La peine de perpétuité réclamée par le parquet ce jeudi était déjà pressentie par plusieurs observateurs depuis le début de ce procès marathon, au vu des chefs d’accusation pesant sur le Général de Police Alain-Guillaume Bunyoni.
Être accusé d’atteinte « à la sécurité intérieure de l’Etat », de complot en vue de « changer l’ordre constitutionnel, d’outrage au chef de l’Etat et les institutions, d’atteinte à l’économie nationale, etc. », la condamnation ne pouvait être loin d’une servitude pénale à perpétuité pour celui qui se faisait appeler « Mutama II ». Le deuxième homme fort du pays, du temps de feu président Pierre Nkurunziza, le « Mutama I ».
Visiblement, l’accusé n’a pas été surpris par ce réquisitoire. Seulement, il a appelé la Cour à ne pas tenir en compte les demandes du parquet. D’après lui, « le ministère public n’a aucune preuve tangible, sauf qu’il n’a fait que rassembler des informations mensongères » afin de ternir son image et ainsi le condamner.
« Jusqu’à présent, il fait la sourde oreille et continue d’avancer qu’il a un dossier long comme le bras. Mais apparemment, ce dossier est vide. Je crois que la Cour a constaté qu’il se contredit dans ses accusations. Avoir de l’argent chez soi, acheter une parcelle ou une voiture ou parler avec quelqu’un ne constitue en aucun cas un délit », avance Alain Guillaume Bunyoni.
Pour Désiré Uwamahoro et Samuel Destin Mfumukeko, accusés de complot et de divulgation du secret professionnel, ils affirment être surpris, car ’’dans tous les PV et procès, ils n’ont jamais été interrogés sur ce soi-disant complot en vue de changer l’ordre constitutionnel’’.
« Hier, c’était l’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat, mais voilà le ministère public réclame une peine sur un délit qui n’a jamais été porté à notre connaissance. Tout cela montre qu’il essaie de noyer le poisson en cherchant toujours des faits alors qu’il n’a pas d’éléments matériels », indiquent-ils.
Concernant les quatre autres coaccusés, deux policiers, un ingénieur en construction et le chef de colline Mubone, la peine réclamée a été de 30 ans d’emprisonnement ferme. Là aussi, ces coaccusés demandent qu’ils soient ’’blanchis et libéré’’.
Après le réquisitoire, la Cour a mis le dossier Bunyoni et ses coaccusés en délibéré. La sentence sera prononcée dans un délai ne dépassant pas 30 jours.
Retour sur un procès marathon
Vêtu de l’uniforme verte de prisonniers burundais, l’ancien Premier ministre ne semble pas fébrile. Au contraire. Il est visiblement bien portant et le fait savoir.
Ce n’est pas l’homme alléguant, il y a quelques semaines, souffrir « d’un diabète avancé de type 2 », se plaignant des « conditions carcérales intenables » et réclamant une liberté provisoire, moyennant une caution bien substantielle, qui fait face à la Cour.
Le Général de Police Alain-Guillaume Bunyoni et le colonel de Police, Désiré Uwamahoro, ainsi que les 5 autres coaccusés, dont le chef de colline Mubone, apparaissent décontractés.
A l’audience, c’est « AGB » qui entre dans la salle des audiences en dernier. « AGB » est escorté par des policiers et des agents du SNR, le Service national des renseignements. Ces derniers s’arrangent pour le placer loin du colonel de Police Désiré Uwamahoro, présenté par la cour comme son homme de main. Impossible pour les deux accusés d’échanger même un regard. Les agents scrutent le moindre mouvement de ces anciens » hommes forts » du régime, naguère redoutés.
La prison de Gitega a été transformée en une vraie forteresse. A l’intérieur, et même à l’extérieur de cet établissement pénitentiaire, la sécurité est renforcée. Des policiers et des agents du SNR sont partout aux aguets.
Pour avoir accès au petit espace devant servir de salle d’audience, des agents sont postés à l’entrée pour une fouille corporelle minutieuse. Ils passent de longues minutes à palper tous ceux qui veulent suivre le procès.
Les fouilles et palpations ne suffisent pas. Il faut passer sous le détecteur des métaux. Les agents passent l’appareil de l’aisselle aux chevilles.
