Mon papa le Muganwa Tharcisse Hakizimana (Busita) nous quittait il ya 29 ans jour pour jour.
Un matin du 22 octobre 1993, alors qu’il était en visite chez sa mère à Nyabikere (Karuzi) , des hommes armés de lances, gourdins et machettes l’ont massacré, lui et son oncle. Sa mère, notre regrettée grand-mère fut attachée sur une chaise. Ils ne l’ont pas tuée . Un détail de taille: ce ne sont pas les voisins qui ont commis ce forfait. En effet, notre grand-mère leur avait donné des terres pour cultiver et payait les frais scolaires( minerval) de leurs enfants. Les assassins venaient d’une autre colline. Une fois le forfait commis, ils sont partis. Grand-mère a eu le courage de crier au secours. C’est à ce moment -là que certaines femmes voisines sont arrivées. En voyant les 2 corps sans vie, transpercés et ensanglantés gisant par terre, elles sont allées appeler leurs maris.
Grand-mère les a alors suppliés d’enterrer son fils et son frère dans notre domaine devant la maison. Ils les ont enterrés tout en s’excusant dans en ces termes » Muvyeyi, sitwebwe. Iyo tuba hafi ntaco bari kubagira kuko twabanye neza. Ababahekuye baje bava k’uwundi mutumba ».
J’appris longtemps après que ses bourreaux sont morts en exil en Tanzanie.
Ces détails sont importants car ils m’ont aidé à surmonter la douleur de la perte d’ un père.
Le miracle d’une rencontre: point de haine
Le prince Tharcisse Busita a été longtemps Bourgmestre dans son fief et celui de nos vaillants aïeux descendants du Prince Rwasha, fils du roi Ntare IV Rugamba Ruyenzi à Buhumuza (actuelle province de Cankuzo ).
D’après les témoignages vivants, mon père avait sauvé et caché plusieurs de ses administrés pendant la tragédie de 1972. La nuit, il leur ouvrit la porte pour qu’ils partent en Tanzanie, située à quelques kilomètres du bureau communal.
En 2006 , j’étais rentré des Pays-Bas pour les vacances au Burundi natal. Alors en visite à Gitwenge ( Commune Gisagara, province Cankuzo), j’ai eu la chance de côtoyer quelques personnes sauvées par mon père en 1972. Ce sont eux qui m’ont reconnu en ces termes » Uyu musore ko asa na Musitanteri Tharcisse ga yemwe ». Mes amis ont confirmé.
Dans l’émotion, ils m’ont soulevé dans l’air en évoquant le nom de mon père. Ils m’ont offert beaucoup des Primus , que j’ai partagées ensuite avec tous ceux qui étaient là car je ne buvais pas. Ils m’ont raconté 1972. J’ai eu de frissons. Pendant leurs témoignages je me sentais comme déchargé d’un poids, je ressentais une ouverture et une paix intérieure indescriptibles.
Sans le savoir, je guérissais de la douleur ressentie en 1993. Papa était assassiné alors que j’étais à l’internat très loin de là. Je n’ai pas vu son corps.
Le feu Muganwa mon père s’attelait à la justice, l’unité, la dignité humaine et la compassion.
A partir de ce jour, j’ai décidé d’honorer sa mémoire en jurant de n’avoir aucune haine contre qui que ce soit, surtout ceux qui l’ont assassiné.
Cela me procure une paix et une force intérieures incroyables. Je pose un regard d’humanité et de paix sur chaque compatriote sans distinction aucune. J’évite la globalisation.
Une noble descendance rassembleuse
Singulièrement, j’ai fait miens ces lignes: Les Bahutu n’ont jamais massacré les Batutsi, les Bagwanwa ou les Batwa, tout comme les Batutsi n’ont jamais massacré les Bahutus, les Baganwa ou les Batwa. Si des gens sont morts parce qu’ils étaient Bahutu, Batutsi, Baganwa ou Batwa, leurs bourreaux portaient des noms reconnaissables: Michel, Jean, Mathias, Léonard, Claver ou autres noms. Tuer une personne est une décision qu’on prend individuellement malgré les ordres qu’on peut recevoir d’un haut. Et on doit en répondre individuellement.
C’est en partie grâce à ces deux événements que j’ai décidé de couper – de mon côté- les chaines de la haine et de cultiver l’amour du prochain. C’est mon intime CVR. Ceci m’aide d’avancer et de guérir les âmes meurtries par la perte d’un être cher durant les multiples événements qui ont endeuillé ma patrie.
A l’avènement du multipartisme, il s’était engagé pour devenir député à Cankuzo. A ses yeux, la réconciliation, l’unité nationale et la justice étaient la base pour sortir d’un passé si douloureux afin de cheminer vers une démocratie solide qui permet à tous de jouir d’une paix et stabilité durables.
Faut-il rappeler les vaillants aïeux de mon père: fils du Muganwa Busita, fils du Muganwa Marimbu chef du Buyogoma, fils du Muganwa Bwenge chef du Buyogoma, fils du Prince-Régent Rwasha, « Général » et chef du Buyogoma, fils de sa Majesté le Roi Ntare IV Rugamba Rutaganzwa du Burundi.
Maître-nageur et joueur de basket-ball, il a sauvé de la noyade un enfant d’un colonisateur belge en pleine période coloniale. Quand ses amis lui reprochaient d’avoir secouru un enfant d’un colonial, il souriait et rétorquait fermement que cet enfant n’a rien à voir avec la politique coloniale que servaient ses parents. Quelle noblesse et grandeur de cœur!
Surnommé B.I.G. de part sa bonhomie bienveillante, il nous a laissé le souvenir d’un père aimant, généreux – certes partagé entre ses familles et ses autres obligations – mon père était prêt à se racheter à chaque occasion.
Évoquer son souvenir nous rend fier et garant des principes d’Ubuntu qu’il a vécus et défendus à savoir l’amour, l’unité, la justice et la compassion.
A propos de l’auteur
Eric-Innocent Harerimana est poète, enseignant, coach et formateur originaire du Burundi.
Il est fondateur de Africa Network Brabant, une organisation qui regroupe les Afro-descendants du Brabant en Belgique. Il est aussi initiateur de nombreux projets de langue, dont un journal
Polyglotte, il maîtrise le néerlandais, l’anglais, le français et kirundi.
Outre son expertise en reconnaissance de diplômes et de l’Enseignement Supérieur dans une Agence Gouvernementale en Belgique, il est à la tête de la Tayari Academy©, une plateforme qui aide les organismes et les individus à optimaliser leur impact afin d’avoir d’excellents résultats par une communication positive. Contact: https://tayariacademy.jouwweb.be/ tayariacademybi@gmail.com +32486 075 657