Cohabitation politique post-électorale, relations avec le Rwanda, développement, exploitation des minerais…. Le Gouverneur de Muyinga, Jean-Claude Barutwanayo, fait le point. Il dévoile aussi sa vision pour sa province.
Plus d’une année après les élections de 2020, comment jugez-vous la cohabitation politique dans votre province ?
Elle est très bonne. Tous les partis sont présents dans les comités mixtes de sécurité. Idem dans les réunions de sécurité. En cas de problème, la solution est consensuelle. Par ailleurs, il n’y a pas beaucoup de partis sur terrain. C’est principalement le Cndd-Fdd, le Cnl, l’Uprona et l’Upd-Zigamibanga.
Et pourtant, on parle de quatre membres du Cnl emprisonnés à Gashoho
Je ne suis pas au courant. Le représentant de ce parti ne nous a pas encore informés sur ces emprisonnements. Nous devrions être informés les premiers.
Seulement, il faut distinguer une personne fautive et un membre du parti. Pour se dédouaner, certains se cachent derrière le parti. Nous sommes là pour faire respecter la loi et rassurer tout le monde.
Les militants du Cnl disent qu’il y a une correspondance du ministère de l’Intérieur qui les autorise de collecter des contributions pour la construction de leur permanence nationale. Et ces quatre personnes auraient été arrêtées en train de faire ce travail.
Non. Ce n’est pas comme ça que la situation se présente. Oui, le représentant de ce parti nous a apporté cette lettre. Seulement, nous leur avons proposé que ces collectes se passent dans leurs permanences. Car, nous sommes en train de rassembler d’autres contributions pour les infrastructures communautaires, solidarité nationale, etc.
Mais l’un n’empêche pas l’autre ?
Si on laisse les partis politiques faire des collectes des cotisations par ménages, cela peut créer des confusions, de l’anarchie. Je me dis qu’un vrai militant d’un parti va se diriger vers la permanence et donner sa contribution.
Selon le Cnl, les administrateurs de Butihinda et Gashoho ont juré que ces contributions n’y seront pas collectées. Est-ce vrai ?
Je conseille aux représentants du Cnl de les approcher pour trouver la solution au lieu d’aller se plaindre ailleurs.
Aujourd’hui, on remarque des signes de rapprochement entre le Burundi et le Rwanda. Quel est l’état des relations à la frontière avec ce pays ?
La question des relations avec le Rwanda est nationale. A Muyinga, il n’y a pas vraiment encore de reprises d’échanges commerciaux. Mais, des signes encourageants existent. Par exemple, quand un Burundais de Giteranyi se retrouve dans les eaux rwandaises du lac Rweru, on se concerte et le pêcheur est remis. Et vice-versa. Il arrive que même des voleurs s’introduisent au Rwanda. Attrapés, ils sont aussi remis par les autorités rwandaises. Nous espérons que la situation va se normaliser de nouveau d’ici peu.
Quid du développement de votre province ?
Muyinga est sur une bonne lancée. Nous sommes parmi les cinq premières provinces qui sont en train de se développer.
Concrètement…
Les preuves sont là. Des infrastructures, des hôtels à quatre ou cinq niveaux pouvant héberger plus de 500 personnes, etc. Située sur la frontière, Muyinga accueille beaucoup de visiteurs. Même dans les communes, on y trouve de nombreux mini-hôtels. Nous avons aussi des grands commerçants nationaux. A Muyinga, le commerce prospère.
Il y a un stade moderne avec un tapis synthétique, une industrie qui fabrique des sachets biodégradables, des industries minières en construction à Gasorwe, des usines de fabrication de vins et de jus et une usine qui fabrique de la farine de maïs à Gashoho.
Que gagne la province en termes financiers ?
Beaucoup. Avec la nouvelle restructuration sur la collecte des taxes et impôts, on encaisse plus de 200 millions BIF par mois. En la matière, Muyinga se classe parmi les cinq premières. Ainsi, les communes en profitent pour construire des écoles, des centres de santé, etc. Pour le stade, en cas des rencontres organisées par Fédération du Football du Burundi (FFB), la province reçoit 20% des recettes.
Il est vrai que le bureau actuel de la province est étroit et vétuste. Mais la construction d’un nouvel immeuble suscite beaucoup d’interrogations. Pourquoi ?
Il s’agit d’un bâtiment en étage à trois niveaux. En plus du bureau du gouverneur, ses conseillers… il va abriter d’autres services provinciaux. C’est un projet consensuel avec les natifs. Nous sommes à l’œuvre.
Avec le mois de juin 2022, on sera déjà au troisième niveau. Nous espérons que dans trois ans au maximum, nous serons déjà dans un nouveau bureau provincial. A long terme, nous allons arriver à six niveaux. C’est un projet évolutif.
Quels sont le coût et les sources de financement ?