La joute
Lors de ce procès au fond, l’ancien Premier ministre se bat bec et ongles. Il se défend avec entrain sur différentes accusations portées contre lui et ses coaccusés, notamment son homme de confiance : le colonel de police, Désiré Uwamahoro, détenu à Ngozi, histoire d’empêcher toute communication entre les deux. Les autres coaccusés sont placés dans différentes prisons, comme Muramvya.
Depuis l’ouverture de ce procès marathon, lundi 6 novembre, les accusés sont accompagnés par leurs avocats. Les accusations et contre-accusations durent des heures, jusque tard dans la soirée.
Et malgré la volonté et la détermination du ministère public qui cherche à convaincre le siège de la détention des éléments à charge qui accablent les accusés, les concernés restent impassibles. Ils contre-attaquent. Ils avancent « la falsification des preuves et parlent d’enquêtes biaisées faites par le parquet en vue de tromper la Cour et ainsi obtenir de lourdes condamnations ».
Dès le début de ce procès, le ministère public ouvre le bal en égrenant un chapelet de graves accusations : neuf au total à l’encontre de sieur Alain-Guillaume Bunyoni.
D’après lui, ce Général de Police a « utilisé tous ces pouvoirs et ses relations dans tous les secteurs publics et privés pour s’enrichir illicitement en argent et dans l’immobilier ».
L’accusé s’explique. Des explications que certains observateurs ont estimé maladroites. En effet, « AGB », fait savoir qu’avec une vingtaine d’années de service dans les hautes sphères de l’Etat, il est impossible d’être pauvre. D’après lui, il est même prêt à le démontrer. « Si on ne m’avait pas confisqué tous mes documents, attestant un par un toutes mes sources de revenus, j’aurais pu donner des explications ».
Pas de preuves explicites ?
Pour la détention illégale d’armes de guerre et de munitions, AGB botte en touche et rejette tous ces allégations en faisant appel à la barre ses anciens chefs de sécurité pour s’expliquer sur ces armes prétendument trouvées à son domicile.
« En tant que ministre et ensuite Premier ministre, je ne m’occupais pas des armes pour ma sécurité. C’est hiérarchique, chacun a sa tâche, ce n’est pas Alain-Guillaume Bunyoni qui devait assurer sa sécurité. Si vous persistez à dire que j’ai accepté et signé le PV, tout dépendait des conditions dans lesquelles j’étais au Service national des renseignements. Celui qui est menacé de mort signe les yeux fermés tout ce qui lui est présenté », plaidera-t-il.
Passant d’atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat jusqu’à l’atteinte à l’économie nationale, il expliquera que toutes ces accusations sont sans fondement légal et sans preuves explicites.
Usant de ses connaissances en droit pénal et civil, il énumérera les articles dont la Cour doit s’inspirer pour le disculper. Selon lui, il est là à cause de l’acharnement du « Parquet qui cherche à expliquer l’inexplicable ».
« J’ai toujours sollicité qu’on me présente des témoins que le ministère public affirme avoir à sa disposition, mais c’est toujours la même chanson :’’’Vous l’avez reconnu et signé devant l’OPJ’’. Mais j’ai décrit la manière et comment ces interrogatoires se sont déroulés », déplore-t-il.
Que de montages ?
Du colonel de Police Désiré Uwamahoro, jusqu’ au chef de colline de Mubone où Alain Guillaume Bunyoni trouvera momentanément refuge dans la nuit du 16 avril 2023, des prétendus appels téléphoniques jusqu’aux messages envoyés et reçus, il estime que tous ces éléments ont été sortis de leurs contextes. Voire, fabriqués par les services de renseignement, expliquent les accusés.
« Les services de la cybercriminalité sont capables de tout. Si vous ne voulez pas nous forcer de révéler les secrets professionnels ici, il faut arrêter de penser que toutes ces preuves exhibées sont irréfutables », clame Samuel Destin Mfumukeko, ancien agent et officier du SNR.
Bible à la main, comme un vrai ’’born again’’, le colonel de police Désire Uwamahoro va jurer, la main levée, qu’il ne peut et ne pourra jamais trahir son pays ni les institutions de l’Etat qu’il continuera à servir s’il vient un jour à recouvrer sa liberté.
