire pour que la création d’entreprises soit réellement une solution au chômage ? D’après Kelvin Ndihokubwayo, il faudrait suivre trois grandes étapes pour la réussite des projets proposés lors de la création des entreprises : l’étude des projets, l’accompagnement et le suivi. Une commission devrait être mise en place pour étudier la faisabilité des projets et ainsi donner l’autorisation de travailler aux entreprises dont la possibilité de réussite est plus grande.
Le manque de moyens est un vrai problème pour de nombreux projets. Une étude menée par des experts permettrait de détecter les projets qui pourraient être financés via le fonds prévu pour soutenir les jeunes entreprises à travers la banque des jeunes.
Enfin, explique encore l’expert, le gouvernement doit mettre en place un cadre de suivi, un coaching pour accompagner les plus jeunes dans le monde des affaires.
« On n’a pas un si grand nombre d’entreprises au Burundi malgré le grand chiffre donné par l’API. Il est facile de faire le suivi, chaque entreprise créée à une adresse physique, l’API devrait faire une visite au siège des entreprises pour voir celles qui travaillent et celles qui ne travaillent pas. »
D’après lui, ces descentes aideraient également à répertorier les grands défis auxquels font face les entrepreneurs. Antonine Ciza, responsable de la cellule communication à l’API reconnaît « le défi lié au suivi », mais indique que l’API va bientôt commencer « à suivre les activités des sociétés enregistrées secteur par secteur».
Par Keyna Iteriteka (Iwacu)