Pour les trois niveaux, le coût est estimé à 1,8 milliard BIF. Concernant les sources de financement, quand on veut construire un bâtiment d’intérêt général, d’abord il faut un consensus, que le projet soit inclusif. Il faut montrer aux contribuables potentiels que leurs contributions vont être bien utilisées. Nous devons mériter leur confiance. C’est pourquoi nous avons créé différents comités.
Lesquels ?
Il y a un comité de suivi des travaux, celui chargé de la mobilisation des fonds, un comité des finances et autre chargé de suivi. Le plus important est celui des finances. Il est hétérogène. Car, il gère le compte, fait des retraits, etc. Il est composé d’un représentant des députés, celui des commerçants et un administratif.
Jusqu’aujourd’hui, les choses se passent bien, il n’y a pas de lamentations. La collecte est bien faite et organisée de façon transparente. Toutes les contributions sont versées sur un compte. Ce qui inspire confiance. Moi aussi, je suis très surpris à voir le rythme des cotisations. Nous avons déjà dépassé 500 millions BIF. Et les travaux sont à 30%.
Et pourtant, certains fonctionnaires dénoncent une double contribution : 5000BIF comme fonctionnaire et 2000 BIF par ménage. Ils exigent aussi des reçus. Qu’en dites-vous ?
D’abord, les contributions sont volontaires. Pas de forcing. Ils contribuent parce qu’ils comprennent que c’est leur bâtiment. Pas d’histoires de parti politique derrière. Concernant les fonctionnaires, moi, je pense que seuls les enseignants pourraient se lamenter. Car, ils sont nombreux.
Est-ce que leurs lamentations sont fondées?
Je ne le pense pas. En fait, un fonctionnaire de l’Etat a un plus par rapport aux cultivateurs. Par exemple, quand une école s’organise pour contribuer en tant qu’entité, l’enseignant fait partie du personnel. Et quand un chef collinaire collecte des cotisations dans ses ménages, le ménage d’un enseignant ne va pas faire exception. C’est de cette façon que plusieurs catégories de personnes se retrouvent en train de contribuer à plusieurs niveaux.
Et pendant la collecte de ces contributions, il y a toujours un accusé de réception signé par la province et portant son sceau. Tous les administrateurs possèdent ce tampon.
Au niveau des écoles, on fait une collecte qui, par après, est versée sur le compte. Et l’école reçoit un bordereau pour aller montrer aux concernés que l’argent est arrivé à destination.
Alors comment interprétez-vous ces lamentations ?
A vrai dire, ceux qui se lamentent, ne comprennent pas peut-être ou ils ont d’autres visées. Pour moi, au lieu de contribuer à contrecœur, vaut mieux attendre. C’est compréhensible que certaines personnes soient incapables de contribuer. Qu’elles viennent m’exposer leurs cas. Nous sommes sûrs que ce n’est pas tout le monde qui va contribuer. Même au niveau des ménages. Les chiffres nous montrent que nous sommes encore en dessus de 50 % des ménages.
Vous rassurez donc la population ?
Les œuvres parlent d’elles-mêmes. Dans sept mois, les travaux sont à une étape avancée. A voir, l’étape déjà franchie, même ceux qui n’avaient pas contribué au début, se mobilisent de plus en plus. C’est leur maison. Nous invitons même ceux qui doutent de venir vérifier si leurs contributions sont bien arrivées et sont bien utilisées. Nous mettons en avant la transparence.
Quelle est la part de la diaspora ?
Je remercie déjà ceux qui ont déjà contribué à titre individuel. A côté de ça, nous avons encore eu écho qu’ils ont collecté des fonds pour ce projet, nous attendons la remise.
Concrètement, est-ce que vous remarquez leur contribution dans d’autres domaines ?
Oui. Mais, ils ne sont pas encore à l’étape que nous souhaitons. Il y en a qui ont déjà donné du matériel sur les écoles, des livres par exemple en commune Giteranyi. Sauf qu’ils ne sont pas nombreux, mais à vrai dire, ils essaient de nous appuyer.
On connaît Muyinga comme une province très riche en minerais. Quelle est la situation actuelle ?
Aujourd’hui, la situation n’est pas très bonne. Actuellement, la production est en baisse. Ce n’est pas comme en 2011, 2012, 2013.
Comme on n’avait pas de techniques modernes, il était très difficile de savoir la quantité de production. Ils continuent d’exploiter. Et la production doit être acheminée à la Banque de la République du Burundi (BRB).
Quelques chiffres ?
Difficile de savoir avec exactitude la quantité exploitée. Et il faut savoir que les mines sont une richesse nationale. Ce qui signifie que les recettes venues de ce domaine n’entrent pas directement dans la province. Le seul avantage pour la province, c’est que quand les exploitants ont une bonne production, leur niveau de vie s’améliore. Ils contribuent financièrement dans les travaux de développement, achètent des véhicules pour le transport, etc.
Comment faites-vous pour que toute la production arrive à destination ?
Nous faisons le suivi régulier pour lutter contre la fraude. On collabore avec l’Office Burundais des Mines et Carrières(OBM) qui est en charge du secteur et qui a une personne affectée à chaque site. Les mineurs aussi donnent le rapport de production journalière.
