Quelle vérité pour quelle réconciliation ? Gardons impérativement la positive attitude.
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Rappel, depuis l’Indépendance en 1962, le Burundi regorge de responsables de crimes divers et jusqu’à ce jour, ils n’ont jamais été inquiétés, ce qui a tendance à perpétuer le culte de l’impunité et à renforcer les frustrations des victimes. Au-delà de cela, le non-respect des Autorités publiques, fut-ce même le Président de la République.

Néanmoins, sans préjudice des résultats des travaux de la Commission d’enquête judiciaire internationale qui devra établir les responsabilités individuelles en application du Chapitre II du Protocole en la matière et afin de faire définitivement la lumière sur le passé, les parties signataires de l’accord d’Arusha ont reconnu que des actes de génocide, des crimes de guerre et d’autres crimes contre l’humanité ont été perpétrés depuis l’indépendance jusqu’à nos jours au Burundi.

Actuellement, l’application de l’accord d’Arusha signé dans un contexte plutôt suspicieux par les parties qui étaient en négociation, montre déjà sa complexité en ce qui concerne la résolution du conflit burundais. Il est dès lors intéressant de sonder les autres angles de vision, afin de saisir par approches successives la signification du contenu des enjeux qui se jouent au sein de la classe politique, de comprendre sa motivation profonde quand elle affirme qu’elle veut œuvrer pour résoudre la question burundaise.

Nous n’avons pas la volonté de remettre en cause les analyses pertinentes qui ont déjà été réalisées jusqu’à ce jour mais nous souhaitons souligner quelques faits qui nous paraissent majeurs et qui peuvent contribuer à la compréhension des événements auxquels nous avons assisté au Burundi.

Pour rappel avant la colonisation, le Burundi était une royauté sacrée dont le Roi jouissait d’une légitimité socialement attestée et incontestée presque par tous. La structure politique était connue de tous et les liens tant politiques que sociaux respectaient un code socioculturel scellé dans les mœurs. Bien que la gouvernance bénéficiait de l’assentiment de tous les citoyens burundais, il n’empêche que le système était malgré tout inégalitaire.

Le rang social dépendait des liens de sang ou d’alliance avec la structure politique (Mwami, Baganwa, Batware,…), de la richesse (beaucoup de vaches, beaucoup d’enfants, une propriété fertile). La combinaison des deux déterminait le prestige de la personne au sein de sa communauté. Il est aussi à remarquer qu’on n’appartenait pas à un lieu mais qu’on appartenait à un chef (gukukira). C’est ainsi que quand quelqu’un commettait un crime d’une gravité extrême ou tout simplement quand son chef avait commis un crime de lèse majesté à l’égard de son supérieur hiérarchique ; il suffisait qu’on lui prenne l’essentiel de sa richesse citée ci haut (kunyaga) et le frapper d’ostracisme (kumwangaza) pour que l’incriminé perde son prestige et plus encore tout lien social : cela correspondait à une mort sociale.

Dès l’introduction de la scolarisation via la colonisation, les éléments qui fondent le pouvoir, la richesse et le prestige ont radicalement changé. Le rang social dépend dorénavant du poste qu’on occupe dans les différentes institutions de l’Etat, l’avoir et le savoir sont étroitement liés au niveau de scolarisation et la richesse est directement estimée en valeur monétaire.

En 1962, le Burundi a accédé à l’indépendance avec un régime qu’on peut assimiler à une monarchie parlementaire, c’est-à-dire que la Loi fondamentale consacrait le pluralisme politique et les élections démocratiques basées sur le principe d’ « un homme une voix ». Le Burundi entrait par la même occasion dans le concert des nations avec les obligations et les ouvertures que cette entrée induisait, notamment les liens économiques et la géopolitique.

Cette expérience démocratique a été stoppée net en 1966 par un putsch militaire et depuis lors on a assisté à des violences cycliques (1965-1966, 1969, 1972, 1988, 1991, 1993-…) et à des putschs militaires comme seul mode de changement d’autorités au Burundi (1966, 1976, 1987, 1993, 1996) hormis les trois mois de juin 1993 au 20 octobre 1993 au cours desquels les burundais avaient été dirigés par des autorités de leur choix. Seule la force des armes a fondé la légitimité de tous ces pouvoirs militaires ; ce n’est que depuis 2005 que nous connaissons à nouveau des responsables véritablement élus.

La grande question qui se pose est d’expliquer les violences cycliques qui se sont caractérisées par des centaines de milliers de pertes en vies humaines, la dégradation de la vie sociale et économique et des centaines de milliers de gens qui fuyaient leur patrie. 

Comme ces régimes avaient peu d’intérêt à promouvoir le bien commun, ils se sont tous caractérisés par une faible capacité à générer le bien-être pour tous par une performance gestionnaire égoïste des activités économiques, le gâteau national devenant par ce fait de plus en plus petit, le contrôle des prétendants audit gâteau tenant compte de la scolarisation qui en accroissait le nombre ne pouvait qu’aboutir à des tensions sociales.

Dans ce contexte monopolistique lié au régime dictatorial, aux mécontentements des uns et aux insatisfactions des autres, les solutions de jadis devenaient caduques (kunyaga, kwangaza, …) ; frapper quelqu’un d’ostracisme ou le contraindre à l’exil ne servaient plus à rien, étant donné que la personne concernée, partait avec toutes ses capacités intellectuelles acquises qu’elle pouvait exploiter à bon escient partout où elle serait, voire œuvrer politiquement pour ainsi dire, menacer les intérêts de ces dictateurs. Alors à défaut de pouvoir agrandir le gâteau national, afin de pouvoir se garantir la même part du gâteau et limiter les risques d’une contestation d’opposition, la seule solution qui restait était d’éliminer physiquement les prétendants éventuels au gâteau sous divers prétextes que tout un chacun peut observer au Burundi. Sous cet entendement, les valeurs incarnées par la démocratie, le respect des droits de l’homme, le développement du pays,…deviennent secondaires ; le plus important devenant le contrôle de l’environnement du gâteau et des convives avec qui on va le partager, quelques soient les ethnies, les origines sociales ou régionales.