« Je suis chrétien et pratiquant. Tout le monde sait que je ne mens pas et je que suis intègre. Que le Dieu que je sers me châtie hic et nunc si je dis des mensonges et qu’il punisse ceux qui me cherchent du mal. Sauf que je considère mon Général comme parent, je n’ai jamais comploté contre ma patrie ni contre ses institutions. Ceux qui le disent, au fond, ne me connaissent pas. Je suis allé au maquis étant jeune en 1993», plaidera-t-il.
Cherchant à démentir l’accusation de divulgation des secrets d’Etat, ce qui nuira à la fouille perquisition et conduira Allain Guillaume Bunyoni à prendre le large d’une manière précipitée, Désiré Uwamahoro reconnaîtra avoir seulement communiqué une prophétie révélée par deux vieilles dames de Bubanza, très chrétiennes. Désire Uwamahoro aurait partagé des « visions ».
Ces dames, d’après lui, ont eu des visions dans leurs prières. Elles ont présagé des malheurs qui s’abattront sur la personne de Bunyoni et Désire Uwamahoro, s’ils ne prenaient pas garde.
« Je voulais confier cela à l’épouse de l’homme d’affaires Ndekatubane avec qui nous partageons la même Eglise afin qu’elle prie plus pour nous. Malheureusement, le ministère public m’accuse d’avoir divulgué les secrets professionnels. Je ne travaille pas dans les renseignements ni au ministère de la Justice, quel secret alors ai-je transgressé ? Qu’on me montre alors où et quand j’ai communiqué avec Bunyoni sur ces mandats d’arrêt », se défendra-t-il.
Des révélations troublantes
Le ministère public évoquera au cours de ce procès au fond des messages téléphoniques avec le journaliste en exil Bob Rugurika, directeur de la radio en ligne Humura/RPA : un plan pour convaincre le CCM, le parti tanzanien au pouvoir à « adhérer à l’idée d’un renversement du pouvoir au Burundi ».
Au cours de sa plaidoirie, AGB fera alors des révélations troublantes, à propos d’un versement d’argent fait à ce journaliste. Sans nier ses relations avec le journaliste, il va s’expliquer. « Ce n’était pas pour comploter contre le chef de l’Etat, mais c’était pour avoir la liste des personnalités burundaises recherchées par la CPI afin de protéger le pays et ses institutions ».
Pour toute réponse aux propos de Bunyoni, le journaliste Bob Rugurika s’en prendra au journal « SOS Média Burundi », le qualifiant d’être au « service du régime ». Or, SOS Média, n’avait fait qu’un compte rendu des propos de l’ancien Premier ministre au tribunal.
L’ancien Premier ministre ira plus loin : pour lui, général qu’il était, il n’avait besoin d’un simple journaliste « pour planifier un renversement des institutions ».
Il confiera aussi à la barre que c’est ce journaliste qui qualifie le président de la République de « Vuvuzela », à répondre. (NDLR. Ce sobriquet dénigrant est généralement donné à quelqu’un qui hausse le ton et profère des ultimatums, mais dont les menaces restent nulles et de nul effet.)
Le ministère public fera une autre révélation contenue dans les échanges WhatsApp entre Alain-Guillaume Bunyoni et son épouse au cours de ce procès.
L’actuel Premier ministre est qualifié de « Impene ». Une chèvre. AGB se défendra, sans convaincre, qu’il s’agit d’un sobriquet « sympa », affublé à Gervais Ndirakobuca du temps du maquis, parce qu’il leur apportait de la viande de chèvre.
Mais selon les connaisseurs, à l’époque de la lutte armée, le sobriquet de l’actuel Premier ministre à cette époque, n’est pas « Chèvre ». C’est un autre surnom, moins sympathique et éloigné de ce ruminant….
Pour les accusations de versement de l’argent, dont des devises au Colonel de Police Désiré Uwamahoro, portées contre l’ancien premier ministre, ce dernier avoue lui avoir donné une somme de 16 mille dollars pour couvrir les frais scolaires de son enfant envoyé à l’étranger.
Il y a également une autre somme de 3500 dollars : « C’est comme un montant donné à un ami et aucune loi n’interdit d’avoir des devises à la maison et de telles sommes ne peuvent en rien entraver la bonne marche de l’économie nationale », conclura Alain Guillaume Bunyoni dans son argumentaire.