Que dites-vous de ces exploitations clandestines en complicité avec certains administratifs sur les collines Cibari et Gatovu ?
Elles ont toujours existé. Car, les mineurs sont difficiles à gérer. Pour décourager cela, ceux qui sont attrapés sont punis. Mais, comme ils sont habitués à la tricherie, il leur est très difficile d’abandonner ces pratiques.
Dire qu’ils collaborent avec des administratifs, moi je pense que c’est faux. Car, ils seraient facilement démasqués. Quand un administratif est attrapé dans ces tricheries, les sanctions sont très sévères.
Dans certaines communes de Muyinga, l’eau potable manque cruellement. C’est le cas de Giteranyi où un bidon est vendu 500BIF
D’abord, la commune Giteranyi est très vaste. Donc, il ne faut pas globaliser. Il y a des localités servies en eau et d’autres qui n’en ont pas.
Existent-ils des projets pour alimenter ces coins ?
A l’heure que je vous parle, il y a un projet d’adduction en eau à partir de Mugano jusqu’aux environs de Ruzo. Très bientôt, ils vont pousser un ouf de soulagement. C’est dans le cadre du projet Rusumo Falls *. Les travaux sont en cours. Les pompes sont en train d’être installées, les étangs sont déjà construits, les plaques solaires déjà sur place. Nous espérons qu’au mois de septembre, l’eau sera déjà là.
Quels sont d’autres profits que votre province va gagner avec ce projet ?
Beaucoup. Il faut savoir que Giteranyi (Muyinga) et Busoni (Kirundo) vont beaucoup profiter de Rusumo Falls grâce aux lacs du Nord.
Comment ?
A Giteranyi, on a déjà construit des Centres de santé, le bureau communal, fait l’adduction d’eau. Il y a aussi le projet de construction d’un Tribunal de Résidence, des grandes écoles bien équipées, etc. Il faut aussi ajouter qu’avec la fin des travaux, Muyinga va combler son déficit énergétique. Ce qui va permettre aux différentes usines, entreprises de bien fonctionner et d’être très productives.
Dans d’autres provinces, des spéculateurs sur certains produits comme le ciment, le sucre, les boissons de la Brarudi… sont punis. Et à Muyinga ?
On le fait aussi ici. Pour le sucre, il n’y a pas encore de problèmes. Parce qu’aujourd’hui, la quantité est suffisante. Mais avant, elle était très minime. D’où la spéculation. Pour le ciment, la population doit être protégée en faisant respecter les prix officiels. Pour les boissons, nous avons tenu des réunions avec les commerçants. Les spéculateurs sont punis et bientôt, ils vont même être rayés de la liste.
Mais, pour le sucre, certaines informations disent que votre épouse est impliquée
Moi, je pense que les auteurs de ces informations ont un autre objectif. Ils veulent ternir notre image. Ils sont encore en arrière. Même si mon épouse faisait du commerce, ça ne serait pas pour vendre du sucre. A notre niveau, nous allons prier pour eux afin qu’ils changent de comportement.
Mais, nous ne pouvons pas empêcher quelqu’un à manifester ses idées. Seulement, ce sont des mensonges. Nous ne pouvons pas entrer dans leur jeu. Ce serait une perte de temps. On leur laisse le champ libre. Il revient à ceux qui reçoivent de telles informations de vérifier si c’est fondé ou pas.
Votre rêve pour la province après cinq ans ?
Laisser des traces positives. Personne n’est éternel. D’autres gouverneurs sont passés par ici. Nous comptons laisser un bon héritage. Pour y arriver, il faut d’abord renforcer la paix et la sécurité. Car, c’est la base de tout. Que tout le monde sans distinction de partis politiques, d’ethnies, de religions, … se sente en sécurité.
Muyinga doit se doter d’un bureau provincial moderne. Des avenues pavées dans les quartiers. En cas de pluies, certaines artères deviennent presque impraticables. Nous voulons aussi faire la promotion des investisseurs.
Comment ?
Nous voulons mettre ensemble les commerçants pour un coaching afin de constituer des gros capitaux. Ce qui leur permettra d’aller importer en Chine, Dubaï, etc. Les mineurs doivent aussi être organisés. Nous allons leur montrer comment faire une bonne gestion de leurs recettes, comment les fructifier au lieu de gaspiller. Bref, je vais faire de Muyinga le ‘’Dubaï burundais’’, attrayant et rassurant pour tous.
Sept communes de Muyinga : Muyinga, Buhinyuza, Butihinda, Gasorwe, Mwakiro, Giteranyi et Gashoho.
Superficie : 1836 km2
Population : 865.892 habitants (2019)
Densité : 472 hab./Km2 (2019)
*Le projet Rusumo Falls (RRFP) est un projet régional hydroélectrique en cours de développement conjoint par les gouvernements du Burundi, du Rwanda et de la Tanzanie par l’intermédiaire d’une société commune Rusumo Power Company (RPCL).