La définition dans ce contexte que les parties signataires de l’Accord d’Arusha ont donnée au terme « sinistré » frise le cynisme. Elle montre clairement que ces gens n’étaient pas prêts à assumer les malheurs qu’ils ont fait subir au peuple burundais et faire un saut qualitativement positif vers la résilience sociale. Un sinistre est un événement catastrophique naturel (tels un incendie, une inondation, un tremblement de terre, etc…) ou alors un accident, un dommage important causé à une ou plusieurs personnes par des impondérables, inattendus. Un sinistré est donc quelqu’un qui a subi un sinistre.

Selon Monsieur Hicuburundi (site burundibwacu 2007) la grande question est l’environnement politique actuel, qui est complètement défavorable à l’exercice tranquille du pouvoir au Burundi. Dans ce sens, il disait qu’il est sûr et certain que les seuls qui rêvent qu’ils peuvent effectivement gouverner tranquillement le Burundi en ce moment, sont ceux-là mêmes qui sont à la base de la tragédie ainsi que des convulsions répétées dans lesquelles est en train de se débattre ce pays depuis des décennies. En d’autres mots, à l’heure qu’il est, seuls les putschistes d’octobre 1993 et leurs alliés ou valets peuvent se donner l’illusion de garantir une gouvernance politique et économique acceptable pour eux-mêmes et certains partenaires internationaux.

Dans le contexte burundais actuel la vérité est à géométrie variable selon l’intérêt de celui qui parle et du destinataire du message, en guise d’exemple, même ceux qui exigent la vérité et la transparence de la part des adversaires, n’hésitent pas à entretenir un flou artistique dès qu’ils sont concernés par la chose publique. Si non comment expliquer par exemple le cas de Monsieur Ngendakumana Léonce. Ce n’est qu’à travers son ambition politique que nous pouvons comprendre son camouflage. En effet, comme nous l’apprenons de Monsieur Hicuburundi, l’Hon. Léonce Ngendakumana, un des Hommes forts du FRODEBU, a toujours menti sur sa propre identité, et donc aussi sur ses véritables intentions politiques. Très nombreux en effet sont les Barundi, toutes ethnies confondues, qui affirment être sûrs et certains que cet homme qui s’est toujours dit “muhutu” natif d’Isale dans Bujumbura Rural, est en réalité un mututsi dont le véritable géniteur était encore en vie quelque part en province Bururi en Commune de Matana.

Et le problème dans tout cela, c’est que s’il est vraiment un mututsi, l’Hon. Léonce Ngendakumana aurait faussé très dangereusement toutes les équations politiques de notre pays, surtout après les Accords d’Arusha qui prévoient explicitement un partage des postes de responsabilité en tenant compte précisément des origines ethniques des candidats.” Pourtant, il est un des signataires de cet accord et il ne peut pas ne pas connaître la pertinence de son contenu.

Que pouvions-nous dès lors attendre de positif de lui et sa mouvance qu’on ne nomme plus s’il avait pu avoir les rênes du pouvoir ? Peut-on faire l’hypothèse que l’interférence des anciens acteurs politiques est à l’origine des difficultés actuelles au chapitre de la gouvernance ?

A cette question Monsieur Hicuburundi Innocent répondait déjà en 2007 que ce n’est plus une hypothèse, mais bien la réalité nue et crue. Il y a en effet au Burundi tellement de crimes impunis dont la responsabilité majeure retombe sur les tenants des régimes qui se sont succédés depuis l’Indépendance. Or, manifestement, tous ces criminels impénitents font tout pour rendre impossible la naissance d’un Etat de droit, dont la tâche première consisterait précisément à les juger pour rétablir leurs victimes dans leurs droits longtemps ignorés. Dans ce sens, tous les prétextes sont bons pour ceux qui ont quelque chose à se reprocher, pour accuser de tous les maux les nouveaux dirigeants, dans le seul but de les intimider et de les empêcher de débroussailler autour des archives de notre histoire, laquelle contient certainement des dossiers brûlants et compromettants qu’ils n’ont pas eu le temps de faire disparaître avant la fin de leur règne.

Vu sous cet angle, on peut comprendre : la plupart des stratégies des tenants du statu quo, les résistances aux vrais changements démocratiques, la motivation de partage des postes contenue dans l’accord d’Arusha, l’impunité au Burundi et la tactique d’exigence du dialogue sans direction ni boussole ni contenu réaliste avec le pouvoir actuel, afin de tourner perpétuellement sans fin autour du pot de l’histoire sociale et politique.

Tout ça pour éviter le fond du problème à savoir celui de la citoyenneté partagée et un Etat de droit qui garantit l’égalité de tous devant la loi avec des institutions issues d’élections libres et transparentes en application du principe « un homme une voix ».

Il est pratiquement impossible de conclure, tout simplement, nous ne pouvons faire qu’encourager les autorités actuelles à garder le cap et à continuer à faire œuvre utile et mener à bien tous les grands chantiers notamment davantage encourager et appuyer sans faille la Commission Vérité et réconciliation, pour qu’en définitive la vérité vraie éclate au grand jour, que les victimes soient enfin réhabilitées et les auteurs des crimes isolés du reste de la population, pour qu’enfin une réconciliation sociale et une paix durables puissent s’établir définitivement au Burundi.

Ruvyogo